Et moi qui pensais que l’air s’assainissait. Depuis deux semaines, l’atmosphère s’est de nouveau détériorée. La Charte des valeurs québécoises est au cœur des débats. On sait désormais qu’elle laissera des traces et des cicatrices.
Depuis deux semaines, je vis dans un état de laïcité extrême dans un État qui prône l’extrême laïcité. Ou presque.
Ce qui devait être un débat de société – et il y en a parfois, soyons juste – se révèle le plus souvent un combat féroce où s’insultent couramment et violemment les antagonistes de tous bords. Et ce n’est pas marginal, comme le prétendent certains. J’ai bien compris qu’on ne peut résoudre ce débat à un rapport xénophobe et raciste, il n’en demeure pas moins que, fort souvent, il en donne tous les visages. On ne peut plus l’ignorer.
À la rencontre du Québécois «pure laine», je peux désormais constater qu’il existe bel et bien un Québécois «pure haine», excité et exacerbé au plus haut point, et qui ne se prive plus de prendre la parole, les réseaux sociaux et radios-poubelles aidant. C’est non seulement inqualifiable, mais c’est proprement inacceptable. Le gouvernement doit prendre acte de cela, sans légèreté.
Soyons clair, j’ai toujours été laïque et québécois dans l’âme. Parfois même plus québécois que je n’aurais dû le montrer, surtout lorsque je voyage (en France), vous voyez ce que je veux dire! Aussi ai-je toujours pensé que je vivais ici en terre laïque. Plus laïque que souverainiste, d’ailleurs.
Il semble bien que l’on veuille alors amalgamer ces deux aspects de l’identité nationale. Au prix de ce débat inévitable. Et voici que le Québec s’entredéchire à nouveau. Car l’État veut décider de guider et de cadrer les valeurs des Québécois! Qu’on me parle de ma laïcité, passe encore, mais pas de mes valeurs. Elles sont miennes. Donc déjà le nom de cette Charte pose problème. «Charte de la laïcité d’État» eût été plus juste que «Charte des valeurs québécoises».
Tout a été dit et redit sur cette Charte. Et les choses n’en resteront sûrement pas là. Tout se jouera évidemment lors de la prochaine élection. Puisque c’est cela que le gouvernement cherche. Une majorité de manœuvre sur la question identitaire. Était-ce vraiment la bonne stratégie? Il appert que, pour ce gouvernement, la fin justifie les moyens. Mais d’ici là, bonjour l’ambiance!
Mais au fait, où est le rêve, où est l’espoir d’un pays dans tout cela?
L’autre Québec
En effet, pendant ce temps, personne au gouvernement ne nous parle de ce projet de Québec auquel j’aspire, comme tant d’autres. De ses ambitions réelles, de ses talents fabuleux, de sa capacité innovante et rayonnante, de ses innombrables compétences ancestrales et nouvelles. De l’énergie de ses étudiants, du savoir grandissant de ses universitaires et de la force incroyable de son entrepreunariat retrouvé. De son regard d’avenir. De sa capacité et de sa fierté évidente — comme ce fut le cas la semaine dernière — à faire voler les avions de demain. De son goût marqué pour les tendances nouvelles, toutes disciplines confondues. Et, il y a tant d’exemples à donner. De sa soif d’éthique, de justice, de tolérance, d’ouverture et de transparence. Bref d’autant de raisons «différenciantes».
De ses choix économiques et environnementaux nouveaux, de ses orientations culturelles, sociales, citoyennes et humaines, orientations propices à rassembler un pays naissant. Si le gouvernement ne peut plus être devant la société en marche, eh bien, au moins, qu’il soit derrière.
Il est temps de refaire le projet du Québec. En gouvernant autrement.
De se faire une identité remarquable, unique et attirante. Le monde a changé? Tant mieux. Il était grand temps.
L’identité des Québécois est au cœur du débat, c’est tout à fait légitime. Mais il faut accepter que cette identité soit faite autant de notre capacité à donner aux nouvelles générations un avenir serein que de contempler le courageux et difficile chemin parcouru. Sans le renier, bien entendu.
La semaine dernière, on m’a demandé quelle image ce débat donnait de nous. J’ai répondu que cela n’avait guère d’importance pour le moment. L’important est davantage de réaliser quelle image nous avons de nous-mêmes.
Le Québec ne sera pas libre, tant qu’il ne se sera pas libéré de lui-même et de ses vieux démons. De ses rancœurs et trahisons, qu’on lui a et qu’il s’est lui-même infligées. Un combat de racine, de pure laine et de souche n’est certainement pas le bon.
Il est temps et possible de refaire le projet du Québec. En le gouvernant autrement.
Le Québec le mérite amplement.
Jean-Jacques Stréliski est professeur associé à HEC Montréal, spécialiste en stratégie de l’image.
Questions d’images - Le Québec libéré
Comment faire un pays sans préciser d'abord qui l'on est ? Un besoin de précision né de la savante confusion entretenue par certains dans le but de nous le faire oublier
Jean-Jacques Stréliski8 articles
professeur associé à HEC Montréal, spécialiste en stratégie d'images
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