Dans la foulée du livre de Jacques Parizeau

Quelle voie privilégier pour transformer les Québécois de sujets soumis en acteurs politiques ?

Chronique de Claude Bariteau


Jacques Parizeau durant la campagne référendaire de 1995. Photo : Jacques Nadeau - Le Devoir
***

Dans La Souveraineté du Québec, Jacques Parizeau avance que ceux et celles qui le veulent font partie du «nous» québécois. Mais ne peuvent exister réellement comme Québécois que responsables d'eux-mêmes «dans une démocratie où l'État est pleinement redevable à ses citoyens». Il développe ce point en lien avec la mondialisation et l'obligation, qui en découle, d'aviver la croissance et d'instituer démocratiquement un «vivre ensemble».
À bien y penser, cet écho à la responsabilité et à la redevance, qui apparaît au début et revient à la fin, a une profondeur qui déborde le demi-siècle privilégié par Parizeau pour parler de souveraineté. Il renvoie à l'histoire politique des luttes menées par des sujets pour se libérer de leur assujettissement et par les détenteurs du pouvoir, qui le conservent à l'aide d'alliés locaux comme l'a révélé Pierre Falardeau dans Le Temps des bouffons.
Sous la France, les habitants de la Nouvelle-France, autochtones comme français, furent des sujets coloniaux. La Conquête britannique de ce territoire change leur statut. À la mi-août 1760, peu avant la reddition de Montréal (8 septembre 1760), les accords d'Oswegatchie font des Sept Nations confédérées du Canada des sujets associés aux Britanniques. Après, le Traité de Paris (1763) précise que les ressortissants français de la Province of Québec deviennent des sujets coloniaux britanniques qui, en vertu des Traités de Westphalie (1648), peuvent pratiquer la religion catholique.
Suites politiques
Des suites politiques en découlent. La première, en 1769, est le renouvellement des accords d'Oswegatchie après le soulèvement de Pontiac. Au même moment circulent des pétitions sous l'égide de seigneurs, marchands et membres du clergé catholique en vue d'élargir leur zone commerciale et de prélever le cens et la dîme. Elles conduisent à l'adoption par Londres de l'Acte de Québec (1774), la deuxième suite. Le tournant fut toutefois la charge sur la Province of Quebec, au nom du Premier Congrès continental des États-Unis, que veut stopper la Grande-Bretagne en utilisant les élites locales pour inciter les sujets soumis à le demeurer.
La troisième est l'Acte constitutionnel de 1791. À la demande de loyalistes fuyant les États-Unis, Londres scinde la Province of Quebec en Bas et Haut-Canada et institue, dans chaque entité, une assemblée législative avec des pouvoirs contrôlés par deux Conseils
(législatif et exécutif) et un Gouverneur. Prend alors forme un favoritisme qui amène le Parti canadien à réclamer, en 1810, la responsabilité ministérielle, que refuse une Grande-Bretagne sur le point d'entrer en guerre avec les États-Unis.
Vingt-cinq ans plus tard, le Parti patriote vote un projet de gouvernement responsable. Londres s'y oppose. Renforce plutôt le pouvoir des Conseils et du Gouverneur et consent à la création d'un Conseil spécial. C'est l'impasse. S'ensuivent les affrontements de 1837-1838. À Odelltown, les détenteurs du pouvoir et leurs alliés en sortent vainqueurs. Peu après, Londres adopte les transformations souhaitées par le Parti des bureaucrates, dilue l'entité politique du Bas-Canada, minorise les sujets de ce territoire et les contraint à payer les dettes du Haut-Canada. C'est l'Acte d'Union de 1840, la quatrième suite.
Guerres et colonies
[->rub945]En 1846, Londres octroie à ses colonies le gouvernement responsable sur les affaires locales. En 1848, lord Elgin l'accorde au Canada-Uni. L'année suivante, les députés adoptent la Loi des pertes de la rébellion et les vainqueurs d'Odelltown, en colère, incendient le parlement de Montréal. Après, Londres reconnaît à ses colonies plus de latitude. Un Traité de réciprocité (1854-1864) est signé entre le Canada-Uni et les États-Unis. Au même moment, aux États-Unis, c'est la guerre de Sécession (1861-1865). Comme la Grande-Bretagne appuie les sudistes, elle craint que l'armée de l'Union n'envahisse ses colonies du nord et dépêche 11 000 soldats à Québec. Lorsque les Étatsuniens mettent fin au Traité de réciprocité, elle fait construire les forts de Lévis pour contrer leur charge qu'elle appréhende jusqu'à Londres.
C'est à ce moment que la Grande-Bretagne souhaite regrouper ses colonies d'Amérique du Nord pour rendre plus problématique leur annexion aux États-Unis. Comme il y a un projet de fusion dans les Maritimes à cette fin, elle incite le Canada-Uni à participer à la Conférence de Charlottetown. Peu après, elle invite les concepteurs du Dominion of Canada à l'adapter en vue de rallier une majorité de députés canadiens-français du Bas-Canada. Ainsi naît le Canada, la cinquième suite.
Quatre ans plus tard, la Grande-Bretagne règle son litige avec les Américains et retire ses militaires de Québec. Le Canada se dote progressivement d'une armée et est reconnu en 1931 distinct de la Grande-Bretagne. C'est la sixième suite. Durant son déploiement s'irradie un nationalisme canadien-français ethnico-religieux. Il s'exprime politiquement notamment lorsque le gouvernement Duplessis refuse les subventions fédérales et double la taxation pour forcer le Canada à retourner aux provinces les pouvoirs qu'elles lui consentirent lors de la Seconde Guerre mondiale.
Sur la scène internationale, c'est une période de décolonisation et de reconnaissance de nouveaux États souverains, qui infléchit le Canada à répondre positivement aux demandes du Québec. S'ensuivent la Révolution tranquille et un néonationalisme. C'est la septième suite. Dans leur sillage émergent des projets d'égalité au sein du Canada, voire d'indépendance, qui débouchent sur la tenue de deux référendums.
Le premier donne au Canada une justification pour rapatrier et pour amender sa Constitution sans l'aval de l'Assemblée nationale. C'est la huitième suite. Peu avant le deuxième, la Cour suprême confirme la validité du traité d'Oswegatchie. Aussi perdu, ce deuxième référendum incite le Canada à revoir les paiements de péréquation, à investir massivement dans les champs de compétence provinciale, à adopter la Loi de clarification et à mettre en place des mesures visant à niveler le Québec à son ordre. C'est la neuvième suite.
Peuple déresponsabilisé
Ces suites révèlent le peuple québécois tel qu'il est, un collectif de sujets soumis à un ordre politique qui le déresponsabilise et auquel n'est aucunement redevable, hier la Grande-Bretagne, aujourd'hui le Canada. C'est ici que devient important le principal legs de René Lévesque, qui est d'avoir fait reconnaître, avec le monde comme témoin, qu'il revient à ce peuple de décider démocratiquement de son avenir. Ce legs peut s'activer lors d'un référendum ou d'une élection dont l'indépendance est l'enjeu et au cours de laquelle ses promoteurs s'engagent à la faire s'ils obtiennent une majorité de votes et de députés.
Dans son livre, Jacques Parizeau fait écho à la Loi de clarification. Évoquant une troisième tentative pour réaliser l'indépendance du Québec, il signale que la méthode n'est pas fixée. Les circonstances ayant changé, il invite les indépendantistes à réfléchir avant que la direction du PQ et celle du Bloc québécois ne décident d'en proposer une et l'organisent. Cette invitation est majeure, car il est urgent de soupeser les risques d'un référendum que minimise, à mes yeux, la voie électorale pour transformer des sujets soumis en acteurs politiques auxquels sera redevable l'État du Québec.
***
Claude Bariteau - Anthropologue

Featured 99fbda41af3a69850ed2cf2a14d3f88e

Claude Bariteau49 articles

  • 56 636

Claude Bariteau est anthropologue. Détenteur d'un doctorat de l'Université McGill, il est professeur titulaire au département d'anthropologie de l'Université Laval depuis 1976. Professeur engagé, il publie régulièrement ses réflexions sur le Québec dans Le Devoir, La Presse, Le Soleil et L'Action nationale.





Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé

-->