En plein cœur de l’été, avec la diversion offerte par les problèmes de l’économie mondiale et la bisbille au PQ, le gouvernement Charest se croyait bien à l’abri de tout développement susceptible de braquer sur lui les feux de la controverse.
C’était compter sans la gangrène qui gruge les infrastructures routières du Québec et qui s’est encore manifestée de façon spectaculaire lorsqu’une poutre de béton du tunnel Ville-Marie s’est effondrée sur la chaussée sans crier gare. Fort heureusement, cet incident, survenant tôt un dimanche matin en pleine période des vacances, n’a fait aucun mort ni blessés.
On imagine sans peine la catastrophe qu’il aurait fallu déplorer si l’incident était survenu quelques semaines plus tard, le jour, à une heure d’affluence. Mais ce n’est pas parce qu’il n’y a pas mort d’homme qu’on ne doit pas se poser de sérieuses questions.
Le problème du vieillissement des infrastructures routières n’est pas particulier au Québec. Ce qui dérange dans le cas du Québec, c’est la multiplication des incidents graves et la possibilité qu’il existe un lien entre ceux-ci et certaines pratiques mafieuses qui ont cours dans l’industrie de la construction au sens le plus élargi du terme, à partir des donneurs d’ordres, des firmes de génie-conseil, des entrepreneurs en construction, des sous-traitants, de l’Office de la construction du Québec, des syndicats de métiers, des partis politiques, etc…
Et il n’est certainement pas déplacé de soulever cette question lorsqu’un des premiers gestes posés par le ministre des Transports à l’annonce de la nouvelle a été de demander à la Sécurité du Québec d’ouvrir une enquête policière.
A priori, la demande aussi précipitée de l’ouverture d’une enquête policière a de quoi surprendre lorsqu’il n’y a ni morts ni blessés. En effet, les policiers n’ont aucune compétence pour déterminer les causes mécaniques de l’effondrement survenu hier. C’est l’affaire des ingénieurs.
Alors, si le ministre des Transports a ordonné aussi vite la tenue d’une telle enquête, c’est qu’il dispose de renseignements qui ne sont pas accessibles aux communs des mortels que nous sommes, et qui l’amènent à croire à la possibilité que des activités criminelles puissent être à l’origine de l’effondrement sans en être pour autant la cause immédiate.
Hypothèse farfelue ? Pas du tout. On se souviendra que le ministère des Transports avait confié à l’ancien chef de police de Montréal, Jacques Duchesneau, la responsabilité de mettre sur pied une unité d’enquête au sein du ministère pour surveiller certaines pratiques dans l’industrie. Cette décision s’inscrivait dans la foulée d’une analyse des conclusions et recommandations de la Commission mise sur pied pour enquêter sur l’effondrement meurtrier du viaduc de la Concorde à Laval le 30 septembre 2006.
Après de nombreuses péripéties qui faisaient encore les manchettes l’hiver dernier, l’unité en question avait été rattachée à une autre disposant d’un mandat plus large. Il est cependant tout à fait raisonnable de croire que cette unité élargie et le ministère des Transports sont en liaison très étroite.
Dans ma série d’articles sur les tentacules de la mafia mise en ligne par Vigile l’automne dernier, je m’étais justement penché sur les circonstances très particulières de l’effondrement du viaduc de la Concorde :
« Au moment de devenir sénateur [Libéral], Pietro Rizzuto dirigeait une entreprise de travaux publics de Laval, l’Inter State Paving, qui avait à un certain moment eu comme gardien de nuit un certain Pietro Sciara qui s’était enfui de Sicile après y avoir été déclaré coupable d’association mafieuse. Sciara cumulait ses fonctions de gardien de nuit chez Inter State Paving avec celles de consigliere auprès de Vic Cotroni et Paolo Violi au moment où il fut assassiné.
On se souviendra qu’Inter State Paving avait été l’entreprise qui avait construit le viaduc de la Concorde sous la surveillance de la firme d’ingénierie Desjardins Sauriol, aujourd’hui Dessau. [ … ]
La commission d’enquête (oui, vous avez bien lu, une commission d’enquête !) avait attribué l’effondrement du viaduc aux facteurs suivants...
- la conception du viaduc, au départ, était « particulière ». Tellement, que certains éléments n’étaient pas couverts par les codes de construction de l’époque.
- l’acier d’armature d’une partie cruciale du viaduc, soutenant le lourd tablier de béton, n’a pas été installé conformément aux plans, ce qui a favorisé la formation d’un plan de rupture qui correspond à celui de l’effondrement.
- le béton utilisé dans le viaduc n’avait pas les caractéristiques suffisantes pour résister aux cycles de gel-dégel en présence de sels fondants.
... sans parvenir à établir les responsabilités.
Évidemment, tous ces faits en apparence indépendants les uns des autres prennent une toute autre couleur dans le contexte de ce que l’on apprend depuis un an sur les rapports entre firmes de génie-conseil, entreprises de construction, et le PLC/PLQ et leur financement. »
Avec ce rappel historique, on comprend beaucoup mieux pourquoi le ministre des Transports a demandé aussi rapidement l’ouverture d’une enquête policière sur les événements d’hier, et l’on comprend aussi pourquoi le gouvernement Charest s’opposera obstinément, avec toute la mauvaise foi qu’on lui connaît, à la mise sur pied d’une enquête publique.
Imaginez maintenant le tollé s’il fallait qu’on apprenne que ces deux structures (le viaduc de la Concorde et le tunnel Ville-Marie) avaient été érigées par la même entreprise !
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9 commentaires
Archives de Vigile Répondre
2 août 2011Il faut se souvenir que dans les années 1965-1975 il y eut une grande effervescence dans les travaux d’infrastructures à Montréal. Aussi, il est arrivé que des éléments proches de la mafia se soient infiltrés dans le domaine de la construction surtout à Montréal et dans la région métropolitaine avec le résultat que l’on connaît . L’échangeur Turcot, le pont Champlain et de multiples autres infrastructure en sont un parfait exemple. Sur ces grands chantiers il est évident que l’absence de contrôle de la qualité s’est avérée désastreux.
Ainsi, des structures qui n’auraient nécessité qu’un entretien routinier sont en voie de s’écrouler après moins de 40 ans d’existence, alors que la durée vie normale pour les ouvrages d’art est de plus de 75 ans.
Çela s’est produit il y 40 ans et aujourd’hui il faut payer les pots cassés.
Malheureusement, on semble encore être sur la même voie et on retrouve les mêmes éléments douteux dans beaucoup de projets que ce soit à Montréal ou dans le Nord..
Archives de Vigile Répondre
1 août 2011Humaniste vous vous interrogez sur la solidité remarquable du pont Jacques-Cartier.
Peut-être n'est-ce pas une simple affaire de ciment.
Le savez-vous, le pont Jacques Cartier a été conçu par nul autre que Gustave Eiffel.
Archives de Vigile Répondre
1 août 2011Pourquoi à travail équivalent les travaux de constructions au Québec coutent 40 % plus cher qu'en Ontario ?
Il y a probablement une corruption dans ce secteur mais une série de mesures pourraient être entreprises.
1) Ouvrir la compétition (firmes d'ingénieurs et firmes de constructions) à des entreprises extérieures au Québec car dans ce milieu, comme d'en d'autres d'ailleurs, le client d'aujourd'hui peut-être le patron de demain, etc...Si j'en crois ce que je vois ailleurs, les firmes chinoises ou coréennes font le même travail pour facilement 50 % moins cher...
2) Mettre fin au monopole syndical pour l'embauche du personnel sur ces chantiers (la FTQ va vous envoyer ses gros bras....je sais). Nous avons bien des travailleurs temporaires dans l'agriculture (Mexique, Guatémala)...pourquoi pas dans la construction (Chine, Corée) ?
3) Exiger des cautions financières conséquentes des firmes qui sont en compétition avec engagement de résultat, au forfait, avec pénalités de retard, et faire effectuer les contrôles par des firmes d'ingénieurs conseils qui ne pourraient faire que du contrôle...pas associées au gré des contrats avec Pierre ou Paul...
4) Il va bien falloir que les gens des banlieues montréalaise ou de la ville de Québec finissent par accepter de payer des péages pour rentrer et sortir des agglomérations, ce qui permettrait de maintenir les structures...l'utilisateur payeur.
Archives de Vigile Répondre
1 août 2011Message à M. Le Hir
[1] La corruption est le symptôme d'une démocratie malade. Pas d'un gouvernement ou d'un parti politique.
[2] Ce n'est pas en changeant les personnes qu'on va changer les choses. C'est en changeant les institutions. C'est pas pareil.
[3] Il ne faut pas avoir le nez collé sur l'arbre et ne pas voir la forêt.
[4] Et il faut surtout ne pas avoir un point de vue partisan sur les choses, mais un point de vue citoyen.
[5] Je n'aime pas les partisans. Ils sont toujours en conflit d'intérêts et cela me dérange au plus haut point.
[6] Changer le PLQ pour le PQ sera, en ce qui me concerne changer 4 trente sous pour une piastre. Un cataplasme sur une jambe de bois. Encore et toujours de la petite politique provinciale partisane de merde, sans vision à long terme.
[7] Cela n'a rien à voir avec le PQMarois. Cela a à voir avec l'oligarchie déguisée en démocratie et la corruption généralisée qui s'en suit.
[8] Mon opposition au PQMarois est à un double niveau : celui de l'indépendance de notre patrie et celui de la réforme de la démocratie. À ces 2 niveaux, le PQMarois est nul. Complètement nul.
Pierre Cloutier
Archives de Vigile Répondre
1 août 2011Dans le rapport de 2008 divulgué,on peut y lire:
''Le rapport d'inspection du tunnel de l'autoroute Ville-Marie réalisé en 2008 par des ingénieurs de SNC-Lavalin pour le ministère des Transports du Québec fait état de fissures et d'une détérioration des structures de béton, qui menaçaient la sécurité des usagers. On y recommandait une intervention rapide.''
http://www.radio-canada.ca/regions/Montreal/2011/08/01/005-effondrement-tunnel-ville-marie-enquete.shtml
et un peu plus loin celui de 2010:
''Quant à la fiche d'inspection des ingénieurs datant de 2010, on y trouve seulement la mention « rien de particulier à signaler »''.
Et rien n'a été fait entre 2008 et 2011.
Et rien à signaler madame Boulet?
Vivement l'enquête publique sur l'industrie de la construction c'est clair comme de l'eau de roche et çà pu en plus!
Marcel Haché Répondre
1 août 2011Une enquête large sur la construction pourrait peut-être mettre en relief des connivences sur bien d’autres projets que les seuls viaducs et autoroutes. Je pense ici au système montréalais d’aqueducs, responsable de nombreux problèmes et accidents.
Si la vérité et la réalité ont encore droit de cité sur Vigile, les citoyens conducteurs d’autos s’intéressent moins à une chambre citoyenne du grand bla-bla, qu’à pouvoir passer sur les ponts et sous les viaducs en toute sécurité.
C’est au mérite du P.Q. de faire la job pour laquelle il a été élu, c’est-à-dire constituer l’opposition officielle, et servir de caisse de résonnance à l’inquiétude des citoyens. Et ce serait au grand mérite de Mme Marois, élue au poste suprême, d’enclencher une enquête et faire la job du perron de porte qui Nous tient lieu de premier ministre.
@ Richard Le Hir Répondre
1 août 2011Me Cloutier,
[1] Votre obsession anti-Marois vous égare.
[2] La nécessité d'une enquête publique sur la corruption est certainement le sujet sur lequel les Québécois soient parvenus à faire le plus large consensus depuis des lunes.
[3] Vos critiques sur les commissions d'enquête ressemblent à s'y méprendre à celles de Jean Charest.
[4] La décision du ministre Hamad de demander à la police de faire enquête constitue déjà une indication qu'une enquête criminelle est en cours. Il est donc inutile d'en faire la demande, il suffit de se renseigner sur sa progression.
[5] La corruption constitue la pire menace à la démocratie. On ne peut espérer atteindre cet idéal sans d'abord nettoyer les écuries d'Augias, ce qui exige un degré très élevé de transparence, et il n'existe aucune assurance qu'une chambre citoyenne serait mieux en mesure de l'assurer qu'une commission d'enquête sur le modèle de celles que nous connaissons, surtout si l'on tient compte de la très longue courbe d'apprentissage inhérente à la mise en plus de toute nouvelle institution politique de cette envergure.
[6] Jamais "poutine" ne fut plus méritée que celle que se fait servir sans relâche depuis plus de deux ans le PLQ. Il faut remonter aux dernières années de l'Union Nationale à la fin des années 1950 et du régime libéral d'Alexandre Taschereau dans le milieu des années 1930 pour trouver des situations comparables. J'ai beau ne pas porter le PQ dans mon coeur pour les raisons que vous connaissez, je ne peux en aucune façon assimiler les accusations contre le PQ à la fin de son dernier mandat à celles qui pèsent aujourd'hui contre le gouvernement Charest.
Richard Le Hir
Archives de Vigile Répondre
1 août 2011C'est curieux qu'aucun journaliste ne soit assez brillant pour réaliser que les fondations du pont Jacques-Cartier sont sur du ciment. Et que curieusement ce ciment qui résiste admirablement au temps. Il me semble que cela devrait en réveiller plusieurs sur la qualité du ciment utiliser dans les infrastructures québécoise. Juste pour avoir un meilleur contrôle de qualité, la nationalisation d'une cimenterie serait un investissement qui se paierait par les économies réalisés à long terme.
Ce secteur est corrompue jusqu'à la moelle. Faire des travaux de réparation alors que le ménage n'a pas été fait, revient à jeter de l'argent par les fenêtres.
Archives de Vigile Répondre
1 août 2011[1] Je ne suis pas contre une enquête publique en autant que cela ne serve pas d'argument pour faire élire le PQMarois et sa "gouvernance souverainiste".
[2] Commençons par exiger la tenue d'une enquête criminelle s'il y a des indices qui nous amènent à croire qu'il y aurait eu négligence criminelle.
[3] Une enquête publique, en plus de coûter extrêmement cher, ne sert qu'à calmer les émotions publiques passagères et ne règlent rien à long terme, sauf produire des rapports qui se ramassent la plupart du temps sur des tablettes et qu'on finit par oublier.
[4] Pour régler ce genre de problèmes à long terme, la façon la plus efficace est de réclamer la création d'une Chambre citoyenne dont le mandat serait de faire contre-poids et d'agir comme Chambre de contrôle et de surveillance des pouvoirs législatif, exécutif, judiciaire, médiatique, y compris la fonction publique et l'émission des contrats.
[5] C'est en procédant à une réforme en profondeur de notre démocratie qu'on va changer véritablement les choses. Pas en changeant 4 trente sous pour une piastre.
[6] Quand le PLQ a voulu prendre le pouvoir en 2003, les accusations de corruption pleuvaient contre le PQ. Aujourd'hui, c'est la même maudite poutine qu'on nous sert contre le PLQ.Il faudrait peut-être arrêter de tourner en rond et de passer aux vraies solutions à long terme au lieu de mettre des cataplasmes sur des jambes de bois.
Pierre Cloutier