Portrait de la reine

Leçon politique

Canada-sans-le-Québec


C'aurait pu être un simple changement de décor: après tout, Pellan ornait les murs de la réception du ministère des Affaires étrangères, à Ottawa, depuis près de 40 ans. Tant d'œuvres valent d'être mises en valeur qu'une rotation toutes les quatre décennies n'est pas un drame: pourquoi pas un Riopelle ou un Borduas?

On aurait pu aussi vouloir jouer d'audace, imiter la France des beaux jours, quand, sous Pompidou, l'art abstrait prenait place à l'Élysée, ou que François Mitterrand retirait la sculpture de Louis XV qui en ornait le vestibule pour la remplacer par une oeuvre créée en 1984 par le plasticien Arman. Le Canada ne manque pas d'artistes contemporains de renom pour en faire autant: une toile de Molinari, un dessin de Betty Goodwin, une photo de Geneviève Cadieux auraient pu accueillir employés du ministère et visiteurs.
Mais ce n'est pas d'art qu'il est ici question, plutôt de la représentation de la vraie nature de ce pays. Car c'est la reine qui, le mois dernier, a chassé Pellan de l'édifice Lester B. Pearson. Si encore ç'avait été celle de Lucian Freud, on aurait pu croire qu'il restait un peu de culture dans cette opération. Hélas non, il s'agit strictement, dans son option la plus classique, de celle d'Angleterre — qui est aussi la nôtre, comme ce nouvel accrochage nous le rappelle bien plus crûment que la visite, début juillet, des très populaires parce que surtout très people William et Kate.
Elizabeth II mérite son mur puisqu'elle est notre chef d'État et que nous lui devons hommage, a expliqué un porte-parole du ministre John Baird, ajoutant que le changement a été fait juste à temps pour la visite du duc et de la duchesse de Cambridge. William et Kate ont assurément déjà oublié l'égard. Mais pour nous, quel symbole! Quel anachronisme! Quelle leçon!
Le ministère des Affaires étrangères, c'est celui qui nous lie au monde. Un monde dans lequel, pendant longtemps, le Canada, sous le joug britannique, n'a pu tenir sa place. Le fondateur du Devoir, Henri Bourassa, avait fait du détachement de l'impérialisme britannique l'un des grands combats de sa vie. Légalement, politiquement, le Canada y est arrivé grâce au statut de Westminster, puis du rapatriement de la Constitution. Il a ainsi pu trouver sa propre voix pour s'impliquer à l'international, avec une originalité qui l'emportait sur sa petite taille et lui a valu le respect.
Depuis l'arrivée des conservateurs de Stephen Harper, cette voix ne résonne plus qu'avec un ton militaire sur la scène du monde. Et voilà qu'officiellement, dans l'édifice même où doivent se développer nos stratégies internationales, cette voix s'associe de surcroît à une image qui nous ramène cent ans en arrière, ravivant un lien monarchique certes jamais coupé mais qu'on ne mettait plus depuis belle lurette à l'avant-plan.
On ne croira pas pour autant que le gouvernement conservateur est prêt à se faire dicter ses vues par Elizabeth II. Mais on notera ce qu'exprime inconsciemment cette sortie de la reine du placard: la monarchie, c'est l'envers du pouvoir du peuple. Et Stephen Harper gouverne en monarque. Sous couvert de respect des institutions, il y a là gênante convergence quant au rapport à ses concitoyens.
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jboileau@ledevoir.com


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