Nous ne reviendrons pas sur les motivations ni les calculs qui ont poussé Donald Trump à attaquer la Syrie. Quels qu’ils soient, ils semblent dérisoires par rapport à l’importance et à la portée de l’attaque elle-même. Les réactions, plutôt calmes et pondérées de Damas, Téhéran et surtout Moscou, ont beaucoup surpris faisant envisager divers scénarios rappelant parfois un jeu de billard compliqué. Les raisons de cette pondération pourraient se trouver ailleurs.
L’agression américaine a stupéfait le monde entier, d’abord parce que rien de concret ne la justifiait, ensuite parce qu’elle a eu lieu dans un contexte d’ouverture de Washington vis-à-vis des autorités de Damas, changement d’attitude annoncé à grand renfort de publicité par l’administration américaine elle-même. Aucune attaque militaire de la part d’une telle administration ne pouvait donc être prévue dans l’immédiat. Ce qui peut être pris pour un coup bas aurait dû exacerber la colère de Damas. Il n’en a rien été. Le calme a prévalu tant chez Assad que chez ses alliés, un calme assuré et rassurant, prouvé par la reprise des opérations aériennes russo-syriennes et des opérations au sol dès le lendemain des frappes, comme si celles-ci n’avaient jamais eu lieu.
Chez les Russes, au calme officiel se rajoutaient quelques piques sarcastiques lancées contre l’opération américaine, cachant mal une sorte de contentement dont nous devinons la nature et la cause. Ils venaient en effet de recevoir le plus beau cadeau que les Etats-Unis pouvaient leur faire : un test grandeur nature et en temps réel qui leur a permis d’évaluer ce qu’il adviendrait en cas d’attaque avec les missiles de croisière Tomahawk. Au vu de leurs réactions, cette évaluation semble avoir été très positive.
Les Russes, contrairement à nous, prennent la guerre très au sérieux. Pendant deux siècles, ils ont sacrifié des millions de vies, vu leurs terres brûler et leurs villes détruites, et savent que la prochaine sera pire que les précédentes. Ils ne se contentent donc pas seulement d’armer leurs soldats pour aller combattre aux frontières et à l’extérieur pour les protéger d’un éventuel ennemi. Sachant qu’il ne peut y avoir de guerre sans morts malgré tous les systèmes de défense existant (ils ont payé assez cher pour le savoir), ils ont mis en place, partout en Russie, des systèmes de protection des civils. Où sont les nôtres ? Il y a quelques années, Vladimir Poutine avait raillé les Américains à propos de leur illusion sur leurs divers boucliers et leur disait qu’il ne pouvait exister de protection absolue derrière des boucliers.
L’attaque surprise de la Syrie par des missiles de croisière Tomahawk américains s’est déroulée contre un pays sans bouclier, avec une défense anti-aérienne minimale et dont l’espace aérien est ouvert. De surcroît, cette attaque a eu lieu dans le contexte d’un accord de quasi non-agression signé entre la Russie et les Etats-Unis, ce qui signifie :
- Que la voie était libre pour les missiles américains,
- Que la Russie, pour respecter ses engagements, ne pouvait pas attaquer les Américains,
- Et que, par conséquent, les bateaux pouvaient continuer à tirer, impunément et dans une sécurité maximale, autant de missiles qu’ils voulaient sans être coulés
Malgré cela, les mesures prises à minima par la Syrie et la Russie ont transformé l’attaque en un véritable fiasco : plus de 60 % des Tomahawk ont été annihilés, et les dégâts causés par les tirs restants ont été très limités, si l’on s’en tient à la légende qui entoure les fameux Tomahawk américains. On comprend alors le calme de Assad et de ses alliés.
Quelles furent les mesures prises pour contrer l’attaque ? Il semblerait, selon un expert allemand, que la Russie se soit contentée d’utiliser son nouveau système de brouillage, le Krasuha-5, capable d’agir sur le GPS du missile ennemi pour bloquer ou modifier sa trajectoire… Un système capable de « faire tomber les Tomahawk comme des mouches » selon l’expert, lequel ajoute qu’un certain nombre de missiles seraient tombés en Méditerranée avant d’atteindre la côte. Il est aussi possible que l’armée syrienne ait utilisé son propre système de missiles antiaériens, mais, comme on le voit, la défense qui était en place n’était pas à la hauteur de l’ampleur de l’attaque. Elle était même dérisoire face à un ennemi qui ne l’était pas encore deux jours plus tôt.
Ce ne sera plus le cas désormais. L’un des cadeaux de cette attaque, c’est que les alliés de la Syrie ont bien évalué les véritables capacités américaines mesurées à l’aune des moyens de défense mis en place. La Russie a réagi immédiatement en renforçant ces moyens de défense selon son évaluation de la situation. Bien qu’elle ne pourra toujours pas se permettre de couler un bateau US lanceur de missile (ce qui ne sera pas le cas en cas d’attaque contre la Russie), elle va renforcer les quelques éléments de défense qu’elle a déployés en Syrie, de telle sorte que, lors d’une prochaine attaque, ce ne seront plus seulement 60 % des missiles qui seront inopérantes, mais 80 %, voire plus.
Pour l’instant les Américains ne risquent toujours rien à jouer aux voyous, les Russes veillant à ne pas entrainer le monde dans une guerre cataclysmique, mais les choses seraient très différentes en cas de guerre opposant la Russie et les Etats-Unis. Les bateaux tireurs de missiles auraient eux-mêmes des problèmes autrement plus sérieux à résoudre que de calculer les trajectoires de leurs tirs, et le pourcentage de missiles déviés ou abattus pourrait alors bien avoisiner les 100 %. Mais, comme le disait Poutine, il est illusoire de croire en un bouclier protégeant à 100 %.
Les missiles américains sur la Syrie ont offert aux Russes un test idéal dont ils n’auraient pu rêver, leur donnant une capacité d’évaluation en temps réel des moyens qu’ils devront mettre en œuvre contre les missiles Tomahawk, conventionnels ou non, en cas d’attaque sur leur propre territoire. Les stratèges militaires américains, loin d’être dupes des réactions amusées des Russes, ont certainement dû prendre conscience de leur erreur et doivent s’en mordre les doigts aujourd’hui. Les ennemis de Donald Trump aux Etats-Unis, qui pourtant se réjouissent de cette opération, ont peut-être raison de dire que leur président est à la solde de Moscou.
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