Je l’admets, titrer mon texte du 14 février dernier « Tout ce que vous devez savoir sur le nouveau coronavirus » était présomptueux. Parce qu’on se trouve peut-être au début de l’histoire plutôt qu’à sa fin. Et qu’on découvre de nouveaux éléments tous les jours.
Voici où nous en sommes aujourd’hui, pendant que la « coronanxiété » se répand encore plus vite que le virus. Souvent à tort… mais aussi, en partie, à raison. J’imagine que le premier cas documenté jeudi à Montréal de COVID-19 n’aidera d’ailleurs pas à limiter l’appréhension, dans la mesure où jusqu’ici, ça se passait surtout ailleurs…
Mettons les choses en perspective. Si l’épidémie s’interrompait aujourd’hui (c’est arrivé à force de confinement aux coronavirus du SRAS de 2002 et du MERS de 2015, après tout), il n’en resterait que le souvenir d’un épisode infectieux relativement anecdotique à l’échelle de l’aventure humaine, ayant entrainé bien moins de dommages que ceux causés par des virus plus familiers.
Un virus courant comme celui de la grippe « ordinaire », par exemple, fait bon an mal an 650 000 morts dans le monde, contre un peu moins de 2858 morts jusqu’ici pour près 83 381 cas pour le nouveau coronavirus. C’est tout de même 200 fois plus, pour une infection dont on se méfie peu, pour laquelle on hésite même à se faire vacciner.
Mais la crainte de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) avec le nouveau coronavirus, ce n’est pas tant ce qui est arrivé jusqu’ici, que ce qu’on ignore encore. Avec la densité de nos populations, les voyages internationaux auxquels nous nous prêtons et les transferts de marchandises propres à la mondialisation, on craint surtout que ce terrain de jeu bien particulier ne facilite le déclenchement d’une pandémie, dissémination virale importante sur plus d’un continent.
Mortalité incertaine
On évalue actuellement la mortalité de ce nouveau virus à environ 2.3 % en Chine (tout de même 20 fois celle de la grippe « ordinaire »), alors que les données globales pointent plutôt vers 3.4 %. Ce taux de mortalité, encore beaucoup plus faible chez les enfants, augmente toutefois jusqu’à environ 15% chez les personnes de plus de 80 ans.
Au-delà du taux de mortalité, le COVID-19 demeure tout de même une maladie grave pour les systèmes de santé eux-mêmes, qui doivent l’affronter autant que les individus. Le principal problème dans les régions touchées, comme la province de Wuhan, ce n’est donc pas tant le nombre total de morts, mais bien la pression énorme appliquée sur l’ensemble des ressources.
On parle en effet de milliers de patients éprouvant des difficultés parfois graves (habituellement respiratoires) qui se retrouvent hospitalisés, souvent aux soins intensifs. S’il est pour l’instant difficile de tenter d’évaluer ces dommages collatéraux, il est clair que la pression déstabilise le système de santé des régions les plus affectées, sans compter l’impact sur les travailleurs de la santé, à risque de contamination.
Après la Chine ?
En Chine, le principal foyer d’infection, on vit actuellement sous le joug d’une vaste politique de quarantaine, obligeant des dizaines de millions de personnes à vivre plus ou moins en isolement. Où en serions-nous sans cela ?
Mais il faut croire que ces mesures ont montré leurs limites, la principale nouvelle des deux dernières semaines, comme plusieurs experts s’y attendaient, ce sont les foyers d’infection secondaires en expansion, notamment en Corée du Sud, en Italie et en Iran.
Chacun devient par le fait même un « hot spot », où de nouveaux cas de transmission sont constatés et à partir desquels le virus peut essaimer vers de nouveaux rivages. Par exemple, on sait qu’à partir du foyer italien (où certains protocoles semblent avoir été mal appliqués), plusieurs pays limitrophes (Suisse, Autriche, Espagne par exemple) ont été touchés.
En fait, la majorité des nouveaux cas journaliers surviennent actuellement hors de Chine, où l’épidémie a plutôt tendance à ralentir. En Corée du Sud, par exemple, avec 505 nouveaux cas notés en 24 heures le 27 février (contre 450 pour la Chine). De même, en Italie : 155 nouveaux cas. Ou en Iran, avec 106 sur ce décompte récent. L’intensité de l’augmentation du nombre de cas dans ces pays va donner le ton pour savoir à quoi nous pouvons nous attendre dans les prochaines semaines.
Dans le monde, le fait que 52 pays soient touchés signifie un grand risque d’expansion, pour peu qu’on n’arrive pas à contenir les cas. Bien que l’OMS ait déclenché voilà plusieurs semaines le niveau d’alerte maximale, elle n’a pas encore déclaré l’existence d’une « pandémie », qui suppose la circulation à grande échelle d’un pathogène sur au moins deux continents.
Pour l’instant, les trois priorités de l’OMS quant au coronavirus sont de s’assurer d’abord que les pays mettent en place les mesures pour protéger le personnel oeuvrant auprès des malades. Ensuite que les communautés, surtout les personnes les plus vulnérables, soient protégées d’une éventuelle exposition au virus. Enfin de porter assistance aux pays les plus vulnérables (les plus pauvres), où l’on craint depuis le début une propagation rapide du virus en raison de l’insuffisance des moyens disponibles pour le contenir.
Pour la suite, personne ne peut encore prédire si les foyers secondaires vont continuer à prendre autant d’expansion qu’en Chine ou encore si de nouveaux foyers viendront s’ajouter à ceux constatés actuellement.
Voyager?
Devrait-on voyager en Europe actuellement, voire en Italie, par les temps qui courent ? La réponse dépend surtout de votre propre coronaxiété, parce qu’objectivement, il est sans doute plus risqué de se rendre en voiture à l’aéroport que d’attraper le COVID-19 en Europe.
L’Europe, c’est à peu près 750 millions de citoyens, parmi lesquels on retrouve actuellement environ 800 personnes affectées par le virus (toutes isolées), donc environ une sur un million.
Même si toutes ces personnes se promenaient partout, vous auriez bien peu de risque d’en rencontrer une. Et elle devrait encore réussir à vous infecter (ce qui n’apparaît pas si facile pour ce virus). Au Hubei, en Chine, une petite province comptant 58 millions d’habitants, seulement une personne sur 1000 est infectée, après tout.
Le risque de voyager n’est pas nul (ne peut l’être), mais il est infime. Et il demeurera sans doute très bas dans les sociétés où on arrive assez facilement à identifier, isoler et soigner les cas.
Et chez nous
Au Canada, où on n’a trouvé jusqu’ici 14 cas, tous isolés ou guéris, le risque est encore plus faible, ce qui n’empêche pas beaucoup de gens d’être coronanxieux.
Parce que la peur se répand souvent plus vite que le virus, sans doute le souvenir diffus des grandes épidémies qui ont mis à mal les humains au fil des siècles. Pour preuve, cette expulsion, malgré l’avis de deux médecins, d’un bébé ayant pris place sur un vol qui présentait des symptômes de rhumes ou de grippe. Une absurdité: s’il faut qu’on interdise l’avion à tous les enrhumés, on n’est pas sorti de l’auberge.
Les développements internationaux récents ont toutefois poussé jeudi les autorités de santé publique à modifier au Québec la définition des patients à risque pour en élargir les frontières (cette invention humaine dont les virus n’ont cure, c’est le cas de le dire). Dans nos établissements, on distribue ces instructions et les mises à jour sur une base régulière.
On peut voir que ce ne sera pas une mince tâche, parce que beaucoup de gens pourraient répondre dorénavant à cette définition élargie. Même si la probabilité de retrouver un cas réel parmi tous les grippés (nombreux actuellement) qui consulteront est plutôt réduite.
Cette charge pourrait avoir des impacts rapides dans nos urgences, puisque si un patient consulte pour un syndrome viral et revient d’un voyage d’Italie, il devra être considéré comme un cas de COVID-19 jusqu’à preuve du contraire, isolé de manière stricte et dépisté au moyen de tests appropriés.
Les effets éventuels d’une telle pression sur nos systèmes de santé déjà poussés à la limite en temps normal et sous tension en ces temps de grippe « ordinaire » pourraient rendre la tâche des soignants bien difficile, c’est le moins qu’on puisse dire. Même s’il y aura beaucoup plus de cas suspects que de cas réels. Parce que les cas suspects, il faut quand même s’en occuper au début comme des cas réels…
De l’espoir?
Ce qui donne un peu d’espoir, c’est non seulement le bon niveau de préparation des systèmes de santé, mais aussi la rapidité de la riposte des chercheurs suite à l’apparition du nouveau coronavirus, beaucoup plus rapide et systématique qu’au moment du SRAS, par exemple, aidé en cela par les développements technologiques soutenus des deux dernières décennies.
Ainsi, non seulement le virus a été rapidement séquencé génétiquement, mais les laboratoires se sont attardés, beaucoup plus rapidement qu’on ne le prévoyait, à développer des vaccins, dont certains en France et en Australie sont pratiquement prêts à être testés. Ce n’est pas une garantie de succès, mais ça donne au moins une idée de la bonne marche des choses, même si on parle d’au moins 6 mois pour qu’un vaccin soit disponible.
Du côté des traitements, toujours rien en vue, mais on s’active également en recherche, notamment chez nous, alors que par exemple le renommé chercheur Michel Chrétien a proposé de tester dans un cadre scientifique certains composés végétaux pouvant s’avérer intéressant pour lutter contre le virus. Rien n’est cependant encore prouvé, même si on a détourné la proposition du chercheur pour mousser des ventes.
Bref, il faut agir par tous les moyens afin de répondre le mieux possible à cette menace à qui on souhaite de se retrouver plutôt dans les mauvais souvenirs que dans nos hôpitaux. Vous l’avais-je déjà dit ? C’est une histoire à suivre.