Qu'est-ce que veut dire être de «gauche» ?

Nouvelle Gauche - La social-démocratie revisitée


Elie Arié - La notion de « gauche », qui semble aller de soi, renvoie à des positions radicalement différentes selon les époques. Pour Elie Arié, il serait temps de reléguer au placard cette appellation d'un autre temps et d'en actualiser et d'en redéfinir les contours...


Face à la mondialisation, phénomène d’une ampleur aussi importante, dans l’histoire de l’humanité, que le passage au néolithique ou la fin du Moyen Âge (mais, eux, beaucoup plus lents et moins immédiatement généralisés), les « gauches » des peuples occidentaux constatent l’inefficacité totale des moyens qu’ils avaient opposés au capitalisme depuis deux siècles (grèves, manifestations, révolutions, etc., réduites à de stériles « indignations »).
Il faut aujourd’hui nous souvenir que les notions de « gauche » et de « droite » n’ont cessé, depuis leur apparition qui remonte à seulement un peu plus de deux siècles, de recouvrir des divisions qui n’ont cessé, elles non plus, de se modifier : nous avons toujours tendance à penser le présent en fonction des catégories d’hier, à raisonner dans l'anachronisme.
1) On sait que le terme remonte aux États généraux de 1789, et dérive de l'endroit où s'asseyaient les groupes ; à l'époque, la gauche représentait le parti du mouvement, du changement (par la réforme ou la révolution), de l'action, alors que la droite représentait le parti de la conservation (conservatisme) de l'ordre établi, de la réaction au changement (réactionnaires).
Aujourd'hui, à l'inverse, on peut dire que la droite, avec la mondialisation et la globalisation imposées par Reagan et Thatcher, a effectué une vraie révolution, un vrai changement économique et politique de la planète, face auquel la gauche, qui n'a toujours pas trouvé de parade efficace, se retrouve dans une position de défense des avantages acquis qui sont progressivement grignotés, de conservation de l'état du monde d'il y a 30 ans : le mouvement et l’initiative ont changé de camp.
2) Deuxième critère : la gauche, en France, à ses origines (Révolution Française), s'est identifiée au patriotisme, parce qu'attaquée par toutes les monarchies européennes : levée en masse, conscription, soldats de l'an II, la Marseillaise (« Allons enfants de la Patrie »), etc. ; puis, avec le socialisme, virage à 180 degrés : la gauche défend l'« internationalisme » prolétarien : « prolétaires de tous les pays, unissez-vous », la droite s'identifiant alors, au contraire, au nationalisme, à la xénophobie, à la lutte contre l'« anti-France » (expression qui désigne à la fois la gauche et l'étranger).
Nouveau virage à 180 degrés avec la mondialisation : c'est la droite qui devient l'internationaliste, la gauche qui défend ses acquis par le seul outil politique capable de le faire, la Nation, et qui fustige « la ploutocratie apatride ». Les prolétaires des pays riches et ceux des pays pauvres ont des intérêts aujourd’hui radicalement divergents, l'amélioration de la condition des seconds se faisant aux dépens de celle des premiers (délocalisations). Une telle divergence des intérêts des prolétariats de différents pays avait déjà existé, à moindre échelle, avec cette autre forme d'internationalisation qu'était le colonialisme.
3) Troisième critère : sous la Révolution Française, la gauche défendait « les libertés » : d'expression, d'opinion, de la presse, de vote au suffrage universel, face à l'absolutisme royal ... avant de changer une nouvelle fois radicalement, avec une certaine conception du marxisme où ces mêmes libertés sont condamnées par une partie de la gauche, qui les qualifiera de « bourgeoises » : dictature du prolétariat, parti unique en URSS, etc., dont on trouve encore des relents dans les appels aux manifestations de rue contre les décisions des gouvernements issus du suffrage universel.
Bref, la notion de « gauche », qui semble aller de soi, renvoie à des positions radicalement différentes selon les époques.
L’heure est sans doute venue de remiser provisoirement au placard nos concepts de « gauche » et de « droite », qui ne recouvrent aujourd’hui que des appellations héritées du passé par des appareils politiques contraints d’exercer, lorsqu’ils sont au pouvoir, des politiques identiques dans leurs grandes lignes, et de nous poser des questions concrètes :

• « Pouvons-nous avoir une action sur l’évolution actuelle du monde, et laquelle ? »
• « Pour l’infléchir dans quel sens ? »
• « Sous quelle forme maintenir les valeurs républicaines dans une économie sans doute définitivement mondialisée ? »
• « Avec quels moyens autres que l’incantation dans laquelle se cantonnent ceux qui s’autoproclament la vraie gauche en recherchant un impossible retour au monde d’hier, et sans renvoyer à leur misère d’hier les milliards d’individus qui en sont sortis depuis 20 ans? ».

Ce n’est qu’en fonction des réponses que les uns et les autres apporteront à ces questions que nous pourrons alors définir, une fois de plus, les nouveaux contenus des notions de « droite » et de « gauche » adaptés à une situation inédite.


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé