Aux premiers jours des événements d'Égypte, Mahmoud Ahmadinejad, dont le régime se veut une figure de proue pour l'ensemble du monde musulman, avait annoncé des manifestations de soutien en Iran. On a vu comment les manifestations qui ont eu lieu en Iran se sont tournées contre son régime.
PHOTO: VAHID SALEMI, AP
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Harcelée qu'elle était par les mises en garde et pressions d'Israël jusqu'à la démission d'Hosni Moubarak, l'administration Obama subit maintenant surtout celles de l'Arabie Saoudite avec les événements survenus la semaine dernière à Bahrein. On est passé de l'épouvantail des Frères musulmans à celui de l'Iran, qui planait constamment en arrière-plan.
Jusqu'ici, Barack Obama a assez bien résisté aux pressions. Mieux en tout cas qu'Hillary Clinton qui affirmait publiquement qu'il n'était pas souhaitable que Moubarak parte rapidement parce que la constitution égyptienne exigeait, dans un cas pareil, que des élections présidentielles se tiennent dans les deux mois et que c'était là un délai trop court pour que se forment des alternatives démocratiques. Dès son départ, la suspension de la constitution a montré l'inanité de l'argument.
Certes, les épouvantails gonflés et brandis par les régimes aux abois et qui sont vite repris par leurs amis et partisans du «moindre mal» ont une vie réelle et ne sont pas totalement artificiels. Mais la politique internationale ne peut se limiter à l'évitement des écueils.
Après l'assaut nocturne particulièrement brutal et meurtrier qu'elle a fait donner contre ses manifestants, la monarchie sunnite de Bahrein, comme son protecteur local, l'Arabie Saoudite a immédiatement pointé l'Iran comme responsable des événements. L'accusation est de prime abord crédible, d'autant que la majorité de la population de Bahrein est chiite à 60%. De plus, Bahrein étant l'hôte de la Ve flotte américaine qui est la principale gardienne de la pax americana dans la région, on peut immédiatement présumer la satisfaction de l'Iran face à ce qui s'y passe. À partir du moment où les musulmans chiites sont vus d'abord comme des instruments de l'Iran, la phobie de la monarchie saoudienne se comprend aisément. Si la minorité chiite de l'Arabie Saoudite n'est que de 10%, elle est de 30% dans ses plus importantes régions pétrolières.
Les chiites du monde arabe, largement minoritaires dans leur ensemble, ont leurs propres raisons de se rebeller. Partout et même dans les pays où ils étaient majoritaires, les chiites ont été historiquement déclassés. Le cas le plus patent étant celui de l'Irak de Saddam Hussein. Craignant la contagion de la révolution islamiste de Téhéran, Saddam s'était lancé dans une guerre de cinq ans contre l'Iran avec l'appui plus que tacite de l'Arabie Saoudite et de l'administration Reagan. Paradoxe révélateur: après avoir soutenu militairement et financièrement l'administration Bush-père dans la guerre contre Saddam après que celui-ci eut envahi le Koweït en 1990, l'Arabie Saoudite s'est opposée à celle de Bush-fils en 2003 pour en finir avec le dictateur irakien. Non sans raison, elle craignait qu'elle entraîne un renforcement de l'influence régionale de l'Iran en mettant les chiites au pouvoir en Irak. Sa phobie iranienne qui est partagée, et on comprend pourquoi par Israël, l'est heureusement à un moindre degré à la Maison-Blanche.
Mais tout autant que les chiites, ce sont les sunnites, pour des raisons qui transcendent les filiations religieuses et même nationales, qui défient maintenant la quasi-totalité des régimes oppressifs et corrompus de la région, au nom de la dignité et de la justice.
Aux premiers jours des événements d'Égypte, Mahmoud Ahmadinejad, dont le régime se veut une figure de proue pour l'ensemble du monde musulman, les avait salués et avait annoncé des manifestations de soutien en Iran. On a vu comment les manifestations qui ont eu lieu en Iran se sont tournées contre son régime. On comprend pourquoi Ahmadinejad ne se permet plus d'encourager ce qui se passe à Bahrein et ailleurs.
Ce qui se passe maintenant en Lybie où une répression, de nature carrément terroriste cette fois, ne parvient pas à s'imposer, montre bien la force et la diversité d'une vague qui ne peut qu'échapper aux récupérations d'organisations ou d'États sectaires. Le phénomène historique sans précédent qui se déroule sous nos yeux au Moyen-Orient et le caractère qu'il revêt devrait permettre de dégonfler les épouvantails pour saisir les opportunités qu'il présente sur le plan international.
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Jacques Lévesque
L'auteur est professeur au département de science politique de l'UQAM.
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