Quand les membres du Parti libéral se sont levés pour faire annuler deux articles de la loi antiterrorisme, leur collègue Irwin Cotler est resté assis.
On ne soupçonnera pas l'ancien prof de McGill et avocat de nombreux dissidents partout dans le monde d'être un partisan aveugle de la loi et l'ordre.
Quand le gouvernement de Jean Chrétien a introduit ces nouvelles mesures en 2001, Cotler a émis plusieurs réserves. La plupart de ses suggestions pour bien encadrer ces dispositions exceptionnelles ont été retenues, et Cotler a voté en faveur de ces mesures à l'époque.
D'abord, comme il l'avait écrit trois ans avant le 11 septembre 2001, il faut tenir compte de la nature du nouveau terrorisme, ce qu'il appelle le super-terrorisme transnational, qui, par ses objectifs et ses moyens, sort du droit criminel classique pour entrer dans l'ordre des crimes contre l'humanité.
Il n'y a pas de contradiction entre la lutte contre le terrorisme et les droits de l'homme. Au contraire, une politique antiterroriste ferme est un devoir envers le premier des droits de l'homme, le droit à la vie et à la sécurité.
Ensuite, aussi exceptionnelles soient-elles, ces mesures sont soumises à une approbation ministérielle, au contrôle d'un juge et à une révision parlementaire. En outre, elles devenaient caduques après cinq ans - raison pour laquelle il fallait un vote cette semaine.
De quelles mesures parle-t-on ? Les deux plus controversées, qui viennent d'être effacées de la loi, sont l'arrestation préventive sans mandat de suspects, accompagnée d'une détention renouvelable pendant au maximum un an, et la procédure d'interrogatoire forcé.
En cinq ans, jamais elles n'ont été utilisées. Voilà bien la preuve qu'on n'en a pas besoin, ont dit le PLC, le Bloc et le NPD. Après tout, pendant la même période, 12 enquêtes antiterroristes visant des complots ont été menées avec succès au Canada, d'après les services de police et de renseignement.
Mais l'argument peut être renversé : si on ne les a pas utilisés pendant tout ce temps, c'est donc la preuve que les risques d'abus étaient largement exagérés.
La Cour suprême elle-même a reconnu la validité de l'interrogatoire forcé. C'est une limite raisonnable au droit au silence : le suspect a droit à un avocat, un juge assiste à l'interrogatoire et on ne peut utiliser ses propos pour l'accuser.
«La Constitution n'est pas un pacte de suicide», écrivait la Cour. Autrement dit, les droits fondamentaux ne nous empêchent pas de trouver des moyens efficaces et nouveaux de protéger la sécurité publique.
Deux comités du Parlement ont par ailleurs conclu qu'il fallait que ces deux dispositions demeurent en vigueur.
Alors quoi ? Alors la politique. Basse, basse politique. Les comités recommandaient un rapport annuel sur l'utilisation de ces mesures et l'obligation de fournir des raisons le cas échéant.
Voilà qui était fort raisonnable. On aurait fort bien pu voter une autre disposition rendant les articles caducs dans trois ou cinq ans.
Mais non. Les conservateurs ont voulu jouer les gros bras. Notamment en accusant les libéraux de protéger le beau-père d'un député sikh de la Colombie-Britannique, témoin potentiel dans la commission d'enquête sur les attentats d'Air India. C'est absurde, puisqu'il s'agit d'une commission d'enquête, ce qui n'a rien à voir.
Stephen Harper avait le bon sens de son côté, il avait une occasion de la jouer noble, et il l'a magistralement ratée.
Stéphane Dion, lui, a refusé le compromis conservateur de reporter la décision finale de quelques mois, le temps de discuter calmement de tout cela. Dion, on le sait, jouait son leadership sur la question.
Finalement, il y eut quelques absents libéraux. Un dissident. Et un s'est abstenu, Irwin Cotler, d'accord sur le fond avec les conservateurs, mais choqué par leur approche. Michael Ignatieff, qui hier encore prônait des mesures bien plus musclées ? Il a décidé de ne pas affronter Dion maintenant.
Nous voici donc, après ce ridicule jeu politique, dans un pays qui n'a pas avancé d'un centimètre sur le terrain des droits fondamentaux, sauf quant à la rhétorique. Et qui s'est privé d'outils qui peuvent, un jour, être utiles, soit en cas d'urgence, soit comme outil de dissuasion.
Plus largement, le temps est venu d'une discussion en profondeur de toutes les mesures juridiques antiterroristes canadiennes. Le jugement de la Cour suprême la semaine dernière sur les certificats de sécurité, celui d'une cour ontarienne sur la définition du terrorisme, les ratés de nos services de renseignement dans l'affaire Arar et d'autres : tout cela appelle un temps de réflexion et de mise à jour.
Mais ce Parlement en est-il seulement capable ?
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