L'engouement du gouvernement Harper pour la monarchie et sa décision toute fraîche de redonner une étiquette royale à l'armée de l'air et à la marine font beaucoup jaser au Canada anglais. Un pan de la presse conservatrice est aux oiseaux. Pour la fierté, l'honneur, la tradition. Mais nombre de commentateurs sont attristés ou ahuris.
Don Newman, d'iPolitics, souligne l'évolution de Stephen Harper qui est passé de populiste réformiste allergique aux élites à grand promoteur de la monarchie, «au point où il pourrait rivaliser avec n'importe qui révérant les symboles coloniaux». Le voilà aujourd'hui qui «fait la promotion de l'élite ultime d'une société, la monarchie», poursuit Newman, qui se demande ce qui viendra ensuite.
Chantre du conservatisme, l'ancien dirigeant de la National Citizens' Coalition, Gerry Nicholls, écrit dans les journaux de SunMedia qu'il ne s'offusque pas du changement de nom, mais il prédit une «bataille royale». Car si le geste plaît aux «six membres restants de la Ligue monarchiste», il en irritera beaucoup plus. Il relève qu'on parle déjà de relents de colonialisme et de coup porté à la souveraineté canadienne. Et certains commentateurs finiront sûrement par dire que le vrai plan de Stephen Harper est de se voir couronner roi du Canada. «Cela est évidemment ridicule, car tout le monde sait que Harper est davantage du type empereur», ironise Nicholls, qui ne comprend pas pourquoi le gouvernement Harper s'engage sur ce terrain alors qu'il n'existe aucune pression en ce sens. Il ne trouve qu'une explication: la volonté de Harper de rendre la monnaie de sa pièce à Pierre Elliott Trudeau, un leader honni par les conservateurs endurcis à cause de son mépris pour plusieurs symboles et traditions, en particulier la monarchie et l'armée.
Je me souviens
Bob Hepburn, du Toronto Star, est attristé de ce retour aux symboles royaux. Il se souvient de tous ces matins où il a chanté le God Save the Queen avant le début des classes, un chant habituellement suivi d'un serment d'allégeance à la reine. Un rappel quotidien, dit-il, de notre statut colonial. Puis le Canada s'est donné un drapeau, un hymne national, et le sentiment de former une nation entrant dans la modernité s'est répandu. «Je me sentais un peu plus fier d'être Canadien chaque fois qu'un geste était posé pour prendre nos distances de la Grande-Bretagne. Aujourd'hui, en revanche, je suis attristé en tant que Canadien de voir Ottawa poser un geste inutile destiné simplement à séduire les anciens combattants et une petite bande de monarchistes [...], un geste qui ne fait que renvoyer du Canada l'image d'une colonie qui plie et rampe devant ses maîtres de Londres». Selon Hepburn, Harper ramène le pays à une époque disparue où tout le pays, à part le Québec, était dominé par la société anglo-saxonne. Il fait remarquer qu'il en reste malheureusement bien des vestiges, comme la fête de Victoria, une reine qui n'a jamais mis les pieds au Canada et que les Britanniques n'honorent d'aucune fête nationale.
L'historien militaire J. L. Granatstein écrit dans l'Ottawa Citizen que la nouvelle obsession du gouvernement Harper pour la monarchie vise à contrecarrer la démarche des gouvernements libéraux depuis Louis Saint-Laurent afin de doter le pays de symboles reflétant son identité. «Il ne fait pas de doute qu'il y a un plan ici, un plan qui néglige l'affaiblissement croissant du lien monarchique pour tous les Canadiens», écrit-il, avant de rappeler ce qui a mené à l'abandon de l'étiquette royale. Et tout remonte à la première mission de maintien de la paix qui a valu le prix Nobel de la paix à Lester B. Pearson. Lors de la crise du canal de Suez, l'Égypte veut bien des soldats canadiens, mais ces derniers portent des uniformes similaires aux Britanniques, affichent l'Union Jack sur leur drapeau. Bref, ils ressemblent aux forces impériales. On finit par s'entendre, mais Pearson retient la leçon. En cette ère de décolonisation, être confondu avec les Britanniques n'est plus un avantage. Les changements suivront. Dire aujourd'hui que les militaires seront plus fiers en servant sous ces nouveaux noms est de la bouillie pour les chats, dit Granatstein. Selon lui, les militaires tirent leur fierté de ce qu'ils accomplissent et de leurs liens avec leurs prédécesseurs. Celui avec la monarchie ne veut plus rien dire pour eux.
L'Edmonton Journal note qu'en disant honorer les anciens combattants en changeant les noms de l'aviation et de la marine, il ne valorise que ceux qui ont combattu durant les trois décennies de la Deuxième Guerre mondiale et du début de la guerre froide, aux dépens de ceux qui ont servi et sont morts durant les 40 années qui ont suivi. Comme s'il ne suffisait pas de vouloir se battre pour le pays qu'on aime et les idéaux qu'il défend. Et les symboles d'hier, liés à l'Empire britannique, n'ont pas le même effet unificateur aujourd'hui. Les francophones ne sont pas les seuls à ne pas s'identifier à eux, une grande majorité des immigrants arrivés depuis 50 ans non plus.
«Espérons que la vaste majorité des futurs membres de l'armée refuseront de se laisser distraire par les obsessions de leurs aînés», conclut le Journal.
Revue de presse
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