Nous vivons en liberté surveillée. Oui, Big Brother est aussi Québécois. Si vous en doutez, rendez-vous à la commission Charbonneau, vous verrez que la machine à taper les lignes téléphoniques et à espionner les gens, suspects ou innocents, fonctionne à plein régime.
Depuis toujours, l’État veut savoir qui nous sommes, ce que nous pensons. Mais aujourd’hui, les méthodes ont changé radicalement. Nos opinions, téléphones, courriels, cartes de crédit, transactions bancaires et déplacements laissent des traces dans les métadonnées stockées dans les fichiers de l’État et de la police et dans ceux des bibliothèques virtuelles ultraprotégées des Google, Apple et Facebook.
La déprimante réalité, c’est que tous les États, démocratiques ou non, espionnent les citoyens de leur pays, comme aussi ceux des autres pays. C’est l’âge de l’omniprésent Big Brother qui, grâce à sa batterie d’espions électroniques ultra-performants, se fourre le nez partout avec la bénédiction des chefs d’État. Barack Obama vient d’en donner l’exemple. Malgré les révélations troublantes d’Edward Snowden, le président américain persiste et signe. Nullement repenti, malgré l’inquiétude de ses compatriotes, il vient d’avouer que la NSA (l’agence de surveillance américaine dont les grandes oreilles écoutent tout ce qui se dit sur la planète) continuera à archiver les données collectées sur la vie privée des Américains.
Lévesque, un Castro du Nord
Mais rien de nouveau là, sinon la méthode. René Lévesque était déjà dans le collimateur des services de renseignements de l’Oncle Sam qui le voyaient tantôt comme un Castro du Nord, tantôt comme un Garibaldi (champion de l’indépendance italienne) capable de faire éclater le Canada, et donc de nuire aux intérêts américains dans ce pays. Dès 1964, les renseignements américains l’avaient fiché comme séparatiste et le surveillaient de près, grâce aux consuls et ambassadeurs américains en poste à Québec et à Ottawa.
Ceux-ci adressaient au State Department dépêche après dépêche relatant les moindres faits et gestes de Lévesque. Mesurant la force de l’homme, l’un des diplomates, plus cynique que les autres, avait même écrit dans sa note à Washington que le seul moyen de l’arrêter serait la maladie, ou peut-être la mort… à cause de son usage immodéré de la cigarette!
Les libéraux fédéraux (et leur particule québécoise) s’y connaissent aussi depuis belle lurette dans l’art de surveiller les Québécois. Dès l’émergence du Parti québécois et de René Lévesque, à la fin des années 60, l’ancien premier ministre fédéral Pierre Trudeau, faisant comme si le PQ n’était qu’une clique de terroristes, et non une formation démocratique, a ordonné à la GRC d’espionner le parti et son chef. La police fédérale attribua à Lévesque le fichier D928-2470 classé ultra-secret.
La chasse aux indépendantistes
La crise d’octobre 70, rappelons-le, fit aussi le lit d’une opération d’espionnage sans précédent au pays dirigée contre le PQ, parti démocratique. Orchestrée par Pierre Trudeau en cheville avec la GRC (comme devaient nous l’apprendre par la suite les commissions d’enquête Keable et McDonald sur les actes illégaux de la GRC), la surveillance policière s’infiltra partout tel un virus maladif. Déjà, en décembre 1969, Trudeau avait demandé à sa police : « Quelle est l’ampleur de l’infiltration séparatiste au gouvernement du Québec, chez les fonctionnaires, les partis politiques, les universités, les syndicats et les milieux professionnels? » Il voulait connaître les effectifs et les finances des « organisations séparatistes » qu’il traitait dans son mémoire au Conseil des ministres de « current threats to national order and unity ». Donc : subversives.
Pour le savoir, la GRC se lança à la chasse non pas aux papillons, mais aux indépendantistes, y compris ceux « infiltrés » selon elle dans la bureaucratie fédérale. Elle y plaça ses informateurs pour débusquer les fonctionnaires soupçonnés de déviance péquiste. Les policiers royaux identifièrent 21 organisations québécoises — dont le Parti québécois — susceptibles selon eux « de provoquer des affrontements violents avec les autorités ». La GRC plaça micros, caméras vidéo et pions à la direction du PQ, à sa permanence montréalaise de l’avenue du Parc et parmi les délégués aux congrès du parti.
Une dérive antidémocratique
Partout. On l’apprendra des années plus tard, la GRC avait posé 580 dispositifs d’écoute entre 1971 et 1978 dans le cadre d’une infiltration à grande échelle d’informateurs fédéraux dans les diverses instances du PQ. Des années troubles où la frontière entre démocratie et État policier devenait ténue.
Cette dérive antidémocratique contre un parti démocratique culminera trois ans plus tard dans le vol par effraction de la liste des membres du Parti québécois. Dans la nuit du 9 janvier 1973, une quinzaine d’agents fédéraux s’introduisirent à la permanence du PQ et fichèrent à même la liste des membres du parti plus de 100 000 Québécois qui avaient adhéré en toute bonne foi à un parti légalement constitué dont les députés siégeaient au Parlement.
Ce fut l’Opération Ham restée impunie jusqu’à ce jour. Ce Watergate à la canadienne (introduction de cambrioleurs républicains dans les locaux du Parti démocrate, à Washington) mériterait plutôt l’appellation de Trudeaugate. En effet, dix ans après les faits, John Starnes, grand patron de la GRC, avouera publiquement que sa police avait chipé la liste des membres du PQ à la demande du cabinet Trudeau.
Le Centre d'analyse et de documentation
Pendant ce temps, à peine élu premier ministre, en avril 1970, Robert Bourassa s’est lancé lui aussi dans l’espionnage avec l’aide de la même GRC. Perturbé par le Crise d’octobre 1970, avec sa loi des mesures de guerre, l’assassinat du ministre Pierre Laporte et ses 450 arrestations, il a formé, au printemps 1971, le Centre d’analyse et de documentation (CAD) rattaché à son bureau. Logé au bunker, le CAD comprenait notamment une « salle de guerre » pour les situations de crise, une salle d’enregistrement des émissions de radio et de télévision et un centre d’analyse des renseignements recueillis. Grâce aux murs plombés du CAD, personne à l’extérieur ne pouvait savoir ce qui se tramait à l’intérieur.
L’un de ses objectifs était de surveiller les terroristes et les « taupes séparatistes » infiltrées dans la bureaucratie québécoise. Or les « espions » du CAD démontrèrent un zèle sans pareil. Ils accumulèrent des dossiers sur 30 000 personnes et 6 000 organisations : groupes de gauche, syndicats, activistes sociaux, intellos, milieux contestataires, etc. Une fois élu, en 1976, René Lévesque voulut supprimer le CAD pour montrer que les péquistes ne mangeaient pas de ce pain-là. Il se heurta cependant à deux de ses ministres poids lourds : Claude Morin et Jacques Parizeau. Le renseignement était pour eux un mal nécessaire et ceux qui voulaient faire l’indépendance devaient se protéger de leurs ennemis sous peine de tomber dans l’angélisme.
Après bien des tergiversations, Morin et Parizeau acceptèrent un compromis : les dossiers concernant les associations et groupes seraient conservés, mais les 30 000 fiches personnelles seraient détruites (selon des sources, elles auraient été microfilmées avant destruction). Loin de mourir de sa belle mort, le CAD des libéraux ressuscita donc sous les péquistes sous le nom de « Groupe d’analyse sur la sécurité de l’État québécois » relevant directement du ministre de la Justice, Marc-André Bédard, et non plus du premier ministre comme sous Bourassa.
À suivre
Le monde obscur de la surveillance (Partie 1)
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7 commentaires
Ouhgo (Hugues) St-Pierre Répondre
9 février 2014M. Godin,
Si vous avez des antennes, vous devez visionner ce docu espionnage recommandé par Léonce Naud
ECHELON NSA CSE (Communication Security Establiishment)
Préparé par TV5 : Tout le monde s'écoute donc personne ne peut dénoncer son voisin. Revue: Monde du Renseignement.
L'Europe ayant développé son réseau contre les É.U., ceux-ci ont truffé les pays européens de bases de coupoles.
M. Naud signale un passage vers la minute 30 où l'on parle du Québec: on y précise en effet que le Canada reçoit toujours, à la minute près toute information sur la séparation éventuelle du Québec.
Quand on dit que la prochaine élection au Québec sera manipulée de l'autre pays... (ce texte est lu en ce moment par un réseau nommé CSE) il est douteux que le gouvernement se soucie vraiment de la question...
Le LIVRE BLANC étant un langage codé, ne suffira pas à brouiller l'info. Les terroristes sont impossibles à capter parce qu'ils ne communiquent pas par électronique. D'où le retour des réels espions en chair et en os, avec ou sans valise!
Le must: pas de cell en transport en commun!
Pas d'info capitale sauf de vive voix en lieu sûr!
Archives de Vigile Répondre
9 février 2014En effet.
Je relais cet article (en anglais) au sujet de cette canadienne,Ellen Richardson,qui s'est vue refusé l'accès aux E.U. parce qu'ils savaient qu'elle avait fait une dépression majeure en 2012.Ce qui laisse supposer que le Canada collabore avec les E.U. dans le transfert d'informations personnelles et même médicales.
Big Brother may know everything about Canadians
http://www.thestar.com/news/the_fixer/2013/11/big_brother_may_know_everything_about_canadians.html
J'ajouterai également qu'il est ''intrigant'' de voir qu'il est maintenant interdit de sourire lors de la prise de photo pour sa carte d'assurance-maladie et de son permis de conduire.J'avais lu quelque part que cela avait commencé aux E.U. et que ces normes provenaient des capacités limitées des logiciels de traitement de l'image.
Maintenant dans cet article(appel d'offre)on nous dit que les normes doivent être égales ou supérieures aux demandes de l'OACI(Organisation de l'Aviation Civile Internationale)
...''En tant qu’organisme responsable de la production et de l’émission des permis de conduire du Québec, la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ) se doit de rencontrer et même dépasser les normes de l’AAMVA et de l’OACI ''...
https://www.seao.ca/OpportunityPublication/avisconsultes.aspx?ItemId=dbf22a7e-72c2-4cf1-877f-be1c285efa55
Peut-être rentrons-nous maintenant dans une base de données biométriques internationales et que oui effectivement Big Brother nous regarde de plus en plus.
Ce serait intéressant de fouiller çà.
Archives de Vigile Répondre
9 février 2014Vers la trentième minute de visionnement, on cause du Québec dans le film "Échelon, le pouvoir secret" :
http://www.youtube.com/watch?v=7tnMkHi8Po0
Archives de Vigile Répondre
8 février 2014On a souvent entendu dire que lorsque les écarts de revenus entre les élites riches et le reste de la population deviennent trop prononcés, la démocratie devient plus difficile à appliquer parce que les possédants peuvent diriger l'État comme ils le veulent tellement ils ont du pouvoir par le contrôle de la richesse qu'ils exercent.
Étant donné qu'on en est rendu là, je crois que les possédants, c'est à dire l'élite riche dirigeante, commencent à craindre les réactions des couches socio-économiques inférieures confrontées au désespoir économique.
C'est pour ça que la surveillance est augmentée.
Il faudrait un nouveau pacte social pour faire en sorte que tous aient accès à une vie décente. Cela aiderait à l'harmonie sociale et tout le monde serait moins inquiet, nantis comme moins nantis.
Le problème pour arriver à ce genre de solution, c'est que le Système favorise le chacun pour soi, l'individualisme, et rend ainsi difficile le dialogue citoyen.
Je l'ai déjà dit, je crois que tout cela va finir comme à l'époque de Noé; ce qui nous reste de civilisation va finir par être emporté par un quelconque cataclysme naturel de grande ampleur.
D'ailleurs, il est remarquable qu'à chaque semaine, de nouveaux volcans se réveillent un peu partout dans le monde et qu'on se trouve confronté à des températures de plus en plus extrêmes, l'hiver que vient de connaître le continent nord-américain avec ses records de froid et ses nombreux intempéries en étant un bon exemple. Pendant ce temps en Australie où c'est l'été, il y a des records absolus de chaleur pour le pays.
Curieux également que la presse mainstream, tout en soulignant ces phénomènes météorologiques, n'élabore pas trop.
Archives de Vigile Répondre
8 février 2014J'ai quelque peu mis ce dossier de côté pour m'intéresser de ce temps-ci à l'islam, mais je sais que beaucoup d'informations dans le dossier de surveillance de René Lévesque seront accessibles à la suite d'une décision rendue - de mémoire - par la cour fédérale, dans une autre affaire.
J'ai toujours un dossier ouvert en appel devant le commissaire à l'accès à l'information et à la protection des renseignements personnels et j'attends qu'on m'envoie les nouvelles informations déclassifiées.
J'ai tout le dossier au complet sous forme de CDROM et dès que je recevrai des informations additionnelles, il me fera plaisir de vous en envoyer une copie.
Mais, c'est un travail de moine bénédictin que de mettre tout cela en ordre et de lui donner un sens malgré tous les passages encore censurés après 30-40 voire 50 ans.
Ce que l'on sait c'est que René Lévesque a été espionné de 1946 à 1985, soit près de 40 ans. Vive la démocratie canadian.
Pierre Cloutier ll.m
avocat à la retraite
Jean-Claude Pomerleau Répondre
8 février 2014Rappel
Vigile, sur le cas depuis longtemps :
Le combat solitaire de Me Pierre Cloutier contre la STASI canadienne
http://www.vigile.net/Le-combat-solitaire-de-Me-Pierre
La STASI canadienne : Le silence des agneaux
http://www.vigile.net/La-STASI-canadienne-Le-silence-des
JCPomerleau
Archives de Vigile Répondre
8 février 2014Eh oui, voià de quoi faire réfléchir (peut-être) ceux qui pensaient que l'on vivait dans un paradis démocratique.
C'est là que l'on s'aperçoit que les élections servent seulement de façade démocratique, mais sont conçues pour reproduire indéfiniment le statu quo social, politique et économique.
Depuis 2012, j'ai décidé de m'abstenir lors des élections plutôt que d'endosser par mon vote un tel processus qui n'est pas vraiment démocratique.
La véritable démocratie consisterait plutôt à avoir une chambre citoyenne par tirage au sort. Là nous aurions plus de chance d'être en démocratie.
Car présentement, c'est exactement comme au 16e siècle lorsque l'humaniste anglais Thomas More constatait ceci:
"Quand je reconsidère ou que j'observe les États aujourd'hui florissants, je n'y vois, Dieu me pardonne, qu'une sorte de conspiration des riches pour soigner leurs intérêts personnels sous couvert de gérer l'État. Il n'est pas de moyen, pas de machination qu'ils n'inventent pour conserver d'abord et mettre en sûreté ce qu'ils ont acquis par leurs vilains procédés, et ensuite pour user et abuser de la peine des pauvres en la payant le moins possible. Dès que les riches ont une fois décidé de faire adopter ces pratiques par l'État - qui comprend les pauvres aussi bien qu'eux-mêmes - elles prennent du coup force de loi. Ces hommes détestables, avec leur insatiable avidité, se sont partagé ce qui devait suffire à tous ;"
Et malheureusement, les riches du 21e siècle ont plus de "moyens" qu'au 16e siècle pour "gérer l'État".