Aujourd'hui, Bédard (1762-1829) est pratiquement tombé dans l'oubli. Preuve urbaine, découverte au hasard d'une balade à vélo dans le Vieux-Québec, mercredi: une plaque, sur la maison qu'il habita, angle Haldimand et Mont-Carmel, derrière le Château Frontenac, mentionne exclusivement le fils de Pierre Bédard, Elzéar, qui fut maire de Québec.
Ce sort est injuste, croit Gilles Gallichan, qui travaille justement à sa réhabilitation depuis quelque temps. L'homme ne mériterait-il pas une redécouverte comme celle qu'on est en train d'opérer pour le compositeur André Mathieu? Précisément, croit l'historien.
Et aujourd'hui, c'est un peu la journée Pierre Bédard au Parlement de Québec. La Société du patrimoine politique tient un colloque sur «Pierre-S. Bédard et la crise de 1810». Y participeront entre autres les historiens Jocelyn Saint-Pierre, Micheline Cambron; Gilles Gallichan, bien sûr, ainsi qu'un autre Gilles, notre collègue à la retraite, Gilles Lesage.
Sur l'heure du midi on dévoilera, dans la pièce séparant les salons rouge et bleu, un buste de bronze signé Pascale Archambault. Il ne restait que bien peu d'images de Bédard, à part une gravure d'un autre buste, installé celui-là dans l'hôtel du Parlement du Bas-Canada, sis à l'emplacement de l'actuel parc Montmorency, à Québec. Après 1837, plus de traces de la tête de Bédard. Sans doute représentait-il, aux yeux du pouvoir colonial, un symbole de sédition.
Journaliste emprisonné
Bédard s'est opposé aux marchands anglais, qui, dans leur journal The Mercury, promouvaient le projet de défranciser — «unfrenchify» — les «Canadiens». Quelque 50 ans après la Conquête, ils ne s'assimilaient pas assez rapidement. Mauvais sujets britanniques, ils ne méritaient pas les libertés anglaises pourtant inscrites dans la Constitution de 1791. Avec le journal Le Canadien, Bédard veut leur répondre.
Bédard est journaliste, mais aussi... député. Chef fondateur du Parti canadien. À l'époque, les formations politiques ne sont pas structurées comme aujourd'hui. Bédard, avocat, s'impose par sa grande connaissance du droit constitutionnel britannique et malgré ses faibles talents d'orateur. «C'est une autre raison pour laquelle on l'a peut-être oublié, par rapport à un Papineau, flamboyant orateur», note Gallichan.
La Chambre basse de 1807 n'a aucun contrôle sur les dépenses publiques. Bédard lutte pour accroître ce pouvoir et entamera une «lutte des subsides» que Papineau poursuivra deux décennies plus tard. Bédard et son parti veulent aussi empêcher les juges de siéger à la Chambre, de lever des taxes pour la construction de prisons et de payer des indemnités aux députés aux circonscriptions éloignées.
Le Parti tory et le gouverneur Craig prennent en grippe tout ce qui a rapport au Canadien et à Bédard. Le gouverneur dissout l'assemblée et déclenche des élections en 1808-1809. La majorité «canadienne» est chaque fois plus imposante. En 1810, Craig frappe. L'équivalent des mesures de guerre: il fait saisir les presses du Canadien, fait arrêter Bédard et les copropriétaires du journal. «Les rues de Québec sont remplies de patrouilles, les accès de la ville sont strictement contrôlés et le service postal est suspendu», raconte Gilles Gallichan.
Bédard est arrêté. Sans mandat. Triste ironie, lui qui réclamait le respect des droits britanniques, au premier chef l'habeas corpus. Aux élections qui suivent, surprise, il est réélu, même s'il est en prison pendant la campagne. Au grand dam de Craig, un comité confirmera la validité de l'élection de Bédard, la «simple arrestation pour "pratiques traîtresses", sans accusation formelle devant un tribunal ni condamnation» ne suffit pas.
Les codétenus de Bédard cèdent les uns après les autres; signent des lettres d'excuses; paient des amendes. Bédard, lui, passera 391 jours en prison, refusant d'en sortir sans subir un procès en bonne et due forme. Et une fois qu'il aurait terminé... un problème de géométrie. Cet érudit éclectique a profité de son séjour en prison pour dévorer des dizaines d'ouvrages, notamment sur les mathématiques. Anecdote racontée par Philippe Aubert de Gaspé dans ses mémoires: «Le geôlier patienta [...], mais voyant alors que son prisonnier ne faisait aucun préparatif de départ, il lui déclara que s'il n'évacuait pas les lieux de bonne volonté, il allait, à l'aide de ses [gardes], le mettre à la porte. M. Bédard, voyant que l'on prenait les choses au sérieux [...] dit au gardien: "Au moins, monsieur, laissez-moi terminer mon problème." Cette demande [...] fut accordée d'assez bonne grâce. Monsieur Bédard satisfait, à l'expiration d'une heure, de la solution de son problème géométrique, s'achemina à pas lents vers sa demeure.»
Le gouverneur qui succéda à Craig, George Prévost, offrit à Pierre Bédard, en guise de dédommagement, un poste de juge à Trois-Rivières. Pratiquement ruiné, Bédard accepta. Sans perdre totalement le contact avec ses amis du Parti canadien qu'il aida malgré son devoir de réserve, il se retira de la vie publique et resta à Trois-Rivières jusqu'à sa mort, en 1829.
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À lire: Pierre Bédard, le devoir et la justice, de Gilles Gallichan, Les Cahiers des Dix, no 63 (2009).
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