Roméo Dallaire a mérité de se reposer. À sa défense, si j'apprenais que Roy Dupuis m'incarnait dans le moment le plus cauchemardesque de ma vie, moi aussi j'aurais peut-être les fusibles qui sautent. Et ceux de ma blonde aussi
Je m'explique très mal la sortie publique de monsieur Dallaire qui, paraphrasant Churchill, nous lance que la responsabilité internationale canadienne, "c'est aussi des sueurs, des grincements de dents et, parfois, le sang de nos jeunes". Parce qu'évidemment, dans les guerres, il est rarement question du sang des vieux généraux. Quelqu'un pourrait-il signaler à monsieur Dallaire que nous ne sommes pas à Londres sous les bombes nazies en 1940? Montréal ne brûle pas.
Monsieur Dallaire demande aux Québécois d'être prêts "à accepter que des leurs sacrifient leur vie dans la poudrière afghane". Mais qui met le feu aux poudres chez les Afghans?
D'autres sortes de vérités
Monsieur Dallaire affirme ceci: "Si nous ne faisons pas montre d'une certaine abnégation pour faire avancer ce à quoi l'on croit, nous ne sommes qu'une gang d'hypocrites." Mais qu'est-ce qu'on fait avancer là-bas, monsieur Dallaire? Quel genre de régime sommes-nous en train de défendre si, comme la Croix-Rouge le rapporte, on ne peut même pas confier de prisonniers à ce régime sans craindre qu'ils ne soient torturés? Qu'allons-nous défendre là-bas si, pour nous vendre cette intervention, le gouvernement a d'abord dû nous mentir en affirmant qu'on s'y rendait pour construire des écoles? Combattons-nous vraiment ce à quoi l'on croit si, comme le constate Reporters Sans Frontières, "la dégradation de la situation sécuritaire, les menaces des chefs de guerre, des religieux conservateurs et d'un pouvoir de plus en plus aux abois pèsent sur les journalistes"? Un journaliste afghan, attaqué après un article défavorable au très élégant Hamid Karzaï, fait ce constat: "La liberté de la presse s'arrête dès que vous parlez d'un chef de guerre ou d'un haut officiel." C'est en ce régime de bandits que vous croyez, monsieur Dallaire?
Ce régime, d'ailleurs, s'arrange à l'amiable très bien sans nous. Pour preuve, la promulgation par Karzaï d'une loi accordant l'amnistie générale pour tous les crimes de guerre commis en Afghanistan avant son arrivée au pouvoir et ce, malgré que cette loi aille à l'encontre des traités internationaux sur les droits de l'Homme. Des crimes de guerre, monsieur Dallaire, vous savez ce que ça goûte quand ça reste impuni. Le plus ironique, c'est que les ennemis d'aujourd'hui de nos troupes canadiennes pourraient éventuellement bénéficier de cette amnistie.
Et la situation ne s'améliorera pas. Le commerce de l'opium aurait repris de plus bel et ce commerce financerait les armes des Talibans. Cet opium, monsieur Dallaire, il est vendu où? À qui? Et si c'étaient les jeunes de ma "paroisse pacifiste" qui en consommaient pour oublier le monde de marde dans lequel certains vieux cons veulent nous garder?
Et si?
Monsieur Dallaire, au lieu de voir le pacifisme comme un repli sur soi, si vous envisagiez le voir comme une ouverture sur les autres? Au lieu de considérer la maturité d'une société comme étant sa capacité à envoyer du monde se faire charcuter, si vous considériez cette maturité d'une société comme étant sa capacité à prendre la tête d'une coalition qui souhaiterait régler les conflits autrement que militairement? Je ne considère pas, comme vous le faites, que le haut niveau de développement de mon pays doive s'incarner en une intervention militaire que vous ne parvenez même pas à justifier vous-même. Comment expliquer qu'en 2007, la solution militaire soit celle qui vous apparaisse encore légitime? Avouez qu'on recule.
À l'échelle de ma paroisse, de ma région et de mon pays, nous sommes parvenus à créer des règles et des institutions qui nous épargnent des conflits armés. Pourquoi, monsieur Dallaire, n'usez-vous pas de votre influence pour faire en sorte que cette concorde ne s'applique à la planète? Pourquoi le monde entier devrait-il demeurer un far-west s'il est possible qu'ici, des gens différents puissent penser différemment et croire en ce qu'ils veulent sans qu'on se tape sur la gueule?
Vous dites qu'on a une responsabilité de protéger les autres. Je suis parfaitement d'accord. Toutefois, la forte impression qu'on a en ce moment, c'est qu'on protège non pas de pauvres innocents mais bien un régime qui sert des intérêts particuliers. Et si, au lieu de s'empêtrer dans des engagements internationaux qui nous obligent à jouer à la pute des Américains, le Canada mettait ses énergies à oeuvrer pour la paix? Et si votre influence agissait dans le sens de "s'interposer" en Afghanistan et non de "s'imposer", comme vous le proposez avec justesse et énergie au Darfour?
Entécas, pensez à ça.
Avard, François
Écrivain et scénariste, l'auteur signe ce texte en tant que "pacifiste parmi les pacifistes".
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