Jean Charest a le don de déstabiliser un adversaire. Lors du débat télévisé du printemps 2003, il avait complètement désorienté Bernard Landry en déclarant d'entrée de jeu qu'il souhaitait le succès des nouvelles villes fusionnées de force par le gouvernement péquiste.
Hier, il a opté pour l'humour moqueur : «Monsieur le président, je vous préviens, il est arrivé.» Ce rappel de la fanfaronnade d'André Boisclair, le soir de son élection comme député de Pointe-aux-Trembles, a souligné que le chef du PQ s'était lui-même imposé une lourde obligation de performance. Une petite phrase échappée dans l'euphorie de la victoire qu'il n'aurait jamais dû prononcer.
En d'autres circonstances, M. Boisclair aurait pu se formaliser de voir Lucien Bouchard faire à nouveau irruption sur la place publique, au moment où lui-même effectuait sa rentrée à l'Assemblée nationale. Cette fois-ci, il devrait plutôt l'en remercier. La sortie de l'ancien premier ministre au sujet de notre paresse collective permettra de faire oublier un peu ces premiers pas décevants.
Pour ne pas être accusés d'avoir voulu ternir l'éclat de son retour, les amis de Robert Bourassa avaient reporté de deux jours le dévoilement de sa statue. Ils ont tout lieu de s'en féliciter. Si on peut qualifier de duel cette première passe d'armes entre Jean Charest et André Boisclair, le premier a nettement eu le dessus.
En toute justice pour le chef péquiste, je ne me souviens pas d'un chef de l'opposition dont la première intervention ait beaucoup impressionné, sauf justement M. Bouchard, dont la première intervention à la Chambre des communes avait été saluée par les commentateurs d'un océan à l'autre.
Dans notre système politique, le rôle de chef de l'opposition est le plus ingrat qui soit. Peu importe ce qu'il dira, il n'arrivera jamais à fustiger un gouvernement autant que le souhaiteraient ses détracteurs.
Qu'il s'agisse de Claude Ryan, Pierre Marc Johnson, Jacques Parizeau, Daniel Johnson, Bernard Landry ou Jean Charest, tous ont été jugés sévèrement à l'époque où ils dirigeaient l'opposition.
***
Au départ, les règlements de l'Assemblée nationale assurent le dernier mot au gouvernement. Aux accusations de M. Boisclair, qui voulait lui faire porter la responsabilité de la crise forestière, M. Charest a aussitôt rappelé le fiasco de la Gaspesia à Chandler. Bref, le cirque habituel. De toute manière, le sujet était tellement prévisible que le chef du PQ ne pouvait espérer surprendre qui que ce soit.
Comme cela arrive souvent, Mario Dumont a réussi à mettre les rieurs de son côté. Le chef de l'ADQ a le don de trouver ces images bêtes et méchantes qui collent à la peau de ses victimes. Cette fois-ci, il s'est gaussé de la visite éclair que le chef du PQ a effectuée au cours des derniers jours dans les régions les plus touchées par les fermetures de scierie.
Puisant dans sa vaste culture de bandes dessinées, plus précisément dans les aventures de Lucky Luke, M. Dumont a parlé de la «tournée du Pied tendre», ce jeune dandy habitué aux salons londoniens qui se retrouve soudainement dans les plaines du Far West.
Malgré sa longue expérience parlementaire, M. Boisclair semblait nerveux comme un débutant, alors que M. Charest était manifestement dans un de ses bons jours. Sur les banquettes libérales, le seul qui n'a pas semblé apprécier son discours de bienvenue incisif a été son ancien ministre de l'Environnement, Thomas Mulcair, qui est resté de glace pendant que ses collègues applaudissaient à tout rompre.
Le chef du PQ peut toutefois se consoler à l'idée que cette première période de questions sera oubliée depuis longtemps le jour des élections. Il se sentira bientôt plus à l'aise dans son nouveau rôle et il aura bien d'autres occasions de croiser le fer avec le premier ministre.
Ce qui est plus troublant, c'est l'incohérence d'un discours qui se voulait important et auquel il avait eu le temps de réfléchir. La nervosité peut expliquer qu'un discours soit mal livré, mais pas qu'il ait été mal construit. À peine quelques secondes après avoir réitéré la nécessité de revenir à l'essentiel du projet souverainiste, qui fait appel à des notions aussi fondamentales que la fierté et la responsabilité, M. Boisclair a déclaré tout de go : «On la veut parce qu'il y a trop de monde sur les listes d'attente». Du coup, on se redemande quelle est au juste sa vision de la souveraineté ou même s'il en a une.
***
mdavid@ledevoir.com
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
Aucun commentaire trouvé