David Oyelowo : mélanoderme ou leucoderme ?

Quand des Noirs passent pour des Blancs à l'écran

Tribune libre

J’ai vu récemment sur grand écran Coup de théâtre (See How They Run1), une comédie policière prenant Londres comme théâtre au début des années 1950, avec notamment l’acteur noir David Oyelowo interprétant le rôle d’un dramaturge. Tout le long du film, la couleur de peau d’Oyelowo ne semble revêtir aucune espèce d’importance. Pas une remarque ou une attitude désobligeante à son égard, pas une blague (c’est une comédie) douteuse ou raciste. Comme si, de mélanoderme, il avait viré comme par miracle à leucoderme. Il y a environ un an, j’ai vu un autre film au petit écran le mettant en vedette : Un royaume uni (A United Kingdom2), dans lequel il joue le rôle d’un Africain étudiant dans le Londres de la fin des années 1940 et qui tombe amoureux d’une Blanche. Là, c’est tout l’inverse : il fait face au racisme de la société britannique. Ah oui, j’oubliais : ce film a été réalisé par une Britannique née de parents africains3.


Il est étonnant qu’il n’y ait pas plus de spectateurs « racisés » qui soient offusqués par la pandémie d’anachronismes sévissant sur nos écrans.


Si j’étais Noir, je n’aimerais pas voir l’excellent acteur noir Denzel Washington interpréter le rôle de Don Pedro d’Aragon dans le film de Kenneth Branagh, Beaucoup de bruit pour rien (Much Ado About Nothing4), d’après William Shakespeare. Le voir ainsi jouer un prince aragonais, c’est se jouer de l’histoire. Les rares Noirs qui se trouvaient en Espagne au XVIe siècle n’étaient pas des princes, mais des esclaves pour la plupart. Si j’étais un de leurs descendants, je fulminerais. Imaginez maintenant que Branagh aurait situé l’action de sa comédie dans les États-Unis naissants, où l’esclavage a débuté en 16195. Est-ce que le descendant d’esclaves D. Washington, au patronyme bien anglo-saxon, aurait osé interpréter un pareil rôle ?


Il est tout de même paradoxal que les wokes dénoncent à grands cris les rarissimes acteurs blancs qui osent encore interpréter le rôle d’Othello (un Maure à la peau foncée) dans la pièce éponyme, mais qui se satisfont de ce qu’un autre excellent acteur noir, Adrian Lester, ait joué le rôle de Dumaine dans un autre film de Branagh, Peines d'amour perdues (Love’s Labour’s Lost6), toujours d’après le barde anglais. Il était non crédible en compagnon du roi de Navarre, même si l’action a été transposée en 1939. Rappelons qu’au début de la Deuxième Guerre mondiale, les Noirs étaient assimilés à des sous-hommes par la moitié de la population européenne. Cinquante ans plus tôt, ils étaient montrés dans des foires, comme on montrait des animaux exotiques.


L’acteur noir Djimon Hounsou joue le rôle de Bédivère dans le film Le Roi Arthur : La Légende d’Excalibur (King Arthur7). L’histoire de ce roi fictif du pays de Galles se situe à la fin du Ve siècle et au début du VIe siècle. Y avait-il des Noirs à cette époque sur l’ancienne terre des Celtes ? Non ! Faire se côtoyer ainsi Blancs et Noirs à cette époque, c’est travestir l’histoire des derniers et donner bonne conscience aux premiers.


L’acteur noir Omar Sy joue le rôle d’un « Québécois » dans le film L’Appel de la forêt (The Call of the Wild8), d’après d’œuvre de Jack London, avec Harrison Ford dans le rôle-titre. Il se nomme Perrault, patronyme typiquement français. L’action se déroule au Yukon à la fin du XIXe siècle. Les Noirs étaient pourtant alors rarissimes dans le Nord canadien. Au moins, si on avait choisi un Inuit, dont le peuple a longtemps régné sur ces froides contrées, mais non. C’est que les vedettes inuites sont pour ainsi dire inexistantes. Dans ce film, deux entités humaines sont insultées : les Noirs et les Inuits.


Drôle d’époque que la nôtre. Il faut à tout prix caser un comédien « racisé » dans les films (je ne féminise pas, car, curieusement, les comédiennes « racisées » sont peu nombreuses à faire ce remplissage : misogynie ?), même quand cela n’a aucun sens, historiquement parlant. Pourquoi ? Tout simplement parce qu’il faut convaincre le public « racisé » d’aller au cinéma, où le box-office est roi, surtout aux États-Unis.


En 1936, le jeune Orson Welles a fait une chose extraordinaire qui a choqué plus d’un bien-pensant : adapter Macbeth (un roi d’Écosse ayant vécu au XIe siècle) avec des acteurs exclusivement noirs, de la Negro Theatre Unit9. Un Macbeth10 vaudou dont l’action se situe en Haïti, au début du XIXe siècle (les Français venaient d’y être vaincus et l’esclavage aboli). Ce genre d’adaptation révolutionnaire est tout à fait acceptable, mais une distribution multiraciale est parfaitement ridicule quand le contexte ne s’y prête pas.




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