ÉLECTIONS QUÉBEC 2022

La distorsion électorale du siècle

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Il faut conserver ce mode de scrutin qui avantage le Québec français contre Montréal anglo-immigré


Le Parti conservateur du Québec (PCQ) sera, si la tendance se maintient, le grand perdant de la distorsion électorale.


Selon le modèle statistique du site de projection électorale Qc125, la formation d’Éric Duhaime pourrait bien recueillir plus de 15 % du vote populaire lors des élections générales du 3 octobre prochain… mais un seul siège à l’Assemblée nationale. Et encore là, la partie n’est pas gagnée.


En effet, le mode de scrutin uninominal majoritaire à un tour pourrait empêcher le chef conservateur de faire entrer la « grogne » — et ses « idées fortes » — au Parlement, selon les sondages. La réforme du mode de scrutin pourrait alors soudainement « intéresser » plus que les « quelques intellectuels » qui brandissaient jeudi soir des affiches « La réforme électorale, on y tient ! » devant la nouvelle maison de Radio-Canada, théâtre du second débat des chefs.


M. Duhaime trouve que « la mathématique est difficile à suivre » pour prédire le nombre de circonscriptions qui tomberont dans l’escarcelle du PCQ le jour du scrutin. « Voyez comme c’est bizarre : à 16 %, le Léger met un siège gagnant ; à 19,6 %, le Mainstreet met zéro siège », a-t-il fait remarquer en marge d’une annonce à Saint-Georges mardi.


Le chef du PCQ demeure toutefois en retrait du mouvement pour la réforme du mode de scrutin. « Moi, je ne veux pas le promettre, parce que j’ai vu Justin Trudeau le promettre, puis il ne l’a pas fait. J’ai vu François Legault le promettre, puis il ne l’a pas fait. Je ne veux pas être le troisième », a-t-il expliqué au terme du débat de jeudi soir. M. Duhaime se contente d’inviter ses sympathisants à encourager une « bonne sortie des votes », à commencer par les circonscriptions de Chauveau, de Beauce-Nord et de Beauce-Sud.


Le hic, c’est que certains sympathisants du PCQ sont beaucoup moins zen que leur chef sur la question.


« Je vais donner [aux élections] une dernière chance, et après, c’est la révolution », avait lancé Alain (qui a refusé de donner son nom de famille) au micro de la CBC en marge d’un rassemblement à Victoriaville le 29 août dernier. Quelle révolution ? a demandé la journaliste du diffuseur public. « Prendre les armes, révolution armée », a répondu le sympathisant conservateur.


Le monde à l’envers


Le scrutin du 3 octobre prochain pourrait se caractériser par l’écart le plus important de l’histoire électorale québécoise entre la répartition des votes et la distribution des sièges à l’Assemblée nationale. Et la CAQ en sortirait grande gagnante.


En effet, toujours selon Qc125, l’équipe de François Legault recueillerait alors 39 % des votes, mais 76 % des sièges (95 sur 125). Le premier ministre François Legault disposerait ainsi d’une supermajorité parlementaire, et ce, même si 61 % des électeurs auraient voté pour un autre parti.


M. Legault a répété cette semaine que la réforme du mode de scrutin n’est « pas une priorité des Québécois ». Qui plus est, elle pourrait fragiliser le gouvernement de l’unique nation francophone des Amériques, soutiennent les caquistes.


La cheffe du Parti libéral du Québec, Dominique Anglade, s’est dite quant à elle disposée à engager une « conversation » sur le sujet. « Ce n’est pas dans notre programme. Le jour où ce sera dans notre programme, on va le faire », a-t-elle précisé jeudi.


La sortie médiatique de Mme Anglade avait de quoi étonner, puisque les libéraux s’étaient employés à tourner en ridicule le projet de loi sur l’établissement d’un mode de scrutin mixte avec compensation régionale présenté par Sonia LeBel, avant qu’il soit mis de côté sous la pression de ses confrères et consoeurs caquistes.


En gros, le projet de loi 39 proposait de créer deux catégories de députés : 80 députés de circonscription et 45 députés de région. Les députés de circonscription auraient été élus de façon traditionnelle, tandis que les députés de région auraient été désignés en fonction du vote obtenu par leur formation politique dans la région administrative où ils briguent les suffrages. Cette mécanique aurait permis de corriger en partie la distorsion entre le pourcentage de votes et le pourcentage de sièges obtenus par chacun des partis politiques. « Une chatte y perdrait ses petits ! » avait alors déploré le député libéral Marc Tanguay.


Les chefs péquiste, Paul St-Pierre Plamondon, et solidaire, Gabriel Nadeau-Dubois, ont pour leur part réitéré l’appui de leur formation politique à une réforme du mode de scrutin.


« On ne se plaignait pas, dans le temps, du mode de scrutin quand c’était le Parti libéral du Québec contre le Parti québécois. Là, ce qui est différent, c’est que l’opposition est divisée en quatre partis. C’est trop. Ça ne fonctionne pas. Il y a une mécanique de comptage des pluralités qui fait en sorte que ça avantage certains partis », note Jean-François Godbout, professeur en science politique à l’Université de Montréal.


« Mais il y a aussi un effet psychologique qui joue sur le long terme. Si après trois, quatre, cinq élections comme ça, on est dans la même situation, les électeurs vont essayer de se coordonner le moindrement. Les élites aussi », ajoute-t-il, rappelant la fusion du Parti progressiste-conservateur du Canada et de l’Alliance canadienne de Stephen Harper en 2003.


Le professeur Godbout se demande d’ailleurs « pourquoi ces quatre partis [PLQ, QS, PQ et PCQ] ne sont pas capables de trouver des terrains d’entente pour faire des coalitions ».


Moduler les efforts


 

Dans l’attente d’une éventuelle réforme de notre mode de scrutin actuel — ou d’une reconfiguration des forces politiques —, les équipes de campagne doivent user de stratégie afin de maximiser leurs chances de faire élire des candidats.


Par exemple, l’opération « Change ton adresse » lancée par QS permettra aux votes des jeunes qui votent solidaire d’être comptabilisés dans la circonscription où ils étudient — et où le ou la candidate du parti a de bonnes chances de l’emporter, comme dans Saint-François, Sherbrooke, Rimouski ou encore Rouyn-Noranda–Témiscamingue — plutôt que dans celle où habitent leurs parents, où « ils vont manger de la lasagne deux fois par année », selon M. Nadeau-Dubois.


De nouveaux appels à la convergence des forces indépendantistes, dispersées à droite et à gauche, se sont fait entendre cette semaine, y compris dans le sous-sol de l’église Saint-Édouard dans La Petite-Patrie. Les candidats solidaire, péquiste, libéral et culinaire y ont répondu aux questions des électeurs de Gouin mardi dernier. Le candidat du PQ, Vincent Delorme, a profité de l’occasion pour inviter son adversaire solidaire, Gabriel Nadeau-Dubois, à sortir du « cul-de-sac politique » en appuyant de nouveau l’idée d’établir des alliances stratégiques au sein du mouvement indépendantiste.


Le co-porte-parole solidaire s’est refusé à toute discussion là-dessus. Il a aussi balayé du revers de la main les appels au vote stratégique lancés par Dominique Anglade afin de bloquer la CAQ, les jugeant prématurés.



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