Créativité! Le mot est sur toutes les lèvres. À l’unisson, ce vocable résonne sur la planète comme un mot d’ordre. Un impérativité quasi alarmiste. Comme un cri. Sans elle, point de salut.
La semaine dernière, Montréal a nettement occupé le leadership de la créativité (commerciale) mondiale, dans un événement flamboyant, C2Mtl. Une démonstration éclatante de la vivacité créatrice du monde des affaires. Et de celle, au passage, de quelques grandes personnalités, présentes à Montréal pour l’occasion.
« Notre civilisation va mourir », clame, en conférence de presse, le très brillant et illustrissime designer Philippe Starck. « Comme celles des Égyptiens, des Grecs et des Romains, en leur temps, elle risque même de disparaître d’ici une cinquantaine d’années. Notre monde occidental est en bout de course et nous allons devoir nous réinventer dans un rôle plus modeste ». Bon.
Je prends une deuxième tasse de café. J’ai toujours éprouvé pas mal de pudeur pour ne pas dire de grande réserve devant les réflexions absolutistes des millionnaires visionnaires. Je suis de la catégorie de ceux qui adhèrent plus simplement à ce que disait Coluche, lorsqu’il divisait le monde en deux : ceux qui parlent de la fin du monde et les autres qui craignent la fin du mois !
Pourtant, la déclaration de Starck est intéressante à plus d’un titre. D’abord, parce qu’elle « officialise » un point de vue qui tarde à s’imposer dans le monde des affaires en général et dans celui de la finance et de la politique en particulier. De grandes failles sont mises au jour et, désormais, on s’entend pour affirmer que, dans ce monde en plein bouleversement, certaines choses doivent changer encore bien davantage.
Ensuite, parce que de plus en plus, et Starck le souligne, on s’entend également pour reconsidérer le rôle et la place de l’humain dans cette problématique. Des changements qui soulèvent nécessairement des questions économiques, environnementales, sociales, éthiques, etc. Donc politiques.
À l’université, parmi les chercheurs qui, quotidiennement, planchent sur l’observation des schémas de la créativité et de l’innovation, les positions de Philippe Starck, n’étonnent guère. Le ton et la forme font toute la différence. Il est vrai que, dans une approche similaire, de grands penseurs ou entrepreneurs hésitent de moins en moins à radicaliser leurs positions sur la question de l’impérieuse nécessité de créativité. Non plus seulement celle qui permet de générer des avancées ou des solutionnismes technologiques spectaculaires (combien temporaires), mais plutôt sur cette créativité qui, démontrera sa véritable capacité à modifier structurellement la gestion des entreprises et de l’économie tout entière. Quitte, évidemment, à revoir à la baisse les objectifs gloutons de production et de rentabilité. On n’en est pas là.
La vraie créativité sera celle qui permettra de modifier en profondeur tout ce qui nous a menés aux grands dérapages de notre système économique, un système aujourd’hui totalement emballé, celui-là même dont Starck prévoit l’effondrement d’ici un demi-siècle.
Le constat est relativement plus facile à faire que les solutions à trouver. Plus rien n’est caché, plus rien n’est tu. L’avènement des nouveaux médias et des médias sociaux procure au moins cet avantage de mise en évidence des problématiques humaines de l’heure. Grands États déficitaires, perte grandissante de l’influence des politiciens sur les systèmes financiers (par conséquent, perte de leur autorité morale), écarts de richesse indécents, prolifération des actes frauduleux à grande envergure, scandales d’exploitation humaine - comme celui de l’effondrement de cet immeuble bangladais de sweatshops destinées à la production de vêtements de marques occidentales - mépris des règlements d’exploitation de la ressource humaine, animale, forestière, minière, etc.
Autrement dit, nous dit Starck, retour à « la case départ », il faut nous réinventer entièrement. Combattre les affres du « productionnisme » et du « rentabilisme ». Retrouver les zones d’équilibre. Tendre vers une redistribution plus saine des richesses, etc. Utopie, crient les uns. Fatalisme, crient les autres.
Le vrai problème ne réside pas dans le manque de créativité de l’humain, mais bien davantage dans la réelle volonté de mettre cette créativité au service de l’humain. Une volonté qui, pour le moment, ne se lit guère que dans les discours de leaders et de penseurs, aussi brillants, aussi créatifs soient-ils.
Jean-Jacques Stréliski est professeur associé à HEC Montréal, spécialiste en stratégie de l’image.
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Retour à la case départ
« Retrouver les zones d'équilibre »
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