Pauline Marois s’est trouvé un nouveau rôle, celui d’ambassadrice de la langue française. En entrevue à La Presse canadienne diffusée dimanche, l’ancienne première ministre (2012-2014) confie avoir mal à sa langue et s’inquiéter des nombreux « glissements » observés récemment par l’Office québécois de la langue française (OQLF).
Le 20 août dernier, elle rencontrait d’ailleurs le premier ministre François Legault pour lui faire part de ses préoccupations. Sa décision d’intervenir dans le débat survient au moment où l’opposition dénonce l’absence d’un plan sur la langue française.
Pensons à la formule d’accueil « Bonjour-Hi ! », de plus en plus utilisée dans les commerces montréalais, la connaissance de l’anglais comme critère d’embauche et le recul d’un pour cent du nombre de Québécois ayant le français comme seule langue maternelle.
Pas de changement brusque, seulement que de légers reculs qui n’alarment personne, mais qui, sournoisement, appauvrissent la qualité du français d’année en année au Québec, déplore Mme Marois.
« Sans que ce ne soit dramatique, c’est comme ça que finalement, on laisse aller progressivement. On se dit : “ Non, c’est plus ou moins important, puisqu’il n’y a pas de drame à prévoir à l’horizon”.
« On devient un peu indifférent au fait qu’on nous aborde autant en français qu’en anglais », soulève-t-elle en qualifiant la situation actuelle d’« inquiétante ». Mme Marois refuse cependant de critiquer ouvertement le gouvernement Legault.
Au printemps dernier, l’OQLF — à qui on a coupé les vivres cette année de quelques centaines de milliers de dollars — rapportait que la proportion de commerces offrant un accueil uniquement en français a reculé entre 2010 et 2017, passant de 84 à 75 %.
En 2018, près de la moitié de la clientèle résidant dans la région montréalaise affirmait avoir été accueillie au moins une fois dans une autre langue que le français, dans les six mois précédant le sondage, une hausse de 27 % par rapport à 2010, et de 40 % par rapport à 2012.
Autre donnée : 80 % des Québécois utilisaient le plus souvent le français au travail en 2016, une baisse de 2 % par rapport à 2011. « Ce sont des signaux, prévient l’ex-chef du gouvernement. Vous allez me dire : « 2 %, ce n’est rien ». Mais 2 % de cinq ans en cinq ans, ça devient dramatique. »
A fortiori, l’immigration économique privilégiée par le gouvernement Legault « peut avoir un impact » négatif sur le français au Québec, s’inquiète-t-elle, car à partir du moment où l’objectif est de répondre aux besoins du marché du travail, le critère de la langue « passe au second plan ».
Pauline Marois est contente d’aborder le sujet lors d’un rare entretien téléphonique d’une vingtaine de minutes. La promotion de la langue française est l’un de ses « champs de bataille », dit-elle, un « engagement qui date de loin, lié à [ses] convictions profondes ».
Son gouvernement minoritaire avait présenté en 2013 une mise à niveau de la loi 101. Il avait dû y renoncer à cause d’un manque d’appui de la Coalition avenir Québec (CAQ)… de François Legault.
« Je pourrais être une ambassadrice du français, mais ça n’a rien à voir avec un poste ou une fonction, on se comprend, a-t-elle déclaré. Je continue à réfléchir sur la façon dont je pourrais être la plus utile pour continuer à faire avancer cette cause. »
Madame la ministre a fait une erreur
Elle se rappelle une époque où chaque faute de français commise par un membre de son cabinet lui était communiquée. « On me le laissait savoir et rapidement. C’était une priorité. Même moi, je fais un effort pour bien parler, utiliser les bons mots, mais je fais des erreurs comme tout le monde, et quand j’en faisais […] il y avait des téléphones qu’on nous faisait rapidement pour nous dire : « Non, non, non, ça n’allait pas. Madame la ministre avait fait une erreur. On ne prononce pas ce mot-là comme ça, ou elle ne devait pas utiliser ce terme-là dans le sens où elle l’a utilisé ». C’était très efficace comme méthode de correction. »
Les gens devraient continuer à se soucier de la langue, insiste-t-elle, à commencer par la fonction publique qui a le devoir d’exemplarité.
Plus tôt en août, La Presse canadienne a révélé qu’un document officiel du ministère de l’Immigration était bourré de fautes de français. On pouvait notamment y lire : « Veuillez, s’il vous plaît, trouvez ci-joint une copie des lettres décisions. » Le verbe « trouver » aurait dû être à l’infinitif et le style télégraphique des « lettres décisions » avait de quoi surprendre.
Multiplier les chiens de garde ?
Le Québec doit-il se doter d’un commissariat à la langue française qui examinerait en toute indépendance le travail de l’OQLF, tel qu’envisagé par le gouvernement Legault ? Pauline Marois en doute.
« Est-ce que c’est nécessaire de multiplier les chiens de garde, ou de faire en sorte que les chiens de garde qui existent aient les moyens d’agir ? Je pose la question », a-t-elle réagi.
Dans ce contexte, elle s’inquiète du sort que l’on réservera au Conseil supérieur de la langue française, qualifié en 2016 de « coquille vide » par la députée caquiste Claire Samson.
« Si on dit : « On se débarrasse de l’un au profit de l’autre » est-ce qu’on est gagnant ? C’est ça la question. Ou on regarde ce que fait le conseil et on le renforce ? »
Dans l’immédiat, selon Mme Marois, il serait souhaitable d’étendre la loi 101 aux petites et moyennes entreprises de 10 à 50 employés, où se retrouvent plusieurs nouveaux arrivants.