Introduction au volume 2, numéro 2
Gilles Bourque
_ Coordonnateur aux Éditions Vie Économique (EVE)
Dans ce 6e numéro de la Revue vie économique, nous avons choisi d’aborder le thème du renouvellement de la social-démocratie. Ce numéro paraît quelques jours avant la conférence organisée par le consortium de recherche pour le renouvellement de la social-démocratie les 26 et 27 novembre 2010, à Montréal. En complémentarité avec cet événement, la Revue désire offrir un ensemble de contributions permettant d’illustrer en quoi le renouvellement de la social-démocratie pourrait apporter les éléments d’un nouveau paradigme de développement pour la société québécoise.
L’échec du socialisme réel et la faillite du néolibéralisme forcent le constat suivant, à savoir qu’en dépit des erreurs qui ont pu jalonner son histoire, la social-démocratie apparaît aujourd’hui comme la solution de rechange la plus stimulante à partir de laquelle peuvent être explorés de nouveaux chemins de solidarité et mieux saisis les défis posés par l’articulation des relations entre l’État et la société civile. Pour beaucoup, aujourd’hui, la situation apparaît bloquée. Les promesses néolibérales ont accouché d’une augmentation des inégalités et de crises financières à répétition. À gauche, les formations politiques modérées ne se sont pas tellement distancées du néolibéralisme, alors que dans d’autres milieux plus marginaux, on nourrit l’illusion d’une rupture radicale et totale avec le capitalisme. Dans la perspective qui est la nôtre, renouveler la social-démocratie, c’est s’inscrire dans la grande tradition réformiste des démocraties occidentales, qui impose forcément des compromis entre les divers groupes.
Le colloque de novembre se veut moins l’aboutissement d’une recherche qu’un moment privilégié pour contribuer à engager le Québec dans une direction où des solutions nouvelles pourront être apportées à des problèmes nouveaux, qui se révèlent criants.
Présentation des articles du dossier
Les contributions de ce dossier visent à alimenter la réflexion sur les conditions générales actuelles qui rendent nécessaire un renouvellement majeur du modèle de développement et de la contribution des acteurs à sa formulation et à sa mise en œuvre.
Le premier texte du dossier nous vient de Michel Doré. Refusant, a priori, de prétendre faire une synthèse des avancées et reculs du mouvement syndical au Québec depuis dix ou vingt ans, son article s'intéresse plus spécifiquement à la question du travail, à la réalité quotidienne de chaque syndicat, le premier lieu où s'exercent la démocratie, l'expression de la solidarité et de la formulation des revendications. Après avoir fait un survol rapide des caractéristiques du modèle social-démocrate, l’auteur se penche sur les mutations qui se sont produites dans le domaine du travail au cours des dernières décennies, mais surtout sur des pistes de solutions pour le renouvellement de l’action syndicale et du projet politique qui s’impose pour reprendre l’initiative du combat.
L’auteur de la deuxième contribution, François Lamarche, poursuit cette réflexion à partir de l’idée que l'histoire du syndicalisme évolue avec celle de la social-démocratie, avec ses hauts et ses bas. Les politiques sociale-démocrates, nous dit-il, se développent historiquement lorsque le mouvement syndical est en expansion et qu'il accentue ses pressions sur les pouvoirs publics. Inversement, l'affaiblissement du rôle de l'État se produit alors que l'influence des syndicats dans la société est en net recul. Sa contribution ne traite pas directement du thème de la social-démocratie, mais puisqu'elle porte sur des considérations ayant trait au renouvellement de la question syndicale, elle interroge indirectement celle de la social-démocratie. Pour lui, ce renouvellement passe nécessairement par de nouvelles alliances des syndicats avec les autres mouvements sociaux ainsi que par sa capacité de reliance, c’est-à-dire de relier les exigences du travail avec celles de la vie hors-travail.
La troisième contribution du dossier porte sur la loi québécoise de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale (loi 112) et sur le processus démocratique qui lui a donné naissance, afin d'en faire ressortir les éléments les plus innovateurs. Dans un premier temps, son auteur, François Aubry, revient sur la longue et intense mobilisation populaire qui a précédé l'adoption de cette loi, qui l’a en quelque sorte engendrée. Dans un deuxième temps, il présente brièvement les principaux éléments de la loi 112. Enfin, dans une dernière partie, il conclut son texte en soulignant les éléments qu’il juge les plus innovateurs dans une démarche de démocratie participative et qui pourraient être inspirants pour celles et ceux pour qui le renouvellement de la social-démocratie constitue une tâche essentielle et urgente.
Le texte suivant est une contribution conjointe de Lionel Robert et François Belland. D’entrée de jeu, les auteurs affirment que pour penser le renouvellement d'une social-démocratie en santé, la première tâche qui s'impose est celle d'un exercice de clairvoyance sur la conjoncture actuelle, sur les changements annoncés dans l'accès aux services et sur la lecture catastrophiste de l'avenir du système de santé. Mais la deuxième tâche, rajoutent-ils, serait de laisser au réseau québécois de la santé et des services sociaux le temps de digérer les réformes récentes de structures. Le système ne va pas si mal, nous disent Robert et Belland, mais il ne va pas si bien non plus. Un système de santé doit s'adapter à de nouvelles circonstances, mais son architecture doit permettre de le redessiner plutôt que de le resoumettre à des transformations structurelles chaque décennie.
Dans sa contribution, Corinne Gendron propose de revisiter le rôle de l’entreprise, tout en revalorisant celui de l’État, dans la perspective d’une évolution de la régulation économique vers le développement durable. Elle avance l’hypothèse forte que le nouvel ISO 26 000 pourrait devenir un vecteur de la social-démocratie dans une économie mondialisée. En présentant cette récente norme comme un compromis social autour de la définition de la responsabilité sociale, Corinne Gendron y voit l’intégration de principes, de dynamiques et de valeurs qui ne sont pas sans parenté avec la pensée social-démocrate. Cette norme, nous dit-elle, est le fruit d’un processus de participation qui s’est révélé un formidable lieu de dialogue social, débouchant sur la reconnaissance de la dimension socialement construite du rôle des organisations dans la société.
La contribution suivante, de Christian Jetté, interroge le renouvellement de la social-démocratie sous l’angle du rôle de l’État en lien avec celui du « tiers secteur ». Se présentant lui-même comme faisant partie de ceux qui pensent qu’il est possible de réformer de manière importante la social-démocratie, mais en prenant la pleine mesure du rôle de l’État en tant qu’instance de régulation chargée d’arbitrer de manière démocratique les demandes des divers groupes d’intérêts dans la société, l’auteur relève l’importance de revoir l’articulation de l’État avec le tiers secteur. Selon lui, les principes d’action mobilisés par le tiers secteur s’avèrent déterminants pour un renouvellement des pratiques de développement social et économique et, sur le plan politique, au renouvellement de la social-démocratie.
Pour Christian Giguère, c’est sur le droit à l’éducation qu’il faut nous interroger. Dans un Québec moderne où il est de plus en plus important de gérer efficacement les finances publiques, nous dit-il, l’éducation citoyenne, sans être porteuse d’une quelconque idéologie, est nécessaire pour encourager la participation démocratique des jeunes générations, qui ont besoin de toutes les connaissances et compétences requises pour faire des choix éclairés et responsables. Son texte procède en trois temps : retour sur le rapport Parent et l’inscription du droit à l’éducation; constat concernant l’absence de projet politique et citoyen de l’administration actuelle; enfin, nécessaire actualisation du droit à l’éducation par un passage dédié à la formation du citoyen.
L’avant-dernière contribution nous vient de Pierre Paquette. Pour lui, le renouvellement de la social-démocratie est nécessaire parce que les politiques de l’État et les propositions de la société civile doivent constamment s’adapter aux changements, particulièrement structurels, dans les domaines de l’économie, du social, de la culture et de l’environnement. Il serait faux, nous dit-il, de suggérer que le projet social–démocrate n’a pas évolué au fil des décennies; mais les modifications des trente dernières années sur tous les plans, y compris et surtout à l’échelle planétaire, appellent un effort plus important et nécessitent une approche plus volontariste qu’auparavant. À son avis, l’avenir du Québec et du projet social-démocrate sera conditionné en bonne partie par notre capacité à relever cinq grands défis : la mondialisation, la lutte aux changements climatiques, le renforcement de la démocratie, le défi démographique et les assises de l’identité québécoise. Pour lui, évidemment, chacun de ces défis est intimement lié à la question nationale.
Le dernier texte du dossier sur la social-démocratie nous vient d’Yves Vaillancourt. Sa contribution porte sur l'apport de certains pays du Sud à la réflexion sur le renouvellement de la social-démocratie. À cet effet, il examine ce qui se passe depuis une décennie dans certains pays de la région de l'Amérique latine et des Caraïbes. Ce choix est d'autant plus pertinent que, sur le continent latino-américain, contrairement à ce qui se passe sur les continents européen et nord-américain, plusieurs gouvernements de gauche ou de centre-gauche ont pris le pouvoir depuis la fin du XXe siècle. Plus précisément, l'auteur se penche sur le cas du gouvernement de gauche de Rafael Correa au pouvoir en Équateur depuis janvier 2007. Un texte très instructif sur cette expérience originale.
Des articles hors-thèmes
Comment réinventer l'économie et l'orienter vers un type de société qui entend respecter les équilibres écologiques tout en étant porteuse de justice économique et sociale ? Telle est la question centrale de la contribution de Louis Favreau à ce numéro. On ne part pas de zéro, nous dit Favreau : des solutions à ces questions sont déjà en partie contenues dans des pratiques innovatrices de mouvements sociaux. Mais la pression capitaliste, tout comme celle des pouvoirs publics, reste très forte et fait obstacle à la diffusion de ces innovations. Par ailleurs, le fait qu’elles ne sont pas, pour la plupart, couplées avec des alternatives globales, constitue un obstacle probablement encore plus important. Le texte de Louis Favreau fait l’esquisse d'une problématique sur la sortie du capitalisme aujourd'hui.
Le deuxième article hors-thème est la suite de celui paru dans le précédent numéro de la Revue vie économique. Après avoir exposé l'évolution de la question depuis les vingt dernières années au Québec et exploré différentes approches qui guident les orientations de la société québécoise en matière de lutte contre la pauvreté, Lise St-Germain explore cette fois-ci la question sous l'angle des défis de l'intervention en l'illustrant dans le cadre d'une pratique d'action concertée, en l’occurrence celle du projet « école citoyenne », un projet d’intervention en matière de réussite scolaire auprès des familles en difficulté.
Le dernier texte de ce numéro nous vient de Bernard Billaudot, maintenant un habitué de la Revue vie économique. Dans le premier d’une série de deux textes, l’auteur présente la solution qu’il a trouvée, comme point d’aboutissement de sa recherche sur « la société moderne », pour comprendre pourquoi, pendant deux siècles, on ne s’est pas préoccupé du fait que le « développement réellement existant » n’était pas durable. L’explication est la suivante : le type de société « moderne » qui a vu le jour en Europe relève d’un modèle particulier : les institutions de base (la citoyenneté, la monnaie, l’État, le commerce, le salariat, la finance) sont justifiées en se référant à une conception de ce qui est « juste et bien » qui est enfermée dans le présent et qui ne prend en compte que les humains, en considérant que la « nature » n’est qu’un décor du social. Cette première modernité est aujourd’hui en crise. Une seconde modernité, nous dit Bernard Billaudot, qui fait place à une autre conception de ce qui est « juste et bien » en raison, serait seule à même de conduire à un développement durable.
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