Nouveau naufrage pour la coquille vide fédérale belge

Chronique de José Fontaine

Je parle ici depuis quinze jours du dossier BHV en tentant d’expliquer les craintes de la Flandre pour sa langue. Mais, évoquant le mercredi soir de la nouvelle crise gouvernementale belge, cet aspect face à des syndicalistes wallons, j’ai provoqué leurs sarcasmes. L’un d’eux racontait qu’arrivé à Kinshasa, l’autre jour, un douanier congolais - hilare - l’y interpella de cette façon : « au moins, ici, vous êtes accueilli en français, ce n’est pas comme en Belgique » (l’aéroport « national » de Zaventem est à quelques kilomètres du centre de Bruxelles, mais en Flandre)... Evidemment, BHV vient de provoquer une crise grave, la énième depuis les élections de 2007. On ne compte plus. Comme cette fille très jeune du film Les tricheurs qui disait qu’un chiffre sur le nombre de ses conquêtes (elle en avançait 17), ne donnait qu’une pâle parce que abstraite idée de la réalité. Depuis juin 2007, on en est à beaucoup... de crises. Inutile de compter.
La différence entre Flamands et Québécois
J’ai donné des éléments permettant de montrer que les Flamands défendent leur langue comme les Québécois et je les trouve toujours pertinents. Mais l’énorme différence entre Flamands et Québécois, c’est que les Flamands, jugés plus séparatistes que les Wallons (paradoxe ! et peut-être ne sont-ils pas vraiment séparatistes...), sont majoritaires. Le gouvernement fédéral d’ Yves Leterme qui vient de remettre sa démission, a un Premier ministre, un ministre des affaires étrangères, un ministre de la défense nationale flamands. Le Commissaire belge à l’Europe, le Président du Conseil européen et même le Président du Comité Olympique international sont aussi tous des Flamands. Les Flamands souhaitent (sans doute légitimement), scinder l’arrondissement de Bruxelles-Hal-Vilvorde. Car celui-ci chevauche la Région fédérale flamande et la Région fédérale bruxelloise. Il est en même temps une menace pour le maintien du néerlandais à la périphérie de Bruxelles et une survivance inutile de la Belgique unitaire. Des Francophones y sont parfois majoritaires, en certaines communes, et y jouissent de certains droits. La proposition venue du côté de l’ancien Premier ministre belge (un Flamand évidemment), Jean-Luc Dehaene, était de maintenir ces droits accordés aux Francophones ainsi que la possibilité de voter à Bruxelles pour des députés francophones. Les partis wallons et francophones ont jugé que l’accord n’était pas équilibré. Pour des raisons de tactique électorale, les libéraux flamands (avec à leur tête le jeune Alexander De Croo) - pas les plus nationalistes des Flamands - , ont assez soudainement exigé que cet accord soit finalisé avant jeudi, ce qui s’est avéré impossible. Ils ont quitté la coalition gouvernementale: crise.
La loi flamande du nombre(1)
Ce qui choque les Wallons les plus éclairés, c’est que la Flandre a voulu une nouvelle fois faire jouer la loi du nombre. La Flandre a toujours eu la majorité en Belgique. Sa classe dirigeante, quand elle a peu à peu grimpé les échelons de l’hégémonie, a trouvé une Belgique dont la classe dirigeante francophone avait connecté le riche sillon industriel wallon à un axe Bruxelles-Anvers (situé en Flandre). Il lui a suffi de tirer parti de cet héritage et de faire jouer à fond sa prépondérance numérique en raflant tout ce qu’un Etat était capable de réaliser comme investissements de 1950 à 1990 : autoroutes, chemins de fer électrifiés, ports, «aéroport national», nouveaux ports, développement d’Anvers, aides colossales aux investissements (prêts à bas taux d'intérêt), aux entreprises en difficulté (considérées comme étant en Flandre à 80%!, le sens de l'humour ne manquait même pas), installation aberrante en Flandre d’une sidérurgie flambant neuve, dans un pays produisant déjà trop d’acier. La Wallonie s’en est trouvée exsangue. De tels déséquilibres (pas imputables aux seuls Flamands, notons-le), dans un pays si exigu, c’est excessivement dangereux, d’autant que la Wallonie ouvrière pouvait compenser sa minorisation en recourant à la grève générale au besoin insurrectionnelle.
L’ambassadeur américain dédramatise
Les Wallons ont exigé alors que l’autonomie des Etats fédérés belges soit avant tout économique et ont mené le fédéralisme belge, non seulement à l’équipollence des normes (une loi fédérale a la même force qu’un décret « régional »), mais aussi – c’est unique dans le monde des fédérations - , à une liberté de manœuvre totale des entités fédérées dans l’exercice de leurs compétences sur le plan international. Interrogé aujourd’hui sur le point de savoir s’il avait toujours confiance dans la Belgique, l’ambassadeur des USA – en visite dans une usine Baxter installée à Lessines, pas loin de chez moi - a dit qu’il ne craignait rien parce que la Wallonie et la Flandre étaient des Etats-régions déjà très fortement organisés. Le choeur des pleureuses belgicaines fait entendre ses soupirs désespérés d’un bout à l’autre du Monde (ou plutôt des couloirs de la RTBF - qui n’est pas toute belgicaine). Mais c’est l’ambassadeur américain qui a raison. Et le Flamand Luc Huyse qui attaque de front dans le grand journal flamand De Standaard, ses compatriotes qui disent que la démocratie, c’est la loi de la majorité. Comme les Flamands (en l’occurrence ici dans l’affaire BHV), ne parviennent plus à faire jouer la loi du nombre, Huyse se demande (ironiquement m’a-t-il semblé), si la Flandre ne va pas proclamer l’indépendance pour sauver la démocratie. Alors que, au fond, ceux qui ont intérêt sinon à l’indépendance, du moins à ce que grandisse un Etat autonome dans une Belgique de plus en plus coquille vide, ce sont les Wallons. La crise Belge ne mènera pas à l’éclatement du pays, mais à une évaporation de celui-ci afin que se substitue à lui une confédération de trois Etats (Flandre, Wallonie, Bruxelles et un statut du même genre pour les 70.000 Germanophones), aux liens de plus en plus lâches. Du reste c’est déjà largement en place. J’espère aussi que la crise actuelle se dénouera vite, car le maintien du cadre belge (temporairement ! et pour certaines choses comme le financement de la sécurité sociale), favorise cette solution qui me semble correspondre aux intérêts wallons et à la bonne entente. La manière dont une certaine Flandre veut faire jouer la loi de sa prépondérance numérique n’est pas acceptable. Et si les Wallons en avaient un peu plus conscience, ils auraient l’intelligence de l’ambassadeur des USA qui, lui, ne semble pas prêt de pleurer sur la fin de cette Belgique étatique que l’Histoire a déjà congédiée même si on croit qu'elle existe encore, pas seulement à l'étranger.
(1) La Flandre a toujours voulu faire jouer la loi du nombre

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José Fontaine355 articles

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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.

Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...





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