Guillaume Bourgault-Côté - Ottawa — Mis sur la sellette par un feu nourri de questions concernant les détenus torturés en Afghanistan, le gouvernement conservateur a tenté hier d'anéantir la crédibilité du témoignage du diplomate Richard Colvin, jugé frivole. Une enquête publique est donc inutile, estime Ottawa.
Au cours d'une période de questions mouvementée et largement monopolisée par les révélations explosives de M. Colvin, le ministre de la Défense, Peter MacKay, a saisi chaque occasion pour démolir les affirmations du diplomate, ex-haut fonctionnaire en Afghanistan. Ottawa l'accuse de s'être laissé berner par les talibans.
Le ministre a notamment affirmé que «les allégations [de M. Colvin] ne sont pas crédibles», que «les preuves ne tiennent pas la route», qu'«il a eu l'occasion de [révéler le problème] à des ministres de passage en Afghanistan, mais qu'il a choisi de ne pas le faire», que «ses preuves s'appuient sur des ouï-dire, des témoignages de deuxième ou de troisième main, ou bien viennent directement des talibans.» Conclusion: «Il y a des trous immenses dans cette histoire», dit M. MacKay, qui rejette tout en bloc.
Mercredi, devant le Comité parlementaire spécial sur la mission canadienne en Afghanistan, Richard Colvin a livré un témoignage accablant pour le gouvernement. Selon le diplomate, Ottawa savait depuis mai 2006 que les prisonniers transférés par l'armée canadienne aux autorités locales étaient «systématiquement» torturés, et que ces détenus étaient pour la plupart «innocents».
Le gouvernement a toujours soutenu ne pas avoir été mis au courant des problèmes avant le printemps 2007. Le ministre des Affaires étrangères, Lawrence Cannon, et l'ancien ministre de la Défense Gordon O'Connor l'ont encore répété hier.
Mais M. Colvin jure avoir informé de hauts dirigeants politiques et militaires, notamment le sous-ministre délégué aux Affaires étrangères de l'époque, David Mulroney. Les 18 rapports rédigés par le diplomate évoquaient l'absence de suivi des prisonniers transférés et le «mur du secret» érigé autour des opérations. À compter du printemps 2007, David Mulroney aurait ainsi ordonné aux fonctionnaires de ne plus faire mention des détenus torturés dans leurs rapports écrits: le téléphone suffirait. Une «accusation ridicule», réplique le gouvernement.
Hier, les conservateurs ont soutenu que les sources d'information de M. Colvin n'étaient nul autre que des talibans. «Il faudrait accepter le témoignage de gens qui jettent de l'acide au visage des enfants et qui font exploser des autobus de civils?», a demandé Peter MacKay. Dans son témoignage, M. Colvin affirmait avoir rédigé ses rapports sur la foi de plusieurs sources, dont des organisations spécialisées et des gens des services du renseignement. Des témoignages directs auprès des détenus ont aussi été enregistrés.
Interrogé sur les raisons qui expliquent le fait que M. Colvin soit actuellement directeur adjoint des services de renseignement de l'ambassade canadienne à Washington si le gouvernement le juge peu crédible, M. MacKay a répliqué «qu'il a eu sa promotion bien avant qu'il nous dévoile ses preuves». De même, si Ottawa a reconnu avoir changé en 2007 le protocole de transfert des détenus sur la base de plusieurs rapports, dont un émanant de Richard Colvin, c'est parce que les sources, cette fois, étaient crédibles et nombreuses.
M. MacKay a également affirmé en Chambre «qu'il n'y a pas eu une seule preuve formelle de sévices impliquant un prisonnier taliban transféré par les Forces canadiennes». Pourtant, le 5 novembre 2007, l'armée avait pris la décision de cesser le transfert de tout prisonnier après qu'un cas de torture rapporté eut été jugé suffisamment crédible. Le diplomate Nicholas Gosselin avait rédigé un rapport officiel faisant état de ce cas précis. Les transferts ont repris le 29 février 2008.
Enquête et mépris
De leur côté, les trois partis d'opposition ont fait front commun pour exiger du gouvernement qu'il crée une commission d'enquête publique permettant de faire la lumière sur le dossier du transfert des prisonniers. Le NPD a lancé l'idée en matinée.
À la différence de la Commission des plaintes concernant la police militaire — dont les travaux sont suspendus à la suite d'un litige avec le gouvernement, qui évoque des questions de sécurité nationale pour empêcher 23 personnes de comparaître —, une enquête publique aurait le pouvoir de faire témoigner tous les intervenants impliqués, y compris les ministres. Elle pourrait aussi s'intéresser au dossier de manière plus large que le seul spectre de l'action militaire.
Selon Gilles Duceppe, l'attitude du gouvernement témoigne «de l'arrogance, du mépris de la vérité, du mépris de cette Chambre, du mépris de la population et de l'incohérence totale» de celui-ci. Le chef du Bloc québécois a ridiculisé les réserves des conservateurs concernant M. Colvin, à qui une députée conservatrice demandait mercredi s'il avait vu de ses yeux quelqu'un être torturé. «Il serait assez surprenant qu'on ait invité M. Colvin à venir voir... "Venez, on va vous aider à faire votre rapport, on va en torturer un devant vous".» M. Duceppe estime autrement que «dès qu'il y a soupçon [de torture], ça contrevient à la convention de Genève».
Pour le libéral Bob Rae, «il est impossible de croire franchement que le premier ministre lui-même n'était pas au courant de l'information présentée dans les rapports de M. Colvin». M. Rae a défendu la crédibilité du témoin, soulignant qu'il «n'a absolument rien à gagner à dire ce qu'il a dit, au contraire».
****
Avec la collaboration d'Hélène Buzzetti
Le Devoir
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
Aucun commentaire trouvé