QS ne veut pas d’alliance avec le PQ. Voyons pourquoi.

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Pierre Falardeau avait tout compris. Le PQ devra en faire autant et arrêter de perdre son temps à amadouer Mère Teresa Françoise. La convergence est impossible et tout effort investi dans celle-ci légitime QS





Il va falloir s’y faire: Québec Solidaire ne veut pas d’alliance avec le PQ. Les souverainistes militants en rêvent, en plus d’y voir la condition nécessaire à un éventuel renversement du gouvernement libéral. Ils s’imaginent que péquistes et solidaires sont frères, et qu’il suffirait d’un peu de bonne volonté pour que la famille se retrouve. On imagine la scène des embrassades, dans l’esprit des péquistes de bonne foi pour qui l’indépendance du Québec est plus importante que le reste: comment avions-nous pu nous égarer aussi longtemps ? Donnons-nous la main, et en marche vers le pays !


Évidemment, ce serait formidable. Sauf que cela n’arrivera probablement pas. Pour une raison simple: QS n’en veut pas. Son objectif, ce n’est de s’intégrer à une coalition souverainiste dont le PQ serait inévitablement la part centrale. QS mise plutôt sur une désintégration du PQ, avant ou après les prochaines élections, pour bâtir sur ses ruines. Son objectif, c’est de constituer un parti protestataire de gauche qui pèserait sur la vie politique québécoise sans pour autant aspirer sérieusement à la conquête du pouvoir. QS deviendrait une sorte de NPD Québec enraciné principalement dans la région de Montréal et obtenant ici et là quelques comtés. QS serait souverainiste, évidemment, mais ce ne serait pas le cœur de son engagement. Ce ne l’a jamais été.


Un peu d’histoire aidera. On s’imagine souvent que QS représente l’aile gauche du PQ qui s’en serait détachée parce que ce dernier se serait trop éloigné de la social-démocratie. Mais ce n’est pas exactement le cas. Si QS a certainement attiré un grand nombre d’électeurs qui traditionnellement, votaient pour le Parti Québécois et qui sont aujourd’hui attirés par un parti clairement plus à gauche et associé au renouvellement de l’offre politique, il représente néanmoins autre chose dans notre histoire politique: la permanence, au Québec, d’une gauche radicale qui a longtemps cherché un véhicule politique mais qui s’est longtemps perdue dans l’activisme groupusculaire et la multiplication des sectes militantes. Il faut retourner vers la Révolution tranquille pour en comprendre les mutations.


En fait, ce sont deux courants issus de la gauche radicale qui se croisent à QS.


Le premier s’est historiquement fait connaître à travers la mouvance «indépendance et socialisme». C’est un courant ardemment indépendantiste, mais qui a toujours reproché au PQ son souverainisme bourgeois, insuffisamment révolutionnaire. Pour le courant indépendance et socialisme, la souveraineté sans projet de société socialisant serait une coquille vide. Pour ce courant, la souveraineté doit accoucher d’une transformation sociale radicale – c’est ce qui la rendrait intéressante. La souveraineté, comme on aime le dire dans cette mouvance, n’est pas une fin en soi mais le vecteur d’un projet de société.


C’est ce qui amène ce courant, qu’on pourrait aussi associer à une gauche nationale, à fantasmer sur une assemblée constituante qui accoucherait non seulement de l’indépendance politique mais aussi d’un projet de pays qui serait marqué en profondeur par ses orientations progressistes. La constitution d’un Québec souverain serait une constitution ancrée dans une philosophie de gauche radicale. Évidemment, on laisse en suspens la question du pluralisme politique dans un Québec indépendant. Imaginons un Québec souverain dessiné par cette mouvance : que se passerait-il si, cinq ans après l’indépendance, un parti ressemblant à la CAQ gagnait les élections. Serait-il en droit d’appliquer son programme ou la constitution rendrait-elle la chose impossible?


Cette gauche est venue à QS à travers l’UFP. Évidemment, le langage politique a évolué. On ne parle plus aujourd’hui de socialisme, mais d’altermondialisme, de féminisme, d’écologisme ou encore d’écosocialisme. Les mots changent mais la logique demeure la même : si elle n’est pas clairement marquée à gauche, la souveraineté ne voudrait rien dire, ce serait une lubie patriotarde et nationaleuse sans intérêt véritable. Elle ne manque pas de mépris pour les indépendantistes historiques et les nationalistes identitaires qui valorisent l’indépendance en soi même si elle peut, en certaines circonstances, se montrer favorable aux revendications liées à la laïcité et au nationalisme linguistique. D’ailleurs, la frange la plus traditionnelle de ce courant, celle demeurée fidèle à son ancrage dans la Révolution tranquille, a rallié le PQ, il y a plusieurs années, avec la mouvance du SPQ Libre.


Le deuxième courant vient plutôt de cette frange de la gauche radicale qui, dès le début des années 1970, largue le nationalisme pour s’investir dans le militantisme marxiste-léniniste. Ou peut l’identifier à une figure comme Charles Gagnon. Dès lors, la souveraineté est congédiée au nom de l’internationalisme prolétarien, même si elle reconnaîtra le droit à l’autodétermination du peuple québécois. Une fois dissipée l’illusion de la révolution communiste, cette gauche se réinvestira, dans les années 1980, dans le mouvement communautaire, à travers l’activisme féministe radical ou antiraciste. Elle passera de la lutte contre le capitalisme à celle contre la civilisation occidentale, accusée d’avoir opprimée toutes ses minorités. Elle se montrera dès lors principalement préoccupée par les revendications des minorités identitaires. Cette mouvance viendra à QS à travers Option citoyenne. On trouve là l’origine de son adhésion emportée au multiculturalisme. La figure de référence de la gauche nationale, c’est historiquement le travailleur francophone aliéné par le capitalisme. La figure de référence de la gauche «internationaliste», c’est l’exclu. Cette mouvance préférera la lutte contre les discriminations que celle pour la redistribution des richesses aux classes moyennes et populaires.


Globalement, cette mouvance n’est pas souverainiste, même si sa principale représente, Françoise David, l’est assurément. Cette mouvance cultive surtout une aversion profonde à l’endroit du PQ, à la fois pour son souverainisme et son nationalisme historique et se plait à l’accuser de racisme. Le débat sur la Charte des valeurs lui a permis de dire tout son dégoût pour le Parti Québécois et ce qui peut ressembler de près ou de loin à une politique de l’identité nationale. Il cultive le dégoût des frontières, des identités historiques et de la civilisation occidentale. C’est pourquoi ses représentants se montreront favorables par exemple aux revendications liées au voile, et même au voile intégral, le féminisme étant ici déclassé par un multiculturalisme dogmatique qui s’alimente d’une aversion pour la civilisation occidentale, toujours accusée d’écraser les minorités. Le féminisme classique, issu de la Révolution tranquille, sera accusé de servir exclusivement les intérêts des femmes blanches et de pratiquer une violence symbolique néocolonialiste à l’endroit des femmes issues de l’immigration.


Ce courant est politiquement marginal (même s’il trouve un écho dans la nouvelle génération convertie à la logique diversitaire, surtout visible par son activisme sur les médias sociaux), mais médiatiquement important et occupe une grande place dans l’université québécoise – et plus largement, dans l’université contemporaine. Surtout, il parvient à s’imposer dans les grands débats qui façonnent notre temps en se faisant passer pour plus modéré qu’il ne l’est, en empruntant le langage des droits de la personne, et en masquant par là son antinationalisme radical et son assimilation de toute forme de conservatisme à du traditionalisme obscurantiste. Il est assuré de sa supériorité morale et ne tolérerait tout simplement l’alliance avec le nationalisme péquiste.


Ces deux courants se sont rencontrés dans QS, même si leur union a été difficile. Et dans la mesure où le souvenir de leurs vieilles luttes se dissipe, car ils se sont amplement affrontés dans leurs jeunes années, ils trouvent un discours commun, qui se veut un discours d’opposition non seulement au gouvernement en place, mais à l’ensemble du système politique. Et ces deux mouvances de la gauche radicale se sentent d’autant plus capables de faire des compromis entre eux qu’ils sentent qu’ils progressent. Les nouvelles générations militantes font une synthèse entre les deux courants d’origine, entre les deux sensibilités, qui s’atténuent, même si elles ne s’estompent pas complètement.


Selon les circonstances, une tendance pèse plus que l’autre. Quand Amir Khadir était la figure dominante de QS, le parti jouait davantage la carte du souverainisme décolonisateur, surtout lorsque le parti s’emparait des questions liées aux ressources naturelles. Françoise David, elle, mise davantage sur les thèmes de la gauche communautaire. La ligne multiculturaliste s’est imposée sans nuance et d’ailleurs, on constate que QS se sent plus proche du PLQ que du PQ sur la question identitaire. La gauche radicale et la droite néolibérale communient souvent dans un même rejet de la nation historique, au Québec et ailleurs.  


On peut croire que si le PQ réussissait à organiser un référendum sur la souveraineté, QS serait dans le camp du Oui, même s’il s’agirait d’un ralliement difficile. Mais on voit mal comment les deux partis parviendraient à s’entendre avant un référendum, en bâtissant une alliance électorale créant une dynamique politique pouvant conduire à un nouveau rendez-vous souverainiste. Toujours, QS trouvera à redire : on reprochera au PQ la personnalité de son chef, la défunte charte de la laïcité, les coupes en aide sociale, le déficit zéro, le manque de zèle écologiste et tout ce qu’on voudra. La souveraineté est présente dans le programme de QS. Mais ce n’est qu’une partie de son programme et manifestement pas la plus importante, même si sa cheffe, lors des élections, peut mettre de l’avant un discours souverainiste pour attirer vers elle les indépendantistes déçus. Mais il s’agit alors d’un souverainisme tactique.


De son côté, le PQ devra en prendre acte : il y a des limites à tendre la main à quelqu’un qui refuse de la saisir. La stratégie de la bonne entente a ses limites. Peut-être les péquistes doivent-ils, pour un temps encore, chercher pragmatiquement un terrain d’entente avec QS, ne serait-ce que pour faire preuve de bonne foi publiquement? Mais les péquistes, tôt ou tard, devront se poser une question simple : comment ramener vers eux les votes souverainistes sincères captés pour l’instant pas QS ? Comment ramener vers eux ceux qui peuvent voter pour QS mais qui ne se reconnaissent pas dans sa tradition politique non plus que dans ses obsessions idéologiques? Comment ramener vers eux les péquistes de gauche, les souverainistes protestataires, les électeurs déçus ou en colère, qui ne sont pas pour autant liés idéologiquement à la gauche radicale?


En un mot, le PQ devra considérer QS non pas comme un frère égaré mais comme un adversaire à part entière.




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