Ottawa -- Le Canada devra réécrire en partie sa loi sur les certificats de sécurité maintenant que la Cour suprême a tranché hier qu'il était déraisonnable de refuser aux suspects l'accès à la preuve retenue contre eux. L'existence des certificats n'est toutefois pas remise en question, ni l'emprisonnement indéfini qui en découle parfois.
Dans [un jugement unanime des neuf magistrats rédigé par la juge en chef Beverly McLachlin->4685], la Cour suprême donne 12 mois au gouvernement fédéral pour accoucher d'une loi améliorée. Par contre, le plus haut tribunal du pays laisse à Ottawa le choix des moyens. Tout au plus cite-t-il des exemples de solutions possibles. «Certes, écrit Mme McLachlin, la personne désignée [par un certificat de sécurité] est autorisée à présenter des arguments juridiques. Toutefois, sans la divulgation de la preuve et sans sa pleine participation du début à la fin du processus, elle n'est peut-être pas en mesure de préparer une argumentation complète.» Cela a pour conséquence que «le juge se retrouve dans une situation où il doit poser des questions et, ultimement, rendre sa décision en s'appuyant sur des renseignements incomplets qui ne sont peut-être pas fiables.»
Immédiatement, les avocats des trois hommes ayant porté leur cause jusqu'à la Cour suprême (Adil Charkaoui, Mohamed Harkat et Hassan Almrei) ont salué cette «victoire presque totale». La situation immédiate de leurs clients n'est pas affectée par ce jugement. Par contre, s'ils se trouvent encore au Canada au terme du délai accordé, le certificat en vertu duquel ils ont été arrêtés sera invalidé et Ottawa devra reprendre le processus depuis le début, selon les nouvelles règles qu'il se sera données.
«Je ne sais pas s'ils appliqueront le jugement de manière honnête, a lancé Adil Charkaoui, un des instigateurs de la cause, mais j'espère qu'ils entendront la voix du peuple.» M. Charkaoui a ensuite lancé: «Est-ce qu'ils vont continuer de me harceler ou entendre raison et me blanchir?»
Du côté du gouvernement, on s'est réjoui de ce que la Cour suprême ait «maintenu le principe» des certificats. «Le gouvernement a l'intention de répondre avec célérité et détermination à la décision de la cour», a fait savoir le ministre de la Sécurité publique, Stockwell Day. Interrogé sur sa capacité de convaincre l'opposition à la Chambre des communes, majoritaire, de procéder rapidement, le ministre s'est qualifié «d'éternel optimiste». «Je serais surpris que l'opposition ne respecte pas ce que la Cour suprême a dit et continue de s'opposer à ce processus.»
Le gouvernement de Stephen Harper reproche depuis quelques jours à l'opposition son refus de reconduire certaines clauses de la loi antiterroriste et il en a donc déduit hier qu'elle ferait preuve de la même «mollesse» dans sa réponse au jugement de la cour. Pourtant, le Bloc québécois et les libéraux ont dit vouloir contribuer à l'amélioration de la loi. Seul le NPD en demande l'abolition.
Les certificats de sécurité permettent au gouvernement fédéral d'expulser des non-citoyens se trouvant sur le territoire canadien qu'il estime dangereux pour la sécurité nationale. Récemment, ces certificats ont permis l'expulsion, en six semaines, d'un présumé espion russe se faisant passer pour Paul William Hampel. À l'heure actuelle, six personnes font l'objet d'un tel certificat et leur cas n'est pas résolu. Seuls trois d'entre eux sont à l'origine de la cause que la Cour suprême a tranchée hier. M. Almrei est encore emprisonné, les deux autres sont en liberté très surveillée.
Preuve secrète
Ces certificats de sécurité, qui doivent être signés par les ministres de la Justice et de la Sécurité publique en personne, sont revus par un juge de la Cour fédérale pour en déterminer le caractère «raisonnable». Lors de ces audiences à huis clos, le principal intéressé n'a pas le droit d'être représenté, ce qui le laisse totalement dans le noir en ce qui concerne les soupçons pesant sur lui. C'est cela que la Cour suprême a jugé injustifié. «Il faut soit communiquer les renseignements nécessaires à la personne visée, soit trouver une autre façon de l'informer pour l'essentiel», conclut la cour.
La cour cite cinq exemples prouvant que «le législateur peut faire mieux» et dont il pourrait s'inspirer, notamment le récent procès d'Air India et la commission d'enquête sur Maher Arar, où on a eu recours à des «avocats spéciaux». Un «ami de la cour» est aussi une possibilité. La cour rappelle que le Royaume-Uni, qui dispose aussi d'un processus de certificat de sécurité, l'a bonifié d'un «représentant spécial» permettant à la personne visée d'être représentée lors de la divulgation de la preuve. Ce système est très contesté parce que le représentant spécial ne peut plus entrer en communication avec le suspect une fois qu'il a pris connaissance de la preuve.
La Cour suprême reconnaît toutefois que le «droit d'une partie de connaître la preuve qui pèse contre elle n'est pas absolu». «La cour a reconnu à de nombreuses reprises que des considérations relatives à la sécurité nationale peuvent limiter l'étendue de la divulgation de renseignements à l'intéressé.»
La détention indéfinie acceptable
La Cour suprême a aussi rejeté l'argument des plaignants voulant que la détention, parfois indéfinie, qui découle d'un certificat contrevient à leurs droits. C'est que, tant qu'ils se prévalent des recours judiciaires disponibles, le Canada ne peut pas les expulser, ce qui mène parfois à un long séjour en prison. «Je conclus que les longues périodes de détention permises par les dispositions de la loi régissant les certificats ne contreviennent pas [...] à la Charte», écrit Mme McLachlin. Puis elle ajoute qu'«il est vrai que la détention en soi n'est jamais agréable, mais elle n'est cruelle et inusité au sens juridique que si elle déroge aux normes de traitements reconnue».
D'ailleurs, c'est ce point qui a le plus déçu les divers intervenants de la cause. «La cour suggère que les détentions indéfinies peuvent être constitutionnelles [...] et cela nous déçoit», a résumé Sujit Choudhry, l'avocat de Human Rights Watch, qui était intervenu dans la cause.
Gagner du temps?
Ottawa sera-t-il tenté de précipiter l'expulsion des hommes visés par les certificats de sécurité avant l'expiration du délai? Le ministre Day n'a pas voulu répondre. «Je ne crois pas que le gouvernement va faire cela, il va agir de manière responsable», a lancé Johanne Doyon, l'avocate d'Adil Charkaoui. «Ça nous coûte très cher, cette démocratie-là, et les élus respectent les cours de justice.» L'avocat de M. Harkat, Matthew Webber, a reconnu pour sa part que la stratégie de la prochaine année de sursis consistera à «faire passer le temps», question que le certificat soit invalidé.
La Cour suprême a quand même défendu la légitimité du processus des certificats de sécurité. «La Charte canadienne des droits et libertés ne protège pas les droits de façon absolue», écrit la cour. La cour a aussi reconnu qu'il était légitime de traiter différemment les non-citoyens. Par contre, les magistrats ont invalidé une portion de la loi imposant un traitement différent selon que le suspect était un étranger ou un résident permanent. «Cela devrait pouvoir se corriger facilement», a commenté le ministre Stockwell Day.
Ottawa devra refaire ses devoirs
Les certificats de sécurité resteront mais devront être un peu moins secrets, dit la Cour suprême
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