Fabien Deglise - Après la nomination, la consternation. L'embauche par le ministère de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation du Québec (MAPAQ) d'un universitaire et consultant privé proche de l'agro-industrie pour l'écriture de la toute première politique agricole québécoise soulève l'ire des défenseurs d'une agriculture moins productiviste, à visage humain. Et ils appellent désormais citoyens, agriculteurs et instances régionales à se mobiliser pour contrer cette «inquiétante» décision.
«C'est un geste malheureux, a commenté hier Guy Rainville, chef du Parti vert du Québec. Pour sa première politique, le gouvernement avait la responsabilité de faire appel à quelqu'un d'ouvert qui adhère aux valeurs et aux recommandations du rapport de la Commission sur l'avenir de l'agriculture [présidée par Jean Pronovost], dont les conclusions ont été appuyées par la majorité des acteurs agricoles. À la place, il a choisi la personne qui a le plus critiqué ce document. Cela soulève bien des questions sur la direction que veut prendre le gouvernement avec sa politique.»
Sans tambour ni trompette, le MAPAQ a octroyé en effet au début du mois un contrat de consultant-expert pour sa future politique agricole à l'universitaire Michel Morisset, directeur du Groupe de recherche en économie et politiques agricoles (GREPA) de l'Université Laval.
Personnage influent dans le monde de l'agroalimentation, il est également, en marge de ses activités professorales, président de la compagnie privée Groupe AGECO inc. qui effectue des études économiques, des enquêtes et offre des services de marketing agroalimentaire. Ses clients sont entre autres l'Union des producteurs agricoles (UPA), Olymel, les Producteurs laitiers du Canada, la coopérative avicole Exceldor, la Coop fédérée ou encore la Financière agricole, peut-on lire dans le site Internet de l'entreprise.
Solidarité rurale fulmine
Dans une lettre adressée à Laurent Lessard, ministre de l'Agriculture, le 6 mars dernier, Claire Bolduc, présidente de Solidarité rurale, s'insurge d'ailleurs contre cette nomination qui ne donne pas «les garanties minimales d'objectivité et de neutralité» tout comme «le climat de sérénité et de confiance» nécessaire à l'écriture de la première politique agricole du Québec, écrit-elle.
L'organisme, versé dans la défense de la ruralité, se dit d'ailleurs «consterné» par ce choix «d'un mandataire» qui a «publiquement pourfendu le rapport Pronovost sur de nombreuses tribunes et fait la promotion de sa propre vision de l'agriculture et de l'agroalimentaire, qui se situe aux antipodes des recommandations» de la Commission sur l'avenir de l'agriculture.
Dans les grandes lignes, cette commission invitait le gouvernement Charest à mettre en place des cadres légaux qui favoriseraient à l'avenir le développement d'une agriculture plus diversifiée qu'elle ne l'est actuellement. La fin du monopole syndical de l'UPA, de l'intensification des cultures et de l'homogénéisation des produits, la promotion de circuits courts de distribution, des produits biologiques et du terroir ou encore la mise en valeur du territoire agricole dans une logique de développement durable étaient d'autres éléments évoqués.
Pour M. Morisset, «qui a été un critique de cette commission avant, pendant et après» sa tenue, souligne Benoît Girouard, président de l'Union paysanne, l'agriculture est surtout une «business» plutôt «qu'un mode de vie», a expliqué le professeur-chef d'entreprise lors d'une conférence présentée à Saint-Hyacinthe en avril dernier. Selon lui, deux agricultures cohabitent actuellement au Québec, «celle qu'on respecte» et «celle qu'on aime, surtout dans le 514», relatait d'ailleurs à l'époque l'hebdo agricole La Terre de chez nous.
L'homme estime que l'agriculture devrait principalement être rentable et performante. Pour lui, les agriculteurs ne seraient d'ailleurs plus au centre de l'activité culturelle québécoise, mais font partie désormais d'un «secteur économique» à part entière. Il pense aussi que l'on exagère l'engouement des Québécois pour les produits locaux et du terroir, puisque le marché veut surtout «manger international».
Appel à la mobilisation
«Il y a une incohérence évidente dans le choix de ce consultant», a commenté hier Roméo Bouchard, porte-parole de la Coalition pour un Québec des régions. Le groupe appelle au passage les citoyens à se faire entendre du ministre Lessard «pour que cette malheureuse nomination ne vienne pas compromettre l'application des recommandations du rapport Pronovost et pour empêcher ce gouvernement de se défiler une fois de plus devant les réformes nécessaires».
Michel Morisset a décliné notre demande d'entrevue hier, prétextant que cette activité n'était pas prévue dans «le cadre du mandat» que lui a confié le MAPAQ.
Sa nomination a toutefois été une fois de plus défendue par le ministère, qui estime avoir trouvé dans cet universitaire-consultant privé «le meilleur joueur sur la glace en ce moment» pour sa politique agricole, a indiqué l'attaché de presse du ministre Lessard, Jack Roy. Il précise toutefois que ladite politique est toujours sur la table à dessin, qu'ultimement elle va relever du cabinet, et qu'en tant que consultant-expert, «M. Morisset ne va pas signer les papiers».
Par ailleurs, tout en admettant que l'universitaire est actuellement le seul expert recruté par le MAPAQ pour l'élaboration de la toute première politique agricole du Québec, le ministère a refusé de dévoiler la rémunération liée à sa fonction. «Il a été embauché selon les règles et directives» en vigueur, a précisé M. Roy.
Pour une agriculture à visage humain
Un choix du MAPAQ sème la consternation
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