Le ministre Simon Jolin-Barrette ne tirera pas un trait sur le débat sur le port de signes religieux en forçant l’adoption du projet de loi sur la laïcité par l’Assemblée nationale. Plusieurs opposants se mettent déjà en ordre de bataille pour en contester l’interdiction visant tout nouvel employé de l’État « en situation d’autorité », y compris les enseignants.
Ils attaqueront la « loi 21 » sur au moins deux fronts : le front politique et le front judiciaire.
« De dire que le débat va être fini, c’est avoir une mauvaise compréhension des enjeux. De croire ça, c’est faux. C’est dommage, le ministre va se réveiller le lendemain de l’adoption de la loi avec une surprise », a déclaré la présidente de la Fédération des femmes du Québec (FFQ), Gabrielle Bouchard, à sa sortie du Salon rouge, jeudi.
« Nous allons nous assurer de participer à ces conversations-là pour défendre le droit de toutes les femmes [et le principe fondamental] “Nos corps, nos choix” », a-t-elle ajouté.
Aux yeux de la FFQ, le projet de loi 21 est « fondamentalement sexiste », notamment parce qu’il érige des « barrières à l’égalité » dans l’accès au travail.
Monsieur le Ministre, j’aurai une position d’autorité et je serai plus juste que vous. Je ne nuirai pas aux intérêts d’une minorité déjà vulnérable dans l’exercice de mes fonctions.
Dans l’éventualité où le projet de loi 21 passe la rampe de l’Assemblée nationale dans sa forme actuelle, la Ligue des droits et libertés élaborera des « stratégies qui pourront être juridiques » et aura recours à des « moyens d’action politique » visant à neutraliser une « loi discriminatoire et contraire aux principes fondamentaux d’un État de droit », a mentionné le président de l’OSBL indépendant, Christian Nadeau, en commission parlementaire.
Le gouvernement caquiste ne peut blinder totalement le projet de loi controversé au moyen de la disposition de dérogation des chartes des droits et libertés, a fait valoir l’avocate Perri Ravon.
Le projet de loi n’est pas à l’abri d’une contestation devant les tribunaux en vertu de l’article 28 de la Charte canadienne des droits et libertés garantissant l’égalité entre les sexes.
« Étant donné l’impact disproportionné qu’a ce projet de loi sur les femmes musulmanes, cela pourrait être un des nombreux fondements pour contester la loi devant les tribunaux », a-t-elle soutenu dans un échange avec Le Devoir.
À l’intérieur de la Salle du conseil législatif, Idill Issa tentait de dissuader les élus de « légiférer un nouveau plafond de verre qui empêchera les femmes musulmanes du Québec et autres minorités religieuses d’atteindre des postes d’autorité ou d’enseignantes », mais en vain.
La « femme, noire, musulmane » diplômée de l’Université McGill s’est dite déterminée à le faire voler en éclats leur ouvrage qui « va amoindrir [ses] options et va [la] stigmatiser dans la société ».
« [Peu importe] si ça me prend cinq, dix, quinze ou vingt ans, je briserai ce plafond de verre », a-t-elle lancé, portant son regard vers M. Jolin-Barrette.
« Monsieur le Ministre, j’aurai une position d’autorité et je serai plus juste que vous. Je ne nuirai pas aux intérêts d’une minorité déjà vulnérable dans l’exercice de mes fonctions », a-t-elle poursuivi, d’une voix assurée.
L’enseignante Bouchera Chelbi s’est dite désolée de voir les femmes portant le voile islamique être désormais perçues comme un « problème pour le Québec », et ce, après avoir été considérées comme un « atout pour le Québec ».
« En tant que femme, je n’accepte pas qu’on me dicte comme m’habiller », a-t-elle affirmé lors de son passage au parlement jeudi.
Le gouvernement caquiste ne peut faire fi non plus des droits à l’instruction dans la langue de la minorité prévus à la Charte canadienne des droits et libertés, ajoute l’avocate Perri Ravon. L’article 23 accorde aux commissions scolaires anglophones le « pouvoir exclusif » de décider du « recrutement et de l’affectation du personnel, notamment des professeurs », avance l’Association des commissions scolaires anglophones du Québec.
« Ce sont deux exemples parmi d’autres », a insisté Mme Ravon, qui s’est affichée au côté de l’Association des commissions scolaires anglophones du Québec mardi et de la Coalition inclusion Québec jeudi. « Les avocats sont créatifs. »
L’auteur du projet de loi, Simon Jolin-Barrette, a convenu que le gouvernement caquiste « ne peut pas empêcher les gens de présenter une demande devant les tribunaux » en vertu des articles 23 et 28 de la Charte. Le cas échéant, les juristes de l’État défendront âprement la constitutionnalité du projet de loi 21, a-t-il poursuivi. « J’ai pleinement confiance que le projet de loi sera maintenu. »
Pas d’amendement sur l’interdiction en vue
Ce sont plus de 35 groupes qui ont défilé devant la Commission des institutions sur six jours. Ils ont donné lieu à « des échanges fort constructifs », a dit M. Jolin-Barrette. Il en est sorti renforcé dans sa conviction de légiférer afin de proscrire le port de signes religieux chez certains employés de l’État.
À plus de 10 jours du coup d’envoi de l’étude détaillée de son projet de loi « modéré », l’élu a écarté toute proposition d’amendement qui se traduirait par un rétrécissement de la portée de l’interdiction du port de signes religieux ou l’élargissement de la portée de la clause de droits acquis.
« [La clause prévue] ferait en sorte de maintenir en emploi les individus qui porteraient un signe religieux. Je pense que c’est un compromis respectueux. […] Elle va demeurer de cette façon-là », a-t-il indiqué, réitérant son « souhait » de faire adopter le projet de loi au plus tard le 15 juin prochain.
Il comptait jeudi sur l’appui du Rassemblement pour la laïcité, qui l’invite déjà à « planifier une réflexion et un débat sur la possibilité d’inclure tous les employés de l’État dans l’obligation de neutralité religieuse et politique ».