La bataille des jeunes vétérans

Prêt, pas prêt...

Rentrée parlementaire


Québec - Une autre session parlementaire débute mardi, à l'Assemblée nationale. Les trois chefs de partis qui s'y affronteront ont en commun d'avoir fait de la politique active presque toute leur vie adulte. André Boisclair, le chef péquiste, a été élu pour la première fois à 23 ans. Mario Dumont, le chef adéquiste, l'a été à 24 ans. Quant au premier ministre libéral Jean Charest, il a été élu une première fois député fédéral à 26 ans. Auparavant, il avait trouvé le temps de pratiquer le droit quelques années. Normalement, cette session devrait se poursuivre jusqu'au 23 décembre, au plus tard. Elle pourrait cependant être écourtée, advenant le déclenchement d'élections vers la fin du mois. En attendant, les forces en présence sont les suivantes: PLQ, 73 députés; PQ, 46 députés; ADQ, 5 députés; 1 député indépendant. Deux autres partis aimeraient faire leur entrée à l'Assemblée nationale: Québec solidaire, dont la porte-parole est la militante Françoise David, et le Parti vert, dirigé par l'écologiste Scott McKay. La Presse vous présente aujourd'hui, demain et mardi les leaders de ces cinq formations.
L'an dernier, plusieurs ne donnaient pas cher de la peau de Jean Charest.
Le Parti libéral fracassait des records d'insatisfaction. Le Parti québécois, dopé par le scandale des commandites, voguait vers une victoire certaine.
L'ex-chef conservateur fédéral passé au Parti libéral du Québec allait-il seulement pouvoir se rendre au bout de son mandat? Un remplaçant était tout trouvé: le ministre de la Santé Philippe Couillard.
Une nouvelle session s'ouvre mardi à l'Assemblée nationale. Jean Charest est toujours premier ministre. Et s'il faut en croire le président du PLQ, Marc-André Blanchard, il n'y a pas de "grenouillage" au sein du parti.
"Au Conseil général du printemps passé, à Trois-Rivières, des journalistes me disaient que j'étais le président d'un parti divisé. Je répondais que cette division, je ne la voyais pas, je ne la sentais pas. Le lendemain, on l'a vu c'était quoi le parti divisé: il y a six personnes qui se sont levées pour voter contre la résolution sur le mont Orford!"
Jean Charest, lui, dit s'être senti accepté pour de bon en octobre 2000 par son parti d'adoption. "C'était mon vote de confiance. Et c'était dans un moment creux aussi. J'avais eu 95%."
Si on ne "grenouille" pas dans le parti, on ne se gêne pas pour le faire dans la population. Les Québécois sont toujours insatisfaits du gouvernement Charest. À 56%, il y a quelques semaines, selon un sondage CROP-La Presse. C'est moins que l'an dernier, toutefois, où ce taux d'insatisfaction a par moments frisé les 80%!
Disons que les libéraux ne se sont pas aidés avec des dossiers comme le Suroît, les écoles juives, les prêts étudiants, Orford... Des dossiers relativement mineurs "en termes de dépenses publiques et d'impact", mais qui ont pris toute la place dans les médias, selon le politologue Jean-Herman Guay, professeur à l'Université de Sherbrooke.
Mais tout ne serait pas perdu pour les libéraux, selon ce dernier. "L'électorat a peu de mémoire. Alors, s'il (Jean Charest) parvenait à présenter des dossiers qui jouissent d'un appui fort, il ferait peut-être oublier ceux-là. Déjà qu'il a fait des gains avec sa politique énergétique, avec l'environnement, le transport en commun. Il y a là des dossiers qui sont prometteurs."
Pas mauvais non plus qu'il s'entende avec son homologue fédéral Stephen Harper - ce qui est loin d'être fait - sur un règlement du déséquilibre fiscal. Parce que de l'avis général, c'est sur ce dossier qu'il risque d'être jugé le jour des élections.
- Le déséquilibre fiscal, c'est votre "condition gagnante"?
- Je ne le vois pas comme ça, parce que c'est l'ensemble de ce qu'on aura fait qui sera dans le bilan. Mais dans ce qu'on présente pour l'avenir, le déséquilibre sera beaucoup dans l'actualité cet automne.
Pour Jean Charest, c'est "au net" qu'il va falloir regarder les résultats, "pas dans un seul transfert". "Je veux qu'on fasse des progrès, que chaque étape nous permette d'avancer."
Pour le politologue Robert Bernier, spécialiste du marketing électoral, les Québécois pourraient très bien ne pas exiger "la totale" en matière de règlement du déséquilibre fiscal. "La recherche indique que les Québécois sont prêts à attendre un peu."
- Et à se contenter de moins?
- Exactement, on sent ça dans la population.
Mais la partie n'est pas gagnée pour autant. Selon Jean-François Lisée, qui fut conseiller des premiers ministres péquistes Jacques Parizeau et Lucien Bouchard, Jean Charest souffre d'une incapacité à "connecter" avec l'opinion publique. "Il n'y a pas de moment où on sent que les gens sont contents de l'avoir comme premier ministre."
"On ne peut pas dire qu'il y ait un trait de sa personnalité qui colle profondément à ce que sont les Québécois", renchérit Jean-Herman Guay.
Jean Charest n'était d'ailleurs pas reconnu comme un des éléments nationalistes du cabinet de Brian Mulroney. Et quand on lui demande s'il l'est devenu davantage (nationaliste) depuis son retour d'Ottawa, il répond qu'il a "toujours fui les étiquettes". "Mais je me sens très Québécois, je suis très attaché aux valeurs québécoises."
Son ex-collègue Benoît Bouchard était un de ces "éléments nationalistes". "Jean n'avait pas cette réputation-là, reconnaît-il. Mais je peux dire aujourd'hui, après toutes ces années, qu'il était aussi Québécois que moi."
Revenir de l'arrière
Jean Charest sera donc du prochain rendez-vous électoral. D'autant qu'il semble avoir amorcé une remontée dans les sondages. On peut dire que c'est une constante, dans sa carrière politique, débutée sur la scène fédérale à 25 ans - il en a 48 -, que d'être revenu de l'arrière.
Ce fut le cas en 1984, alors que jeune avocat, contre toute attente - et contre les bonzes du parti -, il a remporté l'investiture conservatrice dans Sherbrooke. Quelques mois plus tard, il prenait le chemin d'Ottawa, non sans avoir défait par 7000 voix le député libéral Irénée Pelletier, qui avait obtenu une majorité de 23 000 voix quatre ans plus tôt!
Lors de la course à la direction du Parti conservateur fédéral de 1993, la ministre Kim Campbell partait avec une avance insurmontable, de l'avis de tous. Jean Charest est venu à deux doigts d'emporter la mise. Il se reprendra quelques mois plus tard, après la déconfiture électorale conservatrice et la démission de Mme Campbell.
"C'est un excellent campainer, dit de lui son ex-collègue Benoît Bouchard. Contre Kim (Campbell), il était battu, mais s'il avait eu trois jours de plus, il gagnait. Contre Bernard Landry (en 2003), il était battu... mais il a gagné."
"Campainer, c'est de la pensée magique, proteste Marc-André Blanchard, président du Parti libéral du Québec. Sa grande force, c'est sa détermination. C'est quelqu'un qui ne se décourage jamais."
Né à Sherbrooke, le 24 juin 1958, d'un père francophone et d'une mère anglophone, James John Charest se fait davantage remarquer par ses aptitudes sociales que par ses prouesses académiques.
Il accède au Barreau du Québec en 1981. Et il épouse Michèle Dionne, qu'il a connue au secondaire. Le couple a trois enfants: Amélie, Antoine et Alexandra, âgés de 23, 18 et 16 ans.
Élu député conservateur de Sherbrooke le 4 septembre 1984, il est vite remarqué par son chef, Brian Mulroney, qui en fera son ministre d'État à la jeunesse. Les responsabilités se succèdent et s'accumulent. Jusqu'en janvier 1990, où il est contraint de démissionner de son poste de ministre d'État à la Condition physique et au Sport amateur. Il avait téléphoné à un juge chargé de trancher un litige dans une histoire relevant de son ministère.
Il ne restera pas longtemps à l'arrière-plan. À l'hiver 1990, l'accord du lac Meech, qui doit permettre au Québec d'adhérer à la Constitution de 1982, est en péril. Brian Mulroney le nomme à la tête d'un comité parlementaire chargé de rendre Meech acceptable à ses opposants. Son "rapport Charest" déplaira aux nationalistes québécois, dont certains membres du caucus conservateur à Ottawa.
Lucien Bouchard, lieutenant québécois de Brian Mulroney, partira en Europe juste avant le dépôt du rapport. Jean Charest est éberlué: "Après m'avoir lui-même pressé de présider le comité, et sans jamais m'avoir laissé soupçonner qu'il avait de sérieuses réserves à l'endroit du rapport que nous préparions (...) le voilà introuvable, loin du feu de l'action", écrit-il dans son autobiographie Jean Charest - J'ai choisi le Québec (Éditions Pierre Tisseyre, 1998).
La suite est connue. Lucien Bouchard ira fonder le Bloc québécois, et Jean Charest restera au Parti conservateur où il dirigera différents ministères, dont celui de l'Environnement. Après la défaite électorale de 1993 et la démission de Kim Campbell, il deviendra chef du parti. Lors du référendum de 1995, il jouera un rôle majeur dans la victoire du NON à titre de vice-président du Comité national pour le NON.
En 1998, Daniel Johnson démissionne de son poste de chef du Parti libéral du Québec. Les fédéralistes ont besoin de Jean Charest. Sa mission: bloquer le Parti québécois de... Lucien Bouchard.
Il s'amène à Québec. Mais on reproche vite à ce "sauveur" son manque de connaissance des dossiers québécois, après 14 ans passés à Ottawa. Lucien Bouchard conservera le pouvoir. Mais Jean Charest récoltera plus de voix. Il sera chef de l'opposition.
"C'est une transition qui n'était pas évidente, admet-il aujourd'hui. Mais j'ai compris qu'il fallait que je recommence à zéro. Et c'est ce que j'ai fait entre 1998 et 2003. Une expérience très enrichissante. Et une leçon d'humilité aussi. J'ai parcouru le Québec de long en large, j'ai appris à le connaître de fond en comble."
Mauvais départ
Cette "transition" lui permettra de fréquenter à nouveau Lucien Bouchard. Les deux hommes se retrouveront face à face à l'Assemblée nationale.
"Adversaires, on a appris à se connaître, on a rebâti la relation peu à peu, on a appris à rire ensemble. Ça ne change rien à l'opinion que j'ai de l'épisode de 1990 (le rapport Charest), mais je n'ai pas de rancune pour Lucien. Notre relation est assez mature pour ne pas qu'on revienne là-dessus."
En 2003, Jean Charest coiffe Bernard Landry à l'arrivée. Il propose une "réingénierie" de l'État québécois, avec à la clé une baisse de 27% du fardeau fiscal.
L'affaire débute mal. Son slogan Nous sommes prêts fait boomerang. La gauche ne le lâche pas d'une semelle. Plus récemment, c'était la droite qui lui rappelait ses promesses non tenues de baisses d'impôts et d'allègement de l'État.
Mais pour plusieurs, c'était encore jouable.
Puis un viaduc est tombé, puis la crise forestière a éclaté...


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