La Caisse de dépôt et placement soutient qu'elle n'avait pas vraiment d'autre solution que d'aller dans le PCAA, parce que les bons du Trésor étaient plus rares. Une affirmation qui ne convainc pas complètement les spécialistes, selon lesquels elle aurait pu éviter de s'y engouffrer, mais les rendements auraient peut-être été moins bons.
Depuis un an et demi, Henri-Paul Rousseau justifie la décision d'investir dans le papier commercial adossé à des actifs (PCAA) par une raison fort simple: on avait beaucoup d'argent liquide à placer, il fallait trouver des endroits sécuritaires, mais nos options étaient plus limitées que vous ne le pensez. La Caisse de dépôt et placement était-elle vraiment obligée de s'y aventurer? Oui et non, disent les spécialistes.
Lorsqu'un investisseur veut placer de l'argent à l'abri des intempéries boursières, il choisit le marché monétaire: titres du gouvernement fédéral, des gouvernements provinciaux et des villes, obligations d'entreprises, acceptations bancaires, etc. La taille de ce créneau, refuge ultime pour quiconque veut se protéger, est d'environ 360 milliards. La part du lion, c'est-à-dire les deux tiers, est composée de bons du Trésor... et de PCAA, qui offre des rendements tout aussi ronflants, mais légèrement supérieurs.
Prié d'expliquer l'aventure du PCAA, M. Rousseau, qui a quitté la présidence de la Caisse en mai 2008, invoque depuis 2007 une rareté de certains titres fédéraux, en raison du fait, principalement, que le gouvernement venait de passer plusieurs années à rembourser sa dette et qu'il émettait moins de titres d'emprunt. Bref, que la Caisse devait chercher ailleurs.
«Pourquoi on en a beaucoup? Ça a trait au fait qu'on gère 33 milliards de liquidités. Sur le marché canadien [...], le gouvernement fédéral et les titres de "money market", comme on les appelle, il y en a de moins en moins. Le Canada est en surplus», a dit M. Rousseau en novembre 2007, lorsqu'il s'est présenté à la Commission parlementaire des finances, à Québec.
La dette nationale, du milieu des années 1990 au milieu des années 2000, est en effet passée de 560 milliards à 460 milliards. Selon ce qu'indique la Banque du Canada, la quantité de bons du Trésor a donc diminué de moitié dans les années 1990. Même si, de 2003 à 2006, les bons du Trésor sont passés de 104 milliards à 127 milliards, ils continuaient d'être plus rares qu'au cours des années de déficits fédéraux. D'autant plus qu'Ottawa s'affairait, en parallèle, à réduire d'environ 30 milliards la part de sa dette qui était à taux fixe, c'est-à-dire les obligations à long terme.
«Le marché était mince», a dit M. Rousseau cette semaine lors du point de presse qui a suivi son discours à la Chambre de commerce du Montréal métropolitain. Et la Caisse n'avait pas non plus été voir du côté américain, en raison des risques liés au taux de change.
Pas impossible
Dans ce contexte, le défi pour les grands investisseurs de trouver des titres bien cotés, émis par Ottawa, était-il insurmontable? Non, disent les experts. «Des bons du Trésor, il y en a toujours, mais ça dépend du prix que vous êtes prêt à payer», dit Éric Lascelles, économiste en chef chez Valeurs Mobilières TD. «Aussi, un investisseur aurait pu aller vers les obligations d'entreprises [moins sécuritaires que les titres gouvernementaux] ou les acceptations bancaires.»
Ce «prix à payer», font remarquer les spécialistes, n'est pas sans conséquences. Si l'investisseur doit débourser quelques dixièmes de pourcentage de plus, son rendement annuel -- avec le prestige et les primes qui peuvent en découler -- peut en souffrir. On est dans un monde de virgules, dit Louis Gagnon, professeur en gestion du risque à l'Université Queens et ancien haut dirigeant à la Banque Royale. «Ces gens-là gèrent des millions. Quelques dixièmes, c'est une fortune.»
Le papier commercial d'une valeur de 13 milliards que détenait la Caisse générait de faibles rendements, mais légèrement supérieurs à ceux des titres gouvernementaux. «Il y avait toute une brochette de possibilités. Mais ils ont choisi d'aller dans ces produits-là pour améliorer la performance», dit M. Gagnon.
M. Rousseau, qui concède maintenant que la Caisse a acheté beaucoup trop de PCAA, a toujours soutenu que l'objectif n'était pas lié aux rendements. «Ça n'a pas été fait, là, dans l'optique d'aller chercher trois points de base de plus [c'est à dire 0,03 %]. Ce n'était pas ça, la motivation», a-t-il dit à Québec en novembre 2007. M. Rousseau faisait de l'effet, car le rendement des PCAA, par rapport aux bons du Trésor, était supérieur de 30 à 70 points de base.
Le papier commercial est un titre à court terme (de 30 à 90 jours) qui s'appuie sur des dettes de cartes de crédit, des voitures de location et des hypothèques. Au fil des ans, toutefois, on s'est permis d'y insérer des composantes financières plus complexes, comme des «credit default swaps».
Le PCAA se divise en deux catégories: celui émis par les banques (85 milliards) et le «non-bancaire» émis par des fiducies torontoises (35 milliards) et appuyé par des commanditaires. De manière générale, une première poussée de croissance est survenue à la fin des années 1990, suivie d'une deuxième poussée de 2004 à 2007.
En août 2007, certains établissements financiers ont craint que le PCAA non bancaire soit trop étroitement lié au secteur hypothécaire américain. Du jour au lendemain, les acheteurs se sont évaporés.
Le PCAA des grandes banques s'en est sorti. Mais dans le non-bancaire, la crise est survenue lorsque des banques étrangères, qui auraient dû fournir des lignes de financement pour soutenir ce produit qu'elles commanditaient, ont refusé de soutenir le PCAA par des injections d'argent. Des gros détenteurs canadiens, comme la Caisse de dépôt et placement du Québec, qui en détenait pour 13 milliards, n'arrivaient plus à s'en défaire.
Au total, 2000 investisseurs, dont 100 sociétés et 1900 individus, ont été coincés. Depuis, le PCAA a été converti en obligations à long terme.
Le PCAA a acquis une réputation d'étrange créature, mais il constitue une grosse partie du marché monétaire. «Si vous étiez un gros joueur, il aurait été très difficile de l'éviter», dit Colin Kilgour, un spécialiste à Toronto qui conseille certains détenteurs québécois de PCAA. «À son sommet, en 2006, le PCAA toutes catégories était d'environ 115 milliards. Les bons du Trésor étaient un petit peu plus gros, disons 130 milliards.»
Si on continue de décortiquer la tarte du marché monétaire, les acceptations bancaires représentaient environ 50 milliards, et les obligations d'entreprises, environ 20 milliards. «Ensuite, vos options étaient rares», dit M. Kilgour. «L'argument de M. Rousseau concernant la minceur du marché est juste. Mais s'il fallait en acheter tant que ça, du PCAA, c'est une autre question.»
Infaillible
Le PCAA s'est développé à une époque où l'économie allait plutôt bien, a fait remarquer M. Kilgour. Les titres obligataires, de manière générale, ici comme aux États-Unis, ne généraient que des faibles rendements. Étant donné l'absence de risque à l'époque, il s'est développé au fil du temps un sentiment d'infaillibilité.
«Même les produits qui comportaient un risque plus élevé généraient du faible rendement», dit M. Kilgour. «Et jusqu'à un certain point, des gens se sont dits: "Wow, les rendements des titres gouvernementaux sont bas, j'ai besoin d'aller chercher tout ce que je peux, et donc je vais aller chercher 10 ou 20 centièmes de plus dans le PCAA".» Le professeur Gagnon est d'accord. Les taux étaient si bas partout, dit-il, que l'évaluation du risque a fait défaut. «On n'avait peur de rien.»
Le PCAA de la Caisse représentait 40 % du marché canadien. M. Rousseau a déjà affirmé que cela traduisait l'importance de la Caisse sur les marchés. En 2007, il avait dit: «Notre proportion, si on prend le marché par rapport à ce qu'on a, on est un gros joueur, on a une proportion somme toute, oui, légèrement plus que la proportion du marché, mais c'est là... un coup que vous décidez d'en avoir. Bon.» [sic]
L'erreur de la Caisse a été de penser que les banques étrangères allaient tenir leur bout du bâton si jamais les choses se corsaient. Elle se fiait aussi à la très bonne note que l'agence DBRS accordait au PCAA non bancaire. Elle a eu tort. «Le marché du PCAA avait fonctionné adéquatement pendant neuf ans», a dit le président par intérim de la Caisse, Fernand Perreault, à la fin février. «On pensait que ça continuerait d'être liquide.»
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