Déconfinement : jamais sans mon téléphone intelligent ?

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Le Big Brother volontaire


Qu’est-ce que la recherche des contacts ?


C’est la technique qu’utilisent les épidémiologistes depuis plus d’un siècle pour tenter de retrouver tous ceux qui auraient pu entrer en contact avec un patient atteint d’une maladie contagieuse. Elle a notamment joué un rôle dans l’éradication de la variole (disparue officiellement en 1980) et dans le contrôle de la grippe espagnole en 1918.


L’enquête épidémiologique est toujours utilisée de nos jours, y compris au Québec. Une entrevue est habituellement effectuée lorsqu’un nouveau cas de maladie infectieuse dangereuse est déclaré, et des travailleurs du milieu de la santé tentent ensuite de retrouver les gens qui auraient pu entrer en contact avec le patient pour qu’ils soient testés ou mis en quarantaine.


Si la méthode demande du temps et de nombreuses ressources en temps normal, l’effort nécessaire est décuplé en temps de pandémie. À Toronto, où 200 employés sont désormais attitrés à la tâche, l’agence responsable de la santé publique reconnaissait d’ailleurs la semaine dernière avoir de la difficulté à répondre à la demande. Dans l’État de New York, le gouverneur Andrew Cuomo prévoit qu’il aura besoin de « milliers » d’employés supplémentaires pour effectuer ce suivi.


Comment la technologie peut-elle faciliter la recherche des contacts ?


Selon des experts, une automatisation, du moins partielle, du processus pourrait être la solution pour permettre le suivi à grande échelle, et sera essentielle pour amorcer un déconfinement, puisqu’elle permettra de garder chez elles uniquement les personnes à risque, plutôt que l’ensemble de la population.


« Une intervention au cas par cas (comme cela est fait pour la tuberculose, la rougeole, les maladies transmises sexuellement et l’Ebola) sera impossible à mettre en place pour la COVID-19 sans de nouvelles initiatives nationales, qui combineront une expansion massive des tests de dépistage, une croissance sans précédent de la main-d’œuvre dans le milieu de la santé et l’adoption de nouvelles technologies dédiées à l’identification et au suivi des contacts », indique un plan national pour instaurer la recherche des contacts d’une façon systématique aux États-Unis, publié récemment par l’Université John Hopkins.



Le son de cloche est le même au Québec. Aucun avis sur la question n’a encore été produit par l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ), et aucune application de suivi n’a été annoncée pour l’instant, mais le centre d’expertise a indiqué par courriel à L’actualité que « les outils permettant de faciliter le recueil d’informations chez les cas, faciliter leur identification et leur suivi pendant la période d’isolement sont fortement souhaitables », et que des « travaux sont en cours au ministère de la Santé et des Services sociaux concernant les outils technologiques à déployer ».



 


Différentes technologies du genre ont déjà été utilisées dans le monde depuis le début de la crise pour faciliter les enquêtes épidémiologiques.


En Corée du Sud, par exemple, les autorités peuvent utiliser les informations GPS des téléphones provenant des opérateurs pour retracer les déplacements des individus. Contrairement à ce que plusieurs médias ont rapporté au cours des dernières semaines, la méthode n’est pas automatique. Les autorités de santé utilisent d’ailleurs aussi des informations provenant des sociétés de cartes de crédit et des caméras de surveillance pour recréer le parcours d’individus infectés.


À Taiwan, où la propagation du virus a rapidement été limitée au début de la pandémie, la recherche des contacts a été effectuée d’une façon traditionnelle, mais plusieurs outils technologiques ont tout de même été déployés. Les autorités ont par exemple fait parvenir des messages textes aux gens à risque dès le début de la crise (à partir des informations obtenues dans leurs dossiers de santé et selon leurs déplacements récents à l’étranger), et ont utilisé les téléphones pour s’assurer que les citoyens en quarantaine ne quittaient pas la maison.


L’avenue la plus prometteuse pour aider à automatiser l’enquête épidémiologique consiste toutefois à utiliser les téléphones intelligents pour garder une trace de tous ceux qu’une personne a rencontrés au cours des semaines précédentes.


L’Islande a par exemple lancé au début avril l’application mobile C-19. L’appli, installée d’une façon volontaire, note alors les coordonnées GPS des utilisateurs, et utilise ces informations pour retracer ceux qui ont pu entrer en contact avec un patient.


Singapour a pour sa part lancé à la fin mars TraceTogether, une application mobile utilisant le Bluetooth. Contrairement au GPS, la technologie Bluetooth ne permet pas de placer l’utilisateur sur une carte, mais elle permet de noter avec précision quels sont les autres utilisateurs rencontrés. Ces informations sont stockées dans une base de données, et les individus à risque peuvent être rapidement contactés lorsqu’un cas est déclaré.



 


Dans les deux cas, des contraintes techniques limitent toutefois le potentiel de ces applications, surtout sur iOS, où elles doivent être actives pour bien fonctionner. Les gouvernements demandent donc aux propriétaires d’iPhone de garder le téléphone et l’appli ouverts lorsqu’ils se déplacement en public, par exemple.



Quelle solution technologique a été proposée par Apple et Google ?


Une solution présentement en élaboration par Apple et Google pourrait uniformiser l’utilisation du téléphone intelligent dans la recherche des contacts et pallier aux faiblesses des premières applications mobiles développées jusqu’ici.


À la manière de l’application de Singapour, la solution développée conjointement par les deux entreprises américaines profite de la technologie Bluetooth.


Les téléphones dotés de l’outil émettront un signal anonyme et rechercheront les signaux similaires toutes les cinq minutes. En théorie, le système devrait ensuite noter tous les contacts avec lesquels un utilisateur a été à proximité (quelques mètres seulement, ce qui est estimé avec l’intensité du signal Bluetooth enregistré), pendant cinq minutes ou plus. Ni le nom de l’utilisateur, ni ses coordonnées GPS ne sont enregistrés. Quand un individu obtient un diagnostic positif de COVID-19, il peut l’inscrire dans l’application, et les personnes à risque reçoivent une alerte leur indiquant qu’ils pourraient avoir contracté la maladie. Ceux-ci doivent alors s’isoler et passer un test de dépistage rapidement.


Avec un tel système, ni Apple ni Google ne savent si un utilisateur est atteint de la maladie ou non. Et puisque l’outil sera implanté dans le système d’exploitation du téléphone directement, le suivi fonctionnera en tout temps, en arrière-plan. Le système ne gardera aussi en mémoire que les contacts des 14 jours précédents, et ne les notera plus après qu’un diagnostic ait été confirmé : l’outil ne pourra donc pas être utilisé pour assurer le respect des consignes de quarantaine, par exemple.


Alors que certains observateurs s’inquiètent que les outils développés pour suivre la COVID-19 transforment à long terme les pays en États de surveillance, il est bon aussi de soulever que la solution technologique proposée par Apple et Google sera désactivée à la fin de la crise.



 


Il est également important de noter qu’Apple et Google ne développeront pas les applications pour effectuer le traçage. Les deux entreprises ne font que concevoir la technologie qui pourra être utilisée par les applications des différentes autorités de santé publique dans le monde. Ce sont d’ailleurs ces dernières qui pourront déterminer ce qui représente un contact à risque (pendant 5 minutes ou pendant 15 minutes, par exemple), et ce que doivent faire les individus concernés lorsqu’ils reçoivent une notification.


Apple et Google estiment que les premières applications du genre pourront être lancées dès la mi-mai. Celles-ci pourront être indépendantes, mais le système permet une interopérabilité entre les applications, pour assurer le suivi des contacts d’un résident ontarien qui aurait visité le Québec, par exemple.


Une province ou un pays pourrait évidemment décider de faire cavalier seul et lancer sa propre solution. C’est d’ailleurs ce qui semble se dessiner en Europe pour l’instant, mais la situation pourrait encore changer dans les prochaines semaines.


La technologie respecte-t-elle la vie privée des utilisateurs ?


« Un outil bien conçu peut offrir des bénéfices pour la santé publique, mais un mal conçu peut représenter un risque non nécessaire à la vie privée et aux droits et libertés de la personne », analyse l’Union américaine pour les libertés civiles (ACLU) dans un billet publié récemment sur son site web.


Certaines solutions employées ailleurs, notamment à Taiwan, seraient d’ailleurs impensables dans le contexte canadien. « En situation de crise sanitaire, les lois sur la protection des renseignements personnels et autres mesures de protection sont toujours en vigueur », rappelle le Commissariat à la protection de la vie privée du Canada, dans un cadre pour l’évaluation par le gouvernement du Canada des initiatives en réponse à la COVID-19 ayant une incidence importante sur la vie privée mis en ligne cette semaine. Au Canada, la collecte de renseignements devra notamment respecter les règles régissant le secteur privé, dont l’obtention d’un consentement valable.


Pour l’ACLU, une solution de recherche des contacts devrait respecter certains principes technologiques, soit être volontaire, se limiter à un usage relié à la santé, recueillir le minimum possible d’informations, assurer la destruction des données à la fin de la crise, être transparente et limitée dans le temps. Si l’organisme estime que plus de détails devront être publiés par rapport à comment les contacts à risque seront déterminés, notamment, il considère que la proposition d’Apple et de Google « représente un très bon départ lorsqu’on l’analyse en fonction des principes technologiques à respecter ».


Il faudra toutefois attendre de voir comment les applications seront développées et présentées aux utilisateurs pour les évaluer avec plus de précision. Une autorité de santé publique pourrait après tout quand même enregistrer les coordonnées GPS d’un utilisateur et lui demander ses informations personnelles, par exemple.


Quelles sont les limites de la technologie ?


Des études indiquent que les applications de recherche des contacts pourraient s’avérer un élément essentiel dans un retour à la normale, mais la technologie n’est pas infaillible pour autant.


La technologie Bluetooth, même si elle est plus précise que le GPS, peut être difficile à utiliser pour la recherche des contacts. Des individus éloignés pourraient par exemple être considérés par erreur comme étant à proximité, ce qui pourrait créer des faux positifs. Trop de faux positifs pourraient réduire la confiance envers l’application et diminuer son efficacité.


« De la perspective de santé publique, pour que les outils technologiques sur le “contact tracing” soient efficaces, il faut qu’ils soient adoptés par la majorité de la population », rappelle aussi l’INSPQ à L’actualité. Les autorités de santé publique au Royaume-Uni estiment d’ailleurs qu’au moins 60 % de la population devrait adopter une application du genre pour que celle-ci soit efficace.


Atteindre un tel pourcentage pourrait être difficile, surtout si on pense que le taux d’adoption des téléphones au Canada est d’environ 86 % chez les adultes et que les plus vieux téléphones (les iPhone lancés avant l’iPhone 6S et les appareils Android équipés d’une version antérieure à Android 6.0) ne seront pas compatibles avec la technologie proposée par Apple et Google.





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