Réponse à l'article Le Canada choisit le pire moment pour asseoir son identité sur cette branche
Bonjour Monsieur Le Hir,
Rassurez-vous, aucune mouche ne me pique et vous pourrez vous rendre compte qu’il peut m’arriver d’être critique ou de questionner Monsieur Barbéris-Gervais, Monsieur Cloutier, Monsieur Bousquet, Monsieur Noël et que j’ose même servir la même cuisine à Madame Ferretti, que j’admire pourtant d’une manière franche.
Et c’est probablement parce que vous êtes le président du RIN que je m’intéresse à votre pensée. Et ma théorie politique, si vous vous voulez la connaitre, c’est qu’un mouvement politique qui se bâtit à partir d’ une pensée claire et cohérente a plus de chance d’être populaire et de s’imposer, même avec une organisation politique plus petite et moins riche, qu’un mouvement très organisé, puissant, mais dont la pensée est confuse. Les gens n’ont pas besoin d’appartenir à un parti pour adopter de bonnes idées et pour en faire la promotion, mais il leur faut malheureusement être très partisans pour diffuser des idées qu’ils savent mauvaises ou brouillonnes. Y a-t-il pire pour des militants que de jongler avec de idées auxquelles ils ne croient pas et qu’ils maitrisent mal ?
Le mouvement indépendantiste est aux prises avec des problèmes politiques (organisation, stratégie, financement) et avec des problèmes idéologiques (la pensée). La pédagogie, l’éducation populaire est à la jonction de ces deux axes. Certains travaillent dans l’organisation, d’autres travaillent sur le plan idéologique. Ma conviction c’est qu’en épurant le volet pédagogique de la pensée indépendantiste (le pourquoi de l’indépendance) claire et en la diffusant, cette dernière soutiendra le travail idéologique et le travail politique. On ne peut pas dire que l’on forme des militants si l’on ne sait pas ce qu’ils auront à faire et on ne pense pas un argumentaire sans se mettre à la place de ceux qui vont le communiquer. Et en même temps, comme vous et moi travaillons à l’extérieur des partis, il faut une pensée qui soit universelle, il ne faut pas s’aliéner les indépendantistes potentiels de gauche, de droite ou du centre et j’ajouterai la boutade, pas plus qu’il ne faut négliger ceux de l’arrière ou de l’avant.
Vous aurez donc compris que je travaille sur la pensée indépendantiste (pas le projet de pays, plus simple que ça, « c’est quoi l’indépendance ») et que je cherche à élaborer une pensée cohérente. Je vous rappelle également une de mes thèses : il n’y a tout simplement pas assez d’indépendantistes au Québec et la réunion de tout ce qui est nationaliste ne suffirait probablement pas à garantir l’élection, même minoritaire, d’un gouvernement « souverainiste ».
Je vous rappelle cela parce qu’il y a une idée dans l’air qui stipule que si nous étions tout « unis », nous serions majoritairement plus forts. Même si je doute que nous ayons ce poids mathématique (ADQ +Les libéraux = plus de 50% du vote, ex. 63% en 2007), cette union serait déjà plus facile avec une pensée claire. Une augmentation du nombre d’indépendantistes communiquant une vision claire permettrait à ces derniers d’agir comme des « leaders d’opinion » lors des prochains mouvements politiques, ce qui risque de provoquer des changements en notre faveur et de nous redonner l’initiative. Nous pourrons enfin ravoir ce « bandwagon effect » pour l’indépendance.
Pour l’instant, je suis loin de mon objectif, je ne m’adresse qu’aux « intellectuels », mais c’est à partir de ce travail que je peux raffiner cette pensée pour une version « grand public ». Je vous invite, pour comprendre cela, à visiter mon analogie au hockey dans le texte « Coeur de la pensée indépendantiste ». C’est aux pages 8-9 de la version word (que vous pouvez télécharger en cliquant sur l’icône).
Maintenant, je ne fais pas que chercher à bâtir une pensée cohérente, je traque aussi les vices dans la pensée du mouvement. Je vous le dis, pour moi, une pensée est l’armature de tout projet. Et une pensée faible, c’est une organisation faible.
Je ne critique pas vos revues de presse ainsi que vos analyses de l’économie et de l’actualité internationale, je les trouve admirables et vous faites un travail de moine.
Toutefois, en ce qui a trait à l’indépendance du Québec, dans sa relation de subordination avec le Canada il y a des choses que vous répétez souvent, et je présume, parce que vous les répétez, qu’elles sont importantes.
Ce que vous dites, essentiellement, c’est que le Canada est sur le point d’imploser, qu’il ne pourra faire face aux tempêtes économiques prochaines et que les Québécois, pour sauvegarder leur modèle, devant les cendres canadiennes, se tourneront naturellement vers l’indépendance.
En somme, vous donnez au Canada le fardeau de construire l’argumentaire indépendantiste :
À travers le thème des élections :
« Les résultats des élections mettent en relief comme elle ne l’a jamais été toute l’ampleur du fossé qui sépare les Québécois et les Canadiens sur le plan des valeurs et de leur vision respective de l’avenir du Canada. »
À travers le thème des valeurs :
« Les Québécois privilégient majoritairement les valeurs sociales-démocrates qui vont justement à l’encontre du credo du Parti conservateur canadien, des lucides et de la nouvelle droite. »
Ici je vous ferais remarquer que bien des Québécois sont lucides et conservateurs et que votre argumentation ne permettrait pas qu’ils se reconnaissent dans le mouvement. Pour ma part, je veux faire l’indépendance avec mon bras gauche et mon bras droit. Je veux que des gens qui votent d’ordinaire pour Maxime Bernier, votent pour l’indépendance.
À travers le thème de la péréquation :
« Ce n’est pas parce que l’enjeu de la péréquation n’est pas « sexy » qu’il n’est pas le plus déterminant de tous. Depuis le temps qu’on nous bassine avec le fédéralisme rentable. »
« Dans les années qui viennent, la preuve de la rentabilité du fédéralisme va être très difficile à faire, et la preuve de sa non-rentabilité va être beaucoup plus facile à faire. C’est aussi la fin du chantage à l’exode, car la vie ne sera pas plus facile ailleurs. En fait, elle pourrait même l’être moins, si l’on en juge par le renversement de négatif à positif du solde migratoire interprovincial depuis deux ou trois ans. Quand je dis que la conjoncture ne sera jamais meilleure pour que le Québec devienne indépendant, c’est de ça que je parle. J’espère qu’il y a quelqu’un qui m’entend. »
Bon on était la minorité la mieux entretenue au monde et maintenant on sera un peu moins bien entretenu. Toutefois, la santé de la province fera en sorte que plein de gentils jeunes Canadiens anglais vont venir profiter de « Montreal » (sans accent). Le mot se dit, d’un océan à l’autre, chez les jeunes qui ne veulent justement pas du Canada d’Harper qu’un Canada vraiment intéressant existe au milieu du Saint-Laurent. Donc qu’allons-nous faire ? Juste pour cet afflux, nous devons nous assurer que des jeunes Québécois seront de plus en plus indépendantistes. Or, l’arrivée de tous ces « hipsters » les convainc plutôt qu’ils doivent être eux-mêmes des parfÂts bilingues et des citoyens du monde, une grande partie voit le combat indépendantiste comme quelque chose de ringard. De plus ils ne sont que très peu politisés, on n’est plus dans les années 70, à l’heure où tout le monde s’intéressait à la politique.
Malheureusement, c’est plutôt André Pratte qui donne le ton des préoccupations des nouvelles générations et son éditorial du vendredi 17 juin donne une idée de l’argumentaire auquel nous devons nous opposer :
« Une part de ces deux peuples rêve toujours d’indépendance, mais la majorité estime que, étant donné ses acquis déjà considérables, elle a aujourd’hui trop à perdre dans une telle aventure.
Chez nous, l’argumentaire indépendantiste était plus solide dans les années 1950, alors que les Canadiens français étaient victimes de discrimination systématique, notamment dans le domaine économique, et que la langue française semblait vouée à la disparition. Rien de cela ne subsiste, malgré la persistance d’inquiétudes normales et légitimes pour toute minorité.
L’appartenance à la fédération canadienne provoque certes des frictions et des frustrations, mais les Québécois peuvent seulement constater que sous ce régime, ils jouissent d’une qualité de vie que leur envient les citoyens de la plupart des pays souverains de la planète.
Face à cette situation, les souverainistes doivent démontrer que la vie serait encore meilleure dans un Québec indépendant. Or, cette démonstration est impossible à faire. »
Je ne suis évidemment pas d’accord avec Pratte, mais je pense qu’il touche là un véritable bobo et que la question qu’il pose est véritablement plus significative que ce que peut faire le Canada.
Et enfin le thème de l’identité canadienne :
« Alors si vous vous imaginez un seul instant que la remise en question des institutions qui va s’opérer à l’échelle mondiale va par quelque miracle épargner la couronne britannique, vous vous mettez le doigt dans l’oeil jusqu’à l’omoplate.
À ce moment-là, dans un avenir pas très lointain, le Canada découvrira qu’il s’est assis sur une branche bien précaire, et la chute du symbole préfigurera celle du pays. »
De mon côté, je vois que le Canada réussit très bien à se forger une identité en se passant du Québec et en faisant un deuil admirable de l’univers de Trudeau. Si la politique étrangère du Canada est tournée vers l’Angleterre pour le long terme, alors les nouvelles appellations sont probablement bonnes pour le Canada. Un Canada qui va profiter des troubles à travers le monde pour consolider son obsession pour la sécurité et qui va accroitre son soutien au complexe militaro-industriel, lequel garantira la création d’un lobby extrêmement puissant. Le caractère « royal » et durable des valeurs et de l’image dont se dote le Canada est justement une protection et la pointe de l’iceberg d’une dimension culturelle qui faisait défaut au Canada des conservateurs. Désormais, ils ont aussi les Jets de Winnipeg qui arboreront un logo qui est un clone du logo conservateur. Ce lobby jouera aussi contre nous, le Canada met des milliards dans l’équipement militaire, 500 millions serviront probablement de propagande pour continuer la chose. Le Québec c’est 20 à 25% des revenus, il vont protéger cette source...
Je vois donc que le Canada est capable d’agir culturellement pour soutenir l’intégration économique de ses politiques et qu’il est en train de bâtir une synergie entre le sa politique intérieure et sa politique extérieure.
Nous n’avons rien de tel au Québec et j’ai bien peur que nous soyons bientôt en mesure d’observer le contraste. Pour l’instant, nous trouvons cela ringard, mais dans 5 ans, quand la réalité « Royale » de cette propagande commencera à faire son effet, quand vous verrez de jeunes Québécois porter peut-être innocemment des gilets de l’armée de l’air, vous réviserez peut-être votre jugement. Les logos sont puissants et l’armée fait du recrutement dans les cégeps et les universités, les nouveaux seront imposants et attrayants pour des jeunes non politisés.
Alors en conclusion, je le répète, je cherche une pensée indépendantiste cohérente, claire et je ne crois pas qu’il soit productif de prophétiser les diverses chutes du Canada et d’espérer que ces dernières vont provoquer des bouleversements qui nous seront favorables. Cette perspective relève de l’attentisme et il nous faut plutôt développer des initiatives et construire un discours qui sache faire la démonstration que l’indépendance a de la valeur en elle-même. L’indépendance est un risque que l’on prend et il faut vaincre la peur, les arguments devront donc être puissants. Comme nous ne pourrons faire la démonstration que nous serons vraiment matériellement mieux qu’en restant dans le Canada, au coeur des crises que vous nous prévoyez, -vous savez que le réflexe en période de trouble c’est de chercher la stabilité-, il faudra d’autres arguments. En effet, l’accès à l’indépendance se fera forcément dans un climat instable et il sera tout à fait légitime, qu’on refuse de nous suivre si on montre simplement que ça va mal dans le Canada et que l’on change finalement « 4 trente sous pour une piastre ». « Pourquoi tout chambouler en période d’instabilité, on n’est une minorité, mais on est "ben", on n’est mieux qu’ailleurs dans le Canada, pourquoi se séparer ».
Il faut bâtir un argumentaire qui sache répondre à cette question et même si j’ai des réserves sur votre « packaging », vous avez dit vous-même qu’il fallait renouveler le discours. Or quand je lis les analyses plus politiques, quand je lis les textes du président du RIN, je vois une rhétorique qui laisse au Canada le soin de faire la démonstration des vertus de l’indépendance.
Les prémisses qui découlent de cette conception seraient que les forces politiques seraient en quelque sorte statiques, mais que l’électorat peut être attiré, selon les circonstances d’un bord ou de l’autre. Dans cette optique, on analyse la géopolitique et les grandes tendances de manière à lire le contexte et à proposer des stratégies pour en profiter.
Je ne suis pas de cette école, elle est nécessaire, mais secondaire. En effet, elle contient le germe d’une abnégation, de l’idée selon laquelle on ne peut jouer sur la composition même des orientations politiques de la société. Je crois au contraire que l’on peut former des indépendantistes et qu’augmenter leur nombre est la seule façon de nous sortir collectivement du marasme. Ce travail demande de la rigueur, de la patience et des buts clairs. C’est également une tâche titanesque, mais heureusement nous avons des jeunes comme Catherine Dorion et ses amis pour nous motiver.
Sauf que nous ne pouvons, d’une manière biblique, « attendre la chute de la branche symbolique sur laquelle est assis le Canada ». Je sais que vous ne nous dites pas « d’attendre », mais il y a une pensée magique inhérente dans votre texte, et le Québec (et le mouvement indépendantiste) s’est nourri de ce genre de pensée.
La seule façon par laquelle « émergera lentement et majestueusement le Québec », c’est si 50 000 militants orchestrent cette élévation en dirigeant le mouvement de 3 000 000 de Québécois. Et je pense que l’on va être trop occupé à mettre ce Québec debout pour « être saisis par le fracas de la chute du Canada ».
Maintenant, je ne vous écrirais pas si ces analyses sur la faiblesse du Canada étaient anecdotiques par rapport à la masse de vos écrits et de vos actions pour guider les militants. Toutefois, c’est parce que le coeur de votre argumentaire se résume en définitive à nous dire que le Canada s’écroulera bientôt ou que la conjoncture n’aura jamais été meilleure.
La conjoncture serait pourrie pour nous et le Canada nous administrerait très bien, avec compétence et compréhension que l’impératif de faire l’indépendance et de former des indépendantistes serait le même. La pensée indépendantiste doit s’appliquer à divers contextes, sinon elle n’est pas universelle.
Ne prenez donc pas ma critique d’une manière personnelle, je suis anonyme justement pour éviter les guerres d’ego. La seule chose qui m’intéresse est rendre impeccable la pensée indépendantiste, alors en prenant en compte tout ce que vous faites je vous rappelle ce que vous avez écrit :
« À titre de président du RIN d’abord, et à ce titre, comme membre du réseau Cap sur l’indépendance qui se préoccupe justement des questions que vous vous posez, qui développe des solutions dans le sens de celles que vous souhaitez, et à l’élaboration desquelles je contribue en tant que membre du comité de stratégie. »
Et bien c’est justement dans la dimension stratégique que je m’inquiète de « l’influence biblique » de votre pensée, vous pouvez me rassurer en répondant aux questions suivantes qui sont les mêmes que celles posées dans le dernier commentaire et auxquelles vous n’avez pas répondu :
« Je ne tire pas de conclusion, à la lecture de vos analyses, qui me permettrait d’accroitre la diffusion et la compréhension de l’idée d’indépendance.
Comment vos idées nous permettent-elles de former des indépendantistes convaincus et cohérents ? C’est ce que j’aimerais savoir ?
Et si le Canada anglais repeignait tout en vert pâle, qu’est-ce que ça changerait pour nous ? »
Vous dites que vous vous inspirez de Séguin, mais dans ce texte, en dépit d’une recherche documentaire rigoureuse, vos arguments, en ce qui a trait au Canada, restent cantonnés dans le deuxième niveau de lutte et dans les oppressions accidentelles (incompréhension par rapport à l’identité), je cherche de mon côté des exemples qui permettront aux Québécois de voir l’avantage d’agir par eux-mêmes. (pour les lecteurs, consultez http://www.vigile.net/Les-trois-niv...)
Comme nous ne décidons rien pour l’armée, que l’on peigne des armoiries royales ou un castor lubrique sur les avions ne changera strictement rien pour les Québécois, c’est pourquoi les orientations de politique étrangère et l’attrait pour la monarchie du Canada anglais ne vont rien provoquer, sinon que de l’indifférence chez le Québécois moyen. Il trouvera cela étrange, peut-être moron, et puis il va faire le ménage de son garage et laver son char, comme d’habitude.
Les arguments du deuxième niveau de lutte sont donc noyés par l’indifférence et cette indifférence est provoquée par l’aliénation québécoise au « troisième niveau de lutte », mais vos « prophéties » ne me permettent pas de voir comment nous agirons pour sortir les Québécois de leur torpeur et leur faire voir qu’ils sont oppressés et qu’ils peuvent collectivement agir par eux-mêmes et s’épanouir.
Voulez-vous me l’expliquer ?
Sachez que j’ai une grande sympathie pour vous et que c’est uniquement pour parfaire la « dialectique » de l’indépendance que je critique les textes. Les indépendantistes sont mes amis et entre amis, nous devons nous dire la vérité. Le Québécois n’aime pas « la chicane », mais il faut éprouver nos doctrines, si elle ne sont pas d’une logique implacable, elles seront battues, et nous avec.
Salutations !
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1 commentaire
Archives de Vigile Répondre
20 août 2011Monsieur l'Engagé, je trouve excellente cette intervention. Vous faites oeuvre utile en pointant du doigt les tâches exigeantes qui sont les nôtres, vous découragez l'activisme et la voie de la facilité qui séduisent trop facilement les indépendantistes. Cela nous a toujours mal servi. Il nous faut faire nos classes, vous avez raison.
GV