Pour Robert Bourassa: la raison d'État avant la vie de Pierre Laporte

Crise d'Octobre '70 - 40e anniversaire



À l'occasion du 40e anniversaire de la Crise d'octobre, nombreux sont les acteurs qui révèlent les dessous de cet événement historique. Parmi les acteurs de ces événements, un des principaux personnages, le premier ministre du Québec de l'époque, Robert Bourassa, n'est plus pour commenter ses faits et gestes. Ses écrits sur cette période de sa carrière politique sont d'ailleurs peu nombreux. Toutefois, lors de la réunion du Conseil général de la Fédération libérale du Québec, tenue le 29 novembre 1970 en plein coeur de la crise, Robert Bourassa en a profité pour expliquer aux 189 personnes de sa formation politique présentes sa version des faits et le pourquoi de l'adoption de la Loi des mesures de guerre.
Cette rencontre a lieu quelques jours avant la libération du diplomate James Richard Cross le 3 décembre. Il semble également que cette réunion se soit tenue sans la présence des journalistes car nous n'avons retrouvé aucun compte rendu de cette rencontre dans Le Devoir et La Presse du lendemain.
On sent un Robert Bourassa ferme dans ses propos. Mais le plus surprenant est à l'effet qu'à aucun moment il ne mentionne le nom de Pierre Laporte. Selon ses propres explications, la raison d'État et le rôle accru de la police semblent avoir été plus importants que la survie de son ministre.
«L'HON. ROBERT BOURASSA
[...]
Je veux vous remercier de votre présence cet après-midi et pour votre participation à cette réunion. C'est la première réunion depuis le congrès [à la direction de janvier 1970] et depuis le congrès [annuel de la Fédération libérale du Québec en septembre], vous le savez tous, il s'est passé au Québec des évènements tragiques. Des évènements qui ont fait que nous venons de traverser la crise la plus cuisante de l'Histoire du Québec selon l'avis objectif de tous les observateurs.
Que l'exercice du pouvoir se fait pour nous à un moment historique, il est heureux que la population dans sa sagesse fondamentale avait peut-être prévu le 29 avril en donnant au gouvernement libéral une solide majorité. Il est heureux qu'elle ait choisi le parti au pouvoir, le seul véritable parti québécois parce que, comme je le disais au congrès, le seul parti où tous les Québécois peuvent se sentir à l'aise.
Le rôle d'un parti dans une crise comme celle-là, vous l'avez rempli d'une façon merveilleuse. L'appui total, le support continu que vous avez donné au gouvernement était un élément extrêmement réconfortant. Le Parti libéral du Québec dans cette crise a montré une solidarité exemplaire, une solidarité d'autant plus exemplaire que les autres partis qui pourtant n'avaient pas la responsabilité du pouvoir, qui pourtant n'avaient pas la responsabilité de prendre des décisions d'une extrême gravité, eux ont été incapables de montrer cette solidarité. On pourrait tous les analyser: le NPD qui s'est divisé sur les mesures de guerre, l'Union nationale qui s'est divisée aussi vis-à-vis les mesures de guerre. C'est ça que je veux vous dire aujourd'hui et je veux vous remercier au nom du gouvernement, des députés, de cet appui, de ce support réconfortant pour nous dans ces moments d'une extrême gravité.
Ce n'était pas facile de prendre des décisions, le chef qui devait prendre les décisions les plus difficiles pas au niveau municipal, pas au niveau fédéral. Comme c'était un collègue, il fallait réfléchir, il fallait discuter. Il fallait mesurer la portée de tous nos gestes, les implications à court terme, à moyen terme parce que c'est un peu le régime démocratique, le fondement de la civilisation qui était en jeu parce que si le gouvernement, quel que soit l'attachement personnel, profond qu'on pouvait avoir pour les gens impliqués, quelle que soit la peine qu'on pouvait éprouver, une peine qu'on ne peut décrire lorsqu'on voyait les parents, les enfants de ceux qui étaient impliqués, on ne pouvaient pas, nous ne devions pas oublier que si nous avion cédé c'est l'État du Québec qui cédait à une poignée de terroristes, qu'est-ce qui serait arrivé par la suite.
Vous connaissez les arguments de nos adversaires, pas nombreux, mais ils ne cessent de le répéter sans répondre d'aucune façon aux faits et aux implications des gestes que nous avons posés. Vous savez ce qu'ils disent : on aurait dû céder et après on aurait fait face aux terroristes.
Comme c'est naïf et j'en viens à me demander si ce n'est pas malhonnête de leur part, sans être capables de dire qu'est-ce qu'ils auraient fait eux s'il y a un autre attentat. Si nous avons cédé, il était impossible de prévenir tout autre attentat, on ne peut pas protéger 6 millions d'individus honnêtes. Objectivement ça voulait dire que l'État en cédant une fois était obligé de céder sur toute une série d'autres choses qui auraient détruit l'institution, le système, le régime, la volonté libre, expresse de la population. C'est ça qui était en jeu et ça ça dépasse le Québec, le Canada, l'Amérique du Nord mais c'est nous qui avions à prendre la décision du gouvernement du Québec. C'est pourquoi nous avons pris cette décision, en réfléchissant, en examinant toutes les opinions devenues unanimes [sic], qui a conduit au résultat tragique que vous connaissez.
Maintenant nous avons appris à faire de cette crise un rechange au stress politique et une volonté d'action qui nous permet de savoir exactement où nous allons. Les terroristes, quel que soit leur nombre, quel que soit le caractère inique de leur geste, savent ou doivent savoir qu'est-ce que le gouvernement va faire. Nous n'avons pas cédé, nous ne cédons pas et nous ne céderons pas. C'est évident que nous ne pouvons pas dire que par cette leçon il n'y aura plus de terroristes. On ne sait pas ce qui peut arriver, il ne faut pas s'illusionner, il faut espérer dans la population. La crise n'est pas finie parce qu'elle peut reprendre à n'importe quel moment. On se doit de prendre toutes les mesures nécessaires au point de vue policier, social, politique pour protéger au maximum la population.
[...]
La crise que nous venons de traverser met en relief des causes immédiates et profondes. Le gouvernement peut faire face à ces deux niveaux de causes. Nous ne pouvons pas séparer les unes des autres. Il nous faut faire face aux causes immédiates et il faut intensifier l'action policière. C'est pourquoi nous avons recouru aux mesures de guerre. Nous sommes convaincus que la presque totalité de la population était d'accord avec ces mesures. Lorsqu'il y avait des ministre et diplomate qui étaient enlevés, est-ce qu'on devait hésiter?
D'accord que les résultats ne sont pas mirobolants. Il reste que c'est une nouvelle forme de terrorisme extrêmement difficile à prévenir, sans précédent, mais nous allons nous préparer à y faire face. Nous avons été un peu pris par surprise au niveau de l'action policière. Nous nous préparons parce que nous n'avons aucune espèce de droit d'attendre et de permettre que par négligence de telles choses puissent se répéter.»

Michel Lévesque, politologue et historien
Source : Procès-verbal de la réunion du Conseil général de la Fédération libérale du Québec tenue à l'Hôtel Reine-Élizabeth, à Montréal, le 29 novembre 1970, à 14h, p. 8-10.


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé