Scandale et révolution

Ottawa s'enlise dans des rêves de grandeur en pleine récession et ajoute le mensonge à l'infamie dans sa stratégie marketing.

Harper et la culture

Le scandale entourant les Prix du Canada, ces 25 millions destinés à couronner des artistes étrangers, n'a fait que confirmer le pire. Ottawa s'enlise dans des rêves de grandeur en pleine récession et ajoute le mensonge à l'infamie dans sa stratégie marketing. Les partenaires brandis n'avaient jamais été consultés. Honte sur la colline! On se croirait dans Les Âmes mortes de Gogol, où un escroc achetait les âmes de serfs décédés pour hausser sa cote de crédit.
Ces incendiaires «Nobel canadiens» vont vraisemblablement tomber à l'eau, coulés par le tollé. Et on lève notre chapeau à Nathalie Petrowski pour avoir lancé ce brûlot dans La Presse. Cela prouve qu'il est possible d'ébranler les bases tories et insuffle le dérisoire espoir de voir les 25 millions récupérés, investis pour des tournées d'artistes canadiens, ou afin de garnir les goussets des créateurs. Ceux-ci en auront bien besoin par les temps qui courent...
On ne le répétera jamais assez: 2009 s'annonce comme une catastrophe pour le milieu culturel, qui ploie sous les coups de butoir de la crise économique mariée aux compressions culturelles d'Ottawa. Fragile secteur, s'il en est, surtout du côté des petites compagnies invitées à manger leur pain noir.
Fléau pour la culture, en dehors des manifestations gigantesques et des projets pharaoniques, ce gouvernement conservateur? Oui, et malhonnête en plus. Sa cause est entendue.
Les institutions québécoises pourront-elles jouer les Zorro salvateurs de l'artiste famélique, quand Ottawa déraille? Cette semaine, je suis allée rencontrer Jean-Guy Chaput, le président de la SODEC, avec des questions plein la tête. Comment garder à flot les compagnies culturelles, orphelines de fonds au fédéral, à l'heure où les commanditaires, à moitié ruinés, fuient leurs navires et où les ventes de produits culturels menacent de chuter, tant le public s'est appauvri?
Un fonds d'aide du ministère de la Culture pour compenser les manques à gagner est-il même envisageable? En période de vaches maigres, le budget provincial déficitaire, voté en avril, peut-il espérer être bonifié? Osons un doute...
Jean-Guy Chaput évalue grosso modo à 30 % les pertes bientôt épongées par les entreprises culturelles. «Mais comme la période des Fêtes est plutôt bonne pour la consommation, les quatre prochains mois donneront l'heure juste. Si le public déserte, on le saura au printemps.»
Pas envisageable sans doute pour le ministère de la Culture de faire des miracles en temps
de récession. Alors, vers quoi se tourner?
Reste à économiser des sous. Le président de la SODEC évoque beaucoup les nouvelles technologies, un moyen de diffusion à bas coût.
De fait, la crise économique accélère l'avancée implacable des nouvelles technologies, pour le meilleur et pour le pire. Le transfert de produits culturels sur de nouveaux supports se fait nécessité économique. Les auteurs et les éditeurs québécois, confrontés à la crise du livre, devront se poser à la fin du mois des questions capitales: numériser ou pas leurs ouvrages sur Internet, dont certains furent déjà scannés sans autorisation par Google. Malaise devant le livre dévoyé, poursuites contre Google en perspective? Ou choix de mettre la littérature en ligne pour étendre ses tentacules, histoire de pallier les débâcles en librairie? Décisions déchirantes en vue.
Le marché du disque n'a guère le choix de son côté. Piratage, téléchargement. Qui achète encore beaucoup de dvd aujourd'hui? Chacun les copie à tour de bras. La maison de distribution de disques Fusion 3 vient de faire faillite. La SODEC pousse l'augmentation des marchés en accentuant le téléchargement de la chanson québécoise, par exemple. D'ailleurs, la musique traditionnelle, bien ancrée dans l'univers de la World Music, profite déjà de ce souk élargi. Mais tous les secteurs seront touchés.
Prenez les projections numériques de films. Envoyer des bobines dans les festivals coûte cher. Expédier le tout à travers un simple signal optique permettra d'abaisser les coûts de livraison. Nos salles de cinéma devraient se convertir bientôt au numérique. Seule une poignée d'entre elles ont pris le virage jusqu'à maintenant. La tendance s'accentuera. Avec de bons côtés: projeter par exemple des films d'auteur à la guise de l'exploitant. Toutefois, l'offre se diversifiera de concert, comme dans les salles converties d'Ex-Centris.
Déjà les initiatives de diffuser des opéras en salle (on applaudit à ce projet à deux mains) se généralisent au cinéma. Mais avec des projecteurs numériques partout, l'offre pourra s'étendre à des comédies musicales, à des compétitions sportives, ou même à des tournées virtuelles de spectacles en région. Et il n'est pas dit que les artistes y gagneront. Pour conserver vivants les arts de la scène, l'aide de l'État (hello, Ottawa!) deviendrait d'autant plus cruciale. Misère!
On a devisé de tout ça l'autre jour, dans les bureaux de la SODEC. Jonglant entre les pièges et les atouts de la formule. Une révolution est en marche, en mode désormais accéléré. Elle modifiera toutes nos habitudes de consommation culturelle, en laissant des corps morts dans son sillage. Que devons-nous préserver d'un hier en déroute? Pas de temps pour répondre. Faut réduire les dépenses en culture. Et l'art là-dedans? Il aura besoin de protection, ne serait-ce que pour s'adapter aux mutations en cours. À nous, la vigilance!
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otremblay@ledevoir.com


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