Québec Solidaire, réuni dernièrement en Congrès à Montréal, a voté majoritairement contre une proposition visant à étendre les dispositions scolaires de la loi 101 au réseau des Cégeps.
Félicitons-les, premièrement, pour avoir osé débattre de ce sujet difficile.
Regrettons, deuxièmement, qu’une telle mesure ait été rejetée.
Rappelons-nous que le parti Québécois a débattu de cette mesure pendant plus d’une décennie pour finalement l’adopter en congrès au printemps passé, mais cette adoption à l’arraché n’était due qu’à l’acharnement inouï de Pierre Curzi, qui a choisi d’en faire son principal combat et une question de principe. Il faut comprendre que si cette mesure a réussi à être entérinée par les militants, c’est parce que les hautes sphères péquistes, hostiles à la proposition, n’ont pas réussi à stopper la charge menée par Curzi. Celui-ci parti, on devine cependant qu’elle sera évacuée en douceur du futur programme du PQ.
Il est navrant de constater à quel point une chose aussi fondamentale et nécessaire que la loi 101 au Cégep à du mal à s’imposer. Quel autre état au monde est 1) en processus de minorisation sur son propre territoire et 2) finance ainsi sans restriction un réseau d’éducation parallèle au réseau national? Si vous en connaissez, faites-moi signe!
La loi 101 au Cégep devrait pourtant aller de soi.
La situation de laisser-aller actuelle, qui ne profite qu’au réseau anglais, a quelque chose de surréaliste.
Revenons en arrière. La mouture originale de la loi 101 n’incluait pas les Cégeps ni les universités. L’argument pour les exclure des dispositions scolaires voulait que l’orientation linguistique des allophones était fixée dès le secondaire et que l’ajout de quelques années de plus de scolarisation en français ou en anglais n’aurait aucun impact sur les choix linguistiques de ceux-ci. En outre, l’on jugeait que vu que la proportion d’une classe d’âge qui avait accès aux études supérieures était réduite, l’impact d’une telle mesure serait limitée.
L’on sait maintenant que l’argument de l’orientation linguistique était erroné. Les transferts linguistiques sont loin d’être fixés à 16 ou 17 ans. Plusieurs études l’ont prouvé dans les dernières années.
L’on sait aussi que la proportion d’étudiants qui fréquentent les Cégeps a doublé depuis l’adoption de la loi 101. Le nombre d’étudiant en cause n’est plus négligeable.
Bref, les arguments qui ont influencé les concepteurs de la loi 101 dans le sens du libre-choix ne tiennent plus la route.
***
Mais pour justifier la statu quo, l’on est jamais à court d’imagination au Québec. On a maintenant recours à d’autres arguments pour justifier l’inaction.
Amir Khadir a motivé le choix de Québec Solidaire en affirmant que 1) il était plus urgent de se pencher sur l’usage du français au travail et 2) seul un faible pourcentage de francophones choisissent le cégep en langue anglaise et 3) la proportion d'allophones posant le même choix diminue.
On se demande d’emblée par quel prodige rhétorique l’urgence de franciser la langue de travail peut conduire a déconsidérer la loi 101 au Cégep. Ne peut-on pas mâcher de la gomme et marcher en même temps?
Réfutons d’abord les arguments 2 et 3 avant de parler du premier.
La proportion de francophones qui fréquentent le réseau anglais augmente sans cesse depuis 1981. À cette date, ils étaient 2,9 % à le faire, ils sont maintenant 5,6 %. Il existe donc un intérêt croissant chez les francophones à poursuivre leurs études postsecondaires en anglais. Il y a, oui, encore un faible pourcentage de francophones qui choisissent le Cégep anglais, mais il est en croissance et en chiffres absolus, il y a autant de francophones que d’allophones qui choisissent le Cégep anglais (environ 1500-1700 par année pour chaque groupe).
Par ailleurs, il n’est pas prouvé que la proportion d’allophones qui fréquente le Cégep anglais soit en réelle diminution. Les chiffres qui suggèrent la chose viennent du Conseil supérieur de la langue française (CSLF) qui affirmait que la proportion d’allophones inscrits au Cégep anglais en 2009 venait de connaître un recul considérable, aussi subit qu’inexpliqué. Chiffre que le Ministère de l’éducation (MELS) est toujours en train de valider et ne veut pas confirmer, même si le CSLF l’a publié depuis plus de 6 mois.
L’argument du faible nombre ne tient pas plus la route. Comme la francisation est un effet qui joue sur la longue durée, il faut voir l’effet cumulatif des mesures proposées. Sur 35 ans, soit le temps d’une carrière, près de 125 000 individus acquerraient au moins une partie de leurs connaissances techniques de travail en français plutôt qu’en anglais si la loi 101 était étendue aux Cégeps. Ces 125 000 personnes représentent 6 % de la population active de la région de Montréal. Cela aurait un impact considérable sur la francisation des milieux de travail, tant souhaitée par QS.
Enfin, il faut comprendre que les chiffres plus haut portent sur la fréquentation des Cégeps et non sur le désir de s’inscrire au réseau anglais. Il faut savoir que le MELS limite la croissance du nombre de places dans le réseau anglais en contrôlant le nombre de places dans les deux réseaux. Alors que le nombre de demandes d’admission dans les Cégeps français s’est accru de 11 % entre 2007 et 2010, celui des Cégeps anglais a augmenté de 30 % pour la même période. La demande pour le Cégep anglais augmente trois fois plus vite que celle pour le Cégep français! Beaucoup d’étudiants qui souhaiteraient étudier en anglais sont forcés de se tourner vers le réseau français en deuxième choix. Bref, si le MELS ne limitait pas la croissance du réseau anglais à Montréal, nous assisterions à un véritable effondrement relatif du réseau français.
Parlons maintenant de la langue de travail.
Il est louable de vouloir franciser la langue de travail. Tout le monde est pour la vertu. Cependant, c’était déjà un des buts principaux de la loi 101. Le français devait devenir la langue “normale et habituelle” du travail. Les concepteurs de la loi 101 ont choisi d’obliger la fréquentation du réseau français au primaire et secondaire tout en s’attaquant à la langue de travail (tiens, tiens, ils devaient en faire des heures sup!). Trente-cinq ans après, force est de conclure que si les clauses scolaires ont eu un impact majeur, celles portant sur la langue de travail ont eu un effet mitigé voire nul. L’anglais règne toujours en maître sur de vastes pans de l’économie Québécoise (surtout Montréalaise). De nombreuses entreprises n’ont toujours pas de certificats de francisation et les progrès chez de nombreuses autres qui l’ont sont faibles ou inexistants. Enfin, des pans importants de l’économie Québécoise relèvent du fédéral (200 000 travailleurs), qui n’acceptera jamais d’imposer le français et impose plutôt l’anglais de façon systématique. Bref, il est louable de vouloir franciser la langue de travail, mais voilà une voie ardue, difficile, et en partie illusoire car le contrôle nous échappe en partie. Quelle mesure QS mettra-t-il en place qui, tel un coup de baguette magique, permettrait d’imposer le français comme langue de travail à des centaines de milliers de travailleurs à Montréal? On aimerait avoir les détails d’une proposition aussi géniale!
Mais n’est-il pas illogique de franciser la langue de travail après coup alors que l’on ait payé de coûteuses études pour former des travailleurs en anglais? On dépense de grosses sommes pour former des travailleurs en anglais et après, on en dépense d’autres pour essayer de les forcer à parler français. Y comprenne qui pourra!
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Un argument souvent répété pour justifier le statu quo est qu’il ne faut pas empêcher les jeunes d’aller parfaire leur anglais s’ils le désirent. Quoi de mieux qu’une immersion totale pour ce faire? On voit ainsi le Cégep anglais comme un stage linguistique d'où les élèves vont revenir bilingues, mais francophones de coeur. Or, une telle vision des choses ne cadre pas avec la réalité.
Une étude récente de l’Institut de recherche sur le français en Amérique (IRFA) montre clairement que le passage au collégial anglais a un effet anglicisant important chez les non-anglophones et significatif chez les francophones au niveau de la langue d’usage privée et publique si on compare avec le comportement linguistique des allophones et des francophones qui fréquentent le collégial français. L’utilisation du français baisse drastiquement au plan de la langue de travail, de la langue de consommation des biens culturels, de la langue que l’on utilise comme consommateur et surtout de la langue utilisée avec les amis chez ceux qui étudient dans un environnement anglophone. Qui plus est, les réponses obtenues quant aux questions posées sur les projets de vie viennent réfuter l’argument selon lequel le cégep anglais ne représente qu’une expérience temporaire permettant de perfectionner sa connaissance de la langue avant de réintégrer un environnement plus francophone. En fait, le passage au collégial anglais est plutôt un tremplin vers des études universitaires en anglais et une intégration au marché du travail anglophone. L’étude de l’IRFA montre clairement que le choix du Cégep anglais résulte souvent d’une décision de tourner le dos au Québec français.
Quant à l’apprentissage de l’anglais, malgré toutes les légendes urbaines, le réseau français effectue un travail appréciable à ce compte. Par exemple, le taux de bilinguisme chez les francophones qui détiennent un baccalauréat est de 63 % et s’élève à 74 % chez ceux qui détiennent une maîtrise. À l’inverse, le taux de bilinguisme est de 42 % chez les gens qui ont un DES et de 21 % chez ceux qui n’ont pas terminé l’école secondaire.
En clair, ce qui limite le taux de bilinguisme au Québec (qui est déjà extrêmement élevé, notons-le) est le décrochage scolaire. Le Québec n’a pas une problème de bilinguisme, il a un problème de décrochage. Si on veut augmenter la connaissance de l’anglais au Québec, on n’a qu’à monter le taux de diplomation!
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Pour terminer, il faut mentionner que les porte-paroles de Québec Solidaire répètent depuis des années à qui veut l’entendre que l’essentiel c’est la langue de travail et que c’est à ça qu’il faut s’attaquer. Ils feignent d’ignorer les études récentes comme celle de l’IRFA, de Charles Castonguay ou de Pierre Curzi, qui leur auraient permis d’actualiser leur pensée. En insistant exclusivement sur la langue de travail, ils lâchent la proie pour l’ombre et ils écartent des mesures structurantes dont l’efficacité est démontrée au profit de mesures dont on connaît l’efficacité limitée.
Il faut tirer les leçons du relatif échec de la loi 101 auquel nous assistons au lieu de vouloir simplement refaire la même chose en espérant que cette fois, les mesures de francisation de la langue de travail auront du succès (si on est plus gentils? plus “ouverts”, plus souriants?). Les enseignements de la loi 101 sont féconds: l’on sait maintenant qu’il est possible de dynamiser le français au Québec et que le triomphe de l’anglais n’est pas inéluctable comme la montée de la marée. Les leviers qui fonctionnent sont connus. L’anglicisation du Québec que l’on vit actuellement est largement le résultat de mièvres politiques gouvernementales tant au fédéral qu’au “provincial” (qui mérite ce nom actuellement).
Il faut agir à la fois sur la langue de travail, sur la fréquentation scolaire, sur l’affichage, etc. Une approche partielle est condamnée à l’échec. Pourquoi Québec Solidaire choisit-il sciemment l’échec, en toute connaissance de cause?
Frédéric Lacroix
Québec solidaire et le Cégep français
La situation de laisser-aller actuelle, qui ne profite qu’au réseau anglais, a quelque chose de surréaliste.
Le français — la dynamique du déclin
Frédéric Lacroix85 articles
PhD, Chercheur, Institut de recherche sur le français en Amérique (IRFA)
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8 commentaires
Archives de Vigile Répondre
23 décembre 2011@ Zootrope,
La pauvreté tue comme le mentionne cet article:
http://www.ledevoir.com/societe/sante/337144/inegalites-sociales-mortelles-injustices
Ne faut-il pas alors considérer une question de vie ou de mort comme étant plus importante que la langue?
Archives de Vigile Répondre
23 décembre 2011« Quand les besoins de base seront comblés au Québec, il sera plus facile de s’occuper de défendre la langue française. »
Ne venez pas me dire qu'on ne pourrait pas combler les besoins de base en français au Québec. Pourquoi faut-il, pour certains, qu'il y ait toujours quelque chose de plus important que la langue.
Archives de Vigile Répondre
23 décembre 2011QS vient de se retirer du blogue Huffington parce que ses adversaires politiques qui ont libre-accès à tous les média québecois majeurs se sont montrés en désaccord!
Ils ont servilement obéi à leurs ennemis!
Ca ressemble à du Lucien Bouchard!
Archives de Vigile Répondre
23 décembre 2011QS se rend compte qu'avant de parler français ou n'importe quelle langue, il faut avoir de quoi de se loger, se nourrir et se vêtir.
QS met tout simplement les priorités à la bonne place en proposant un revenu universel afin que tous puissent vivre décemment au Québec.
Quand l'estomac est vide, il n'y a rien qui nous intéresse.
Quand les besoins de base seront comblés au Québec, il sera plus facile de s'occuper de défendre la langue française.
Pablo Lugo Herrera Répondre
23 décembre 2011QS — avant le 2 mai — avait la possibilité d'avoir eu, au moins, 6 députés de plus aux prochaines élections. Aujourd'hui, maximum 1 qui accompagnera Amir et reste à voir!
Archives de Vigile Répondre
23 décembre 2011Qu'a fait et dit le PQ dans l'affaire de la RAMQ où des immigrants pouvaient obtenir leur correspondance en anglais « à vie » ? RIEN.
Et on nous demande de défendre la langue française « à vie »...
Nos politiciens souverainistes sont en-dessous de tout, et ce, depuis 1976. Des mercenaires et des opportunistes !
Daniel Roy C.A. Répondre
22 décembre 2011Moi aussi j'ai dénoncé cette décision de Q.S.. Je suis heureux que vous en ayez fait une superbe analyse. Je m'empresse d'en envoyer une copie à nos élites http://web.me.com/bernarddesgagne/PQ/Courriel.html avec le préambule suivant:
Le P.Q. nous a trahi en renonçant à l'affichage public en français seulement.
Q.S. nous a trahi en permettant de financer à même nos impôts l'éducation dans une autre langue que la langue nationale.
Daniel Roy, C.A.
Archives de Vigile Répondre
22 décembre 2011Bonjour M. F. Lacroix,
En effet, l'attitude de QS est surprenante. J'avais proposé à deux reprises à QS de faire un exposé sur le sujet. Mme F. David a décliné l'invitation, préférant s'en tenir à son préjugement et M. A. Khadir n'a jamais répondu. l'ADQ et la Coalition pour l'avenir,,, ont eu la même réaction. Ils ne veulent même pas entendre!, aberrant. n'est-ce pas?
Je m'étais déjà penché sur la question, avant le rapport de l'IFA, et j'ai composé un argumentaire et un article très pragmatique que l'on tarde à publier (présenté en février 2011 à la revue ..).
En attendant, nous nous rejoignos quoique mon approche par consensus porterait que sur la première année du cégep, pour des raisons que j'explique ailleurs et dont une introduction très partielle est donnée dans :
http://www.vigile.net/Le-debat-est-relance-avec-une