Les jours passent et le malaise grandit autour de la commission d'enquête sur le viaduc de la Concorde.
Dès la nomination de Pierre Marc Johnson comme président, l'opposition à Québec a protesté. La position de Mario Dumont et André Boisclair paraissait à certains inspirée par la pure manoeuvre politique tout comme la création d'une commission, au fait.
Mais deux semaines plus tard, il me semble que Mario Dumont et André Boisclair avaient raison. Pierre Marc Johnson n'est pas l'homme de la situation.
Non pas que l'homme n'ait pas mérité de la patrie. Non pas qu'on puisse remettre en question son intégrité de quelque façon que ce soit. Ni sa volonté de faire toute la lumière sur cet accident qui a causé cinq morts.
Mais il a vécu, et cette vie professionnelle remarquable a fait de lui un homme aux liens trop nombreux pour qu'il remplisse uti lement cette importante tâche. Or, pour valoir quelque chose, cette commission doit apparaître impartiale à tous tous les gens raisonnables.
Le concept d'apparence d'impartialité n'est pas seulement une chimère d'avocats tatillons. C'est un moyen de rassurer le public que la personne qui prendra une décision sur un sujet important et controversé est totalement désintéressée personnellement.
Il n'est pas suffisant que Pierre Marc Johnson soit désintéressé. Il faut que cela apparaisse à tous clairement. M. Johnson le comprend très bien, lui qui vient de démissionner " temporairement " du conseil d'administration de Ciment Saint-Laurent. D'une certaine façon, on peut bien se demander ce que sa position dans ce conseil d'administration changera aux faits et à son analyse. Après tout, Ciment Saint-Laurent n'a rien à voir avec ce viaduc.
Mais si M. Johnson a fait ce choix, c'est parce qu'il estime que pour apparaître impartial, il doit se départir de toute attache qui permettrait de remettre en question ses éventuelles conclusions ou recommandations.
Pourtant, M. Johnson ne fait les choses qu'à moitié. Il démissionne temporairement du c.a. de cette société. Ce qui signifie qu'il entend y revenir. Ce qui revient à peu près à ne pas démissionner, puisque les mêmes personnes qui remettraient en question ses conclusions à cause de ses liens avec cette société seront tentées de se demander s'il n'a pas ménagé ses arrières. Des experts commencent à nous dire qu'il ne faut plus utiliser le béton pour les viaducs, mais l'acier. Ont-ils raison? Je n'en ai aucune idée, mais il y a certes là un enjeu et des intérêts immenses qui s'affrontent.
Si la femme du commissaire était ministre des Transports, il ne suffirait pas de dire : je ne la verrai pas pendant six mois, mais une fois le rapport déposé, nous reviendrons ensemble.
M. Johnson est non seulement un ancien premier ministre, ce qui n'est évidemment pas une tare, mais également un avocat du gouvernement du Québec dans le dossier du bois d'oeuvre. Dossier clos récemment, certes, mais qui a fait de lui l'avocat de ce gouvernement. Rien de mal là non plus. Mais simplement, le travail de commissaire dans une tâche qui met en cause la responsabilité du gouvernement du Québec vient d'être donnée à un avocat qui avait un dossier juridique et politique majeur avec ce même gouvernement, mais en tant que client.
On apprend également qu'Armand Couture, un des co-commissaires, ex-PDG d'Hydro-Québec, a un fils chez Dessau-Soprin, la firme d'ingénieurs qui a avalé celle qui était responsable du chantier en 1968. Ce jeune homme n'a bien sûr rien à voir avec ce viaduc, d'ailleurs il n'en construit pas. Mais cela s'ajoute à l'inconfort.
Encore une fois, il ne s'agit nullement de voir ici un quelconque complot. Simplement, les enjeux sont considérables, tant sur le plan des réputations que de la responsabilité.
Certes, une commission d'enquête n'a pas le droit de tirer des conclusions quant à la responsabilité civile ou criminelle.
Mais on ne sait pas ce qu'on découvrira tant qu'on ne l'a pas découvert. Il y a présentement une enquête policière. Techniquement, il n'est pas impossible qu'on découvre une négligence criminelle. Juridiquement, il n'est pas impossible de déposer des accusations.
Toutes les firmes visées de près ou de loin par cette commission embaucheront des avocats, si ce n'est déjà fait. Il y aura donc énormément de pression sur la commission, comme c'est toujours le cas. Et donc toutes les excuses seront bonnes pour l'attaquer.
Or, il y a une sorte de personnes dans notre société qui est payée pour n'avoir de comptes à rendre à personne d'autre qu'au public. Des gens qui n'ont pas le droit de siéger à des conseils d'administration ou d'avoir des mandats de quiconque. On les appelle des juges. Ils ne sont pas moralement supérieurs. Ils font simplement un autre métier.
Les juges ont aussi sur M. Johnson l'avantage de fréquenter les cours de justice, d'avoir l'habitude de l'application des règles de droit en direct, et des réflexes de prudence nécessaires à la tenue d'une enquête, qui est en fait un procès selon des règles plus souples, et avec des objectifs différents.
Il se trouve que les commissions d'enquête sont devenues de lourds bateaux juridiques. On peut le déplorer, on a raison de le déplorer même. Mais ça ne change rien à l'affaire. Il y a peu de commissions d'enquête qui ne sont pas attaquées devant les tribunaux pour toutes sortes de raison, bonnes ou pas. Même le juge Gomery l'a été, sans succès jusqu'à maintenant.
Mieux vaut minimiser les risques. Mieux vaut mettre toutes les chances du côté de cette commission, qui a sa raison d'être. En ce moment, ce n'est pas le cas.
Pour joindre notre chroniqueur : yves.boisvert@lapresse.ca
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