Dans toute l'actuelle controverse sur le mode de nomination des juges, deux groupes de personnes se retrouvent dans une position inconfortable. L'opposition libérale à Ottawa. Et les juges eux-mêmes.
Voilà des gens qui ont dénoncé la décision du gouvernement conservateur de modifier l'équilibre sur les comités de sélection des candidats, afin d'en donner le contrôle au gouvernement - il a désormais la majorité votante sur ces comités qui choisissent quels avocats peuvent être nommés.
Or, l'opposition comme les juges, chacun à leur manière, ont les moyens d'agir pour changer les choses. Et s'ils ne font rien, ils courent le risque de se discréditer.
Commençons par les juges. On se souvient tous de la peu glorieuse histoire du parking, il y a 10 ans. Les juges de la Cour supérieure et d'autres tribunaux siégeant à Montréal avaient entrepris une action en justice contre le gouvernement du Québec qui avait soudainement décidé de leur imposer de nouveaux frais de parking mensuels de 140 $.
On avait plaidé avec succès que cette mesure imposée était une atteinte inacceptable à l'indépendance de la magistrature. Hors des cercles judiciaires, on avait grand peine à voir en quoi des frais de parking au tarif du marché pouvaient ébranler la sécurité des juges. Après tout, il n'était nullement question qu'un juge perde son emploi ou subisse quelque mesure de rétorsion pour avoir rendu un jugement qui déplaisait au gouvernement. Ils semblaient aussi indépendants, et donc impartiaux, qu'avant de payer pour leur parking.
Les juges rétorquaient que le gouvernement avait agi avec un autoritarisme inacceptable envers le troisième pouvoir, et avait traité les juges comme des fonctionnaires, ce qu'ils ne sont pas.
Il y eut aussi, en 1997, cette fameuse décision de la Cour suprême du Canada, qui décrétait une obligation constitutionnelle au gouvernement de créer des comités indépendants pour décider de la rémunération des juges.
La décision a eu un peu partout au Canada un impact majeur sur le traitement des juges, qui a été sensiblement amélioré comparé à la plupart des gens rémunérés à même les fonds publics.
On n'avait de cesse de nous répéter que l'enjeu était ici bien plus profond que de vulgaires questions d'argent. On se battait d'abord pour l'indépendance des juges, pilier incontestable de la démocratie. On protégeait le public, en somme, puisque l'indépendance de la magistrature existe pour lui, et non pour les magistrats. C'est ce qui garantit au citoyen qu'il sera entendu par un arbitre désintéressé, à l'abri des pressions financières ou autres.
Où sont-ils aujourd'hui ces mêmes défenseurs des principes sacrés, maintenant qu'arrive une attaque bien plus directe à l'indépendance de l'institution judiciaire? Seront-ils aussi résolus, maintenant qu'il n'est pas question d'argent, de leur argent?
Sauf quelques déclarations intéressantes, quel geste sont-ils prêts à faire? J'ai déjà dit qu'ils devraient immédiatement démissionner, en bloc, de tous les comités de sélection.
Mais pourquoi pas une action en justice? Si le parking valait un recours constitutionnel, pourquoi pas le mode de nomination? Quand le premier ministre déclare publiquement qu'il veut nommer des juges qui partagent sa vision, ça ne peut pas être plus clair : on touche au coeur même de l'indépendance des juges. On prépare une offensive idéologique. N'est-ce pas beaucoup plus sérieux que le niveau de rémunération de gens dont aucun n'a jamais été inquiété dans sa sécurité d'emploi?
Il y a une façon encore plus simple de régler le problème : que l'opposition à Ottawa vote une loi, puisqu'elle détient la majorité. Pas pour revenir au système de l'an dernier, où Ottawa nommait trois des sept membres. Mais pour aller plus loin, pour faire mieux.
S'ils ont réussi à faire voter une résolution symbolique sur Kyoto, ils peuvent certainement trouver à formuler un projet de loi qui organise un mode de sélection apolitique des candidats à la magistrature.
On veut des idées? Exemple. Un comité de cinq membres. Un doyen d'université. Un représentant du barreau. Un juge. Un représentant du procureur général de la province. Et un du procureur général fédéral. Vous en voulez sept? Que les cinq premiers choisissent des non-juristes. Il y a cent formules possibles.
Au bout du compte, pour chaque poste de juge ouvert, ils confectionnent une COURTE liste de trois ou cinq candidats, pas plus, dans laquelle le ministre aura discrétion pour choisir.
On peut faire varier les détails, mais l'idée est de limiter la discrétion du ministre, déjà trop grande avant les modifications des conservateurs, pour s'assurer l'excellence des candidats. Mais oui, on en nomme d'excellents déjà. Mais pas toujours. Et surtout, pas toujours les meilleurs.
Évidemment, pour ce faire, il faudrait que les libéraux, le seul des trois partis d'opposition susceptible de former le gouvernement, accepte de se lier pour l'avenir.
En auront-ils le courage? Le PLC de Stéphane Dion est-il un parti « nouveau «, ennemi du favoritisme, ou une mouture moderne de l'ancien?
Quel beau test leur est proposé ici!
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