À partir d'une interprétation farfelue de la manifestation du 6 août pour la fin des hostilités israéliennes contre le Liban et d'une connaissance tordue de notre histoire, Barbara Kay conclut, dans [The rise of Quebecistan->1510] (The National Post, 9 août), que le Québec est une terre accueillante au terrorisme et propice à son épanouissement. Selon Mme Kay, la manifestation était « farouchement anti-Israël ». Dans leurs allocutions à 15 000 personnes, « pour la plupart des Libano-Canadiens », Gilles Duceppe (du Bloc québécois) et Denis Coderre (du Parti libéral du Canada) n'ont ni condamné le terrorisme, ni reconnu le droit d'Israël à l'autodéfense, dit-elle : ils n'ont que souligné la souffrance des civils libanais. La chroniqueure concède qu'ils ont réclamé le désarmement du Hezbollah dans le cadre d'un cessez-le-feu négocié, mais elle se permet un procès d'intention envers les souverainistes en les accusant de courtiser les groupes arabes, les juifs étant, selon elle, tous fédéralistes. Il ne lui effleure pas l'esprit que l'on puisse condamner l'intervention d'Israël au Liban pour des mobiles autres que bassement électoralistes.
Convenons que des affiches antisémites et des drapeaux du Hezbollah parsemaient la foule, et déplorons-le avec Mme Kay : cette récupération par un groupuscule ne représentait cependant ni le sentiment des orateurs ni vraisemblablement celui de la majorité des manifestants. Mais qui conteste le droit d'Israël de se défendre ? Si ses forces armées avaient limité leur riposte au Hezbollah, il n'y aurait pas eu lieu de protester, mais leurs attaques aériennes massives ont frappé l'ensemble du Liban, y compris des villes éloignées comme Beyrouth. Plus de 1000 civils, dont au moins 300 enfants, ont péri, d'importantes infrastructures civiles (hôpitaux, logements, routes, etc.) ont été anéanties, une marée noire au large de Byblos risque de s'étendre jusqu'à la Grèce, et j'en passe. Oui, le Hezbollah a lancé des roquettes en territoire israélien : il était légitime d'y répliquer, mais par une attaque ciblée sur l'agresseur. Oui, deux militaires israéliens furent kidnappés à la frontière, mais leur kidnapping justifiait-il la guerre tous azimuts ? Quelles représailles palestiniennes, alors, seraient justifiées par l'enlèvement et l'incarcération de 27 (à ce jour) élus du Hamas, dont trois ministres ?
Le premier ministre canadien, Stephen Harper, estime mesurées les incursions israéliennes. Ceux d'avis contraire doivent-ils s'abstenir de contester ? À l'automne de 1956, fort de l'appui de la Grande-Bretagne et de la France, Israël attaqua l'Égypte. Le gouvernement du Canada condamna l'action : était-il pour autant antisémite? britannophobe? francophobe ? Le chef de l'opposition parlementaire, John Diefenbaker, exprima son mécontentement : eût-il dû se taire ?
Une politique étrangère noble doit répondre aux impératifs de la justice d'abord, et ensuite seulement à ceux des intérêts. La noblesse interdit de défendre l'indéfendable. Répréhensible parce qu'excessive et mal ciblée, désastreuse parce qu'incompétente, l'intervention israélienne a entraîné le contraire de l'effet voulu : le prestige du Hezbollah s'en trouve accru auprès des Libanais, des Arabes et des musulmans ; Israël, sa crédibilité militaire minée auprès des autorités américaines, se trouve encore davantage isolé.
Le Canada est une terre d'immigration. Plus proches en général de la Francophonie, les Arabes, de confession musulmane ou autre, élisent pour la plupart domicile au Québec, où vit déjà une importante population de confession juive dont les représentants ne se privent pas d'exercer des pressions sur les gouvernements : ce droit incontestable ne leur est pas exclusif. Dans [Quebecers in Denial: Counterpoint->1593] (The National Post, 17 août), Mme Kay prédit que dans un Québec indépendant les pressions d'immigrants chi'ites libanais feraient rayer le Hezbollah la liste des organisations terroristes : dans cette éventualité, et à moins de renonciation au terrorisme préalable - et mise à l'épreuve - par le Hezbollah, il faudrait manifester énergiquement contre toute velléité de capituler aux pressions chi'ites. D'ici là, pour notre paix interne, les immigrants, leurs enfants, petits-enfants, etc. - toutes confessions et ethnies confondues - doivent abandonner leurs querelles ethniques et religieuses, séculaires et récentes. De surcroît, l'ordre public impose de freiner résolument l'importation chez nous de tout conflit étranger, fût-il israélo-arabe, judéo-islamique, tamoul-srilankais, ou autre.
Le 17 août, Mme Kay accusait MM. Duceppe, Coderre et collègues de complicité avec les partisans du terrorisme et de pusillanimité à l'endroit d'attitudes haineuses : il fallait réfuter cette accusation. Son évocation du 9 d'« une épaisse coulée d'anti-sémitisme » dans le discours intellectuel du Québec tout au long de son histoire relance le stéréotype du Québécois singulièrement antisémite : il faut discréditer au plus tôt cette calomnie surannée. Voici donc quelques faits vérifiables et une autorité respectée facile à consulter.
James Keegstra, qui affirmait à ses jeunes élèves que le carnage de six millions de juifs par les nazis n'avait jamais eu lieu, était instituteur à Eckville en Alberta ; Ernst Zundel, éditeur de Did Six Million Really Die?, avait pignon sur rue à Toronto ; et Malcolm Ross, l'auteur de Web of Deceit, enseignait à Moncton au Nouveau-Brunswick. Que je sache, il n'y a pas eu de négationnistes comparables au Québec.
Un article intitulé Bigotry's new face: Anti-Semitism in Canada paru dans la livraison du 16 avril 1990 de la revue Maclean's, montrait, statistiques à l'appui, la présence d'antisémitisme haineux partout au Canada, y compris au Québec, mais pas plus ici qu'ailleurs.
Dans A few last reflections on the Roux affair (The Globe and Mail, 21 novembre 1996), le professeur Irving Abella de l'université York, spécialiste de l'histoire des juifs au Canada et ancien président du Congrès juif canadien, écrivait : « L'antisémitisme avait imbibé l'échelon supérieur de la société canadienne. Les chefs de file du Canada anglais portent une responsabilité bien plus lourde que celle de Jean-Louis Roux et ses collègues. Après tout, c'étaient les Mackenzie King, Frederick Blair et Vincent Massey qui avaient fermé la porte aux réfugiés juifs, donnant à notre pays le pire carnet de route de toutes les nations de l'Occident eu égard à l'asile accordé aux juifs persécutés de l'Europe dans les années 1930 et 40. C'est ceci, et non d'avoir défilé dans les rues de Montréal, qui constitue le crime véritable de l'époque. Et alors que les amis de Jean-Louis Roux jetaient des pierres dans les vitrines de commerces juifs, il se produisait une violence antisémite bien pire dans les rues de Toronto lors des émeutes de Christie Pit, à Winnipeg, où les chemises brunes de l'endroit affrontaient les juifs, et dans d'autres villes canadiennes anglaises. » On pourra en lire davantage sur ces sujets et d'autres dans l'étude remarquable du professeur Abella intitulée A Coat of Many Colours. Two Centuries of Jewish Life in Canada (Lester & Orpen Dennys Limited, Toronto, 1990).
Si Barbara Kay devait lire ces lignes, il y a lourd à parier qu'elle ne lâcherait pas ses préjugés. Personne, cependant, ne devrait prendre au sérieux ses propos mal renseignés et irresponsables.
Barbara Kay et son «The rise of Quebecistan»
Propos irresponsables
Par Pierre Joncas
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
Aucun commentaire trouvé