Questions d'image - Le «Nous» nouveau est arrivé!

"NOUS", Jean-François Lisée

«C'est nouveau, ça vient de sortir!»

- Coluche.
Novembre amène toujours son lot de nouveautés. La période des Fêtes approchant, certains rendez-vous sont ainsi incontournables. Tous les «marketers» vous le diront: la nouveauté est un critère des plus courus et des plus magiques dans la vente d'un produit.
Cette année, au Québec, quasiment jour pour jour avec le Beaujolais, le «Nous» nouveau est arrivé!

L'image de ce «Nous» est donc à l'ordre du jour. Mais, toute pertinente que soit l'idée de nous redéfinir en tant que peuple errant dans une collectivité en mal de bien des choses et en particulier de son identité, je ne peux m'empêcher de penser, qu'une fois de plus, c'est à l'usage que l'on verra vraiment si l'idée est aussi brillante qu'il n'y paraît. Car une bonne idée est une idée qui vend ou plus exactement une idée qui rapporte.
Pour le moment, disons qu'on la remarque, et la chose est fort simple à comprendre: elle est nouvelle. Enfin presque...
Dans ma profession, pour savoir si une idée est porteuse et contempler son véritable potentiel, nous la soumettons au «scanner». Son verdict est implacable. C'est une grille d'évaluation et d'analyse bâtie sur cinq variables intègres à tout message de masse; cette démarche, empirique certes, nous sert cependant de garde-fou et, le cas échéant, permet d'ajuster l'idée dans sa phase de matérialisation... lorsqu'elle réussit le test. Je me suis donc amusé à «Nous» passer au scan. Ça ne fait pas bien mal et ça permet de passer du bon temps.
Dans un premier temps, il faut évaluer la qualité stratégique du geste. Car généralement, celui qui émet une idée en a toujours une autre derrière la tête! Pour ce faire, il se fixe un objectif. Les communicateurs parlent dans leur jargon d'un objectif de communication.
Nous pouvons constater ici que l'objectif est encore assez flou. Est-il seulement destiné à nous faire réfléchir sur notre nouveau tissu «ethno-social»? Cache-t-il la future ligne d'action d'un parti politique? Est-il plus simplement la réflexion habile d'un intellectuel brillant qui vise à bien vendre son livre? Et pourquoi pas? En communication, il est souvent plus facile d'atteindre un objectif de marketing que de faire passer un message de façon pérenne. Si sur ce dernier point je n'ai pas d'inquiétude, sur les deux premiers je dirais par contre que tant qu'il y aura du flou dans la visée il sera difficile de produire un résultat concret. 5/10 est une note équitable.
Le second critère à respecter est celui de l'interpellation. C'est un aspect très fort de ce concept. Nouveauté, récupération politique, opportunisme et timing parfait -- PQ en panne et commission Bouchard-Taylor en pleine puissance -- ultramédiatisation. Mon appréciation est sans appel: 10/10.
Il faut maintenant évaluer le caractère séduisant de la proposition. Une idée doit séduire. Dans sa simplicité, dans son énoncé, dans sa forme, dans la façon dont elle est présentée au public. Si ce «Nous» a de quoi plaire à une tranche de la population, toujours la même, il possède cependant de quoi en irriter une autre. Le moins que l'on puisse dire est qu'il n'a pas soulevé un enthousiasme débordant. Donc, pour le moment, on semble plus intrigué que séduit par ce «Nous» pluriel bien singulier. Le temps fera le reste. À suivre. Avec le bénéfice du doute, je donne 6/10.
Le point d'appréciation que nous abordons en quatrième lieu est de loin le plus important. Il touche la «signifiance» du concept. Il est donc ici question du contenu et non du contenant de la proposition, mais également de son utilité réelle.
De nombreuses analyses éditoriales ont abondamment commenté la pertinence de ce «Nous» renouvelé, une vision, une image beaucoup plus actuelle et plus fidèle de notre réalité. Si brillante soit cette idée et si nombreuses soient les recommandations qu'elle suggère, il n'en demeure pas moins que sa matérialisation apparaît déjà quelque peu complexe et aussi hasardeuse que lointaine.
Ce «Nous» est un poids lourd. Avant qu'il n'atteigne pleinement sa vitesse de croisière, il aura fallu lui aménager une route rapide exigeant de profonds changements dans nos préjugés et nos habitudes à l'endroit des néo-Québécois. Autrement dit, il y a encore bien loin de la coupe aux lèvres. Avec un risque de débordement politique évident. Idée conceptuellement forte, mais difficilement applicable. C'est son point le plus faible. Je donne 4/10. Et c'est bien noté.
Le dernier critère d'évaluation mesure l'attribution. Qui parle? Il est essentiel que l'idée soit spontanément et correctement restituée à celui qui l'a eue. On appelle cela l'effet de source. Autrement dit, qui va profiter de l'émission d'une pareille idée. Qui a donc eu intérêt à la propager et pourquoi? Une fois de plus, on se parle à nous-mêmes. Pas de doute, ce «Nous», c'est bien nous autres. Les Québécois... nouveaux et de toujours, déjà en train de se redéfinir une identité alors que, depuis 1982, ils n'ont même pas été capables d'en faire reconnaître une seule, officielle.
Pour ce magnifique retour vers le futur, je suggère un exceptionnel 11/10!
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Jean-Jacques Stréliski est spécialiste en stratégie d'images.
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