J’ai longtemps hésité à écrire cette chronique, parce que j’ai beaucoup trop peur que ça donne des idées à nos artistes, et même, qui sait, à l’Union des artistes.
Mais bon, l’affaire est trop hallucinante, il fallait que je vous en parle...
En Angleterre, le syndicat de comédiens Equity demande aux théâtres de bannir l’expression « Ladies and gentlemen » (« Mesdames et Messieurs »).
Les militants LGBTQ+ estiment que ces termes sont offensants pour les personnes qui ne s’identifient ni comme une Madame ni comme un Monsieur et que ça pourrait « aliéner le public » qui va voir des pièces ou des spectacles.
Ça va être quoi la prochaine lubie : on ne pourra plus dire Madame Butterfly ? Stéphane E. Roy ne pourra pas appeler sa pièce Garçon ? Éric-Emmanuel Schmitt va devoir changer le titre de sa pièce Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran ? Le Rideau-Vert ne pourra plus monter la pièce de Feydeau Monsieur chasse ? Le classique d’August Strindberg, Mademoiselle Julie, devra être rebaptisé ?
CECI N’EST PAS UN CANULAR
C’est tout ce qu’il y a de plus sérieux : dans son guide sur la neutralité de genre, l’équivalent britannique de l’UDA, recommande de ne plus dire « Mesdames et Messieurs, veuillez regagner votre siège » ou « Mesdames et Messieurs, veuillez éteindre vos cellulaires » dans les annonces.
Le National Theatre a confirmé qu’il allait petit à petit se débarrasser de cette expression genrée, alors que la Royal Shakespeare Company a affirmé qu’elle allait « contribuer à offrir des environnements qui accueillent et appuient les personnes trans et qui identifient leur genre comme étant fluide ».
Petite question : est-ce que le but des personnes transgenres n’est pas justement de passer de Madame à Monsieur ou de Monsieur à Madame ? Il me semble au contraire que si tu as fait toute une transition, tu veux justement qu’on s’adresse à toi en tant que Madame (si tu es une femme transgenre) et Monsieur (si tu es un homme transgenre).
En quoi est-ce impoli de s’adresser au public du théâtre en utilisant... une formule de politesse ?
Si tu es non binaire, en quoi le fait d’entendre simplement les mots « Mesdames » et « Messieurs » te cause un préjudice ?
C’est tellement absurde, incongru et surréaliste, j’ai l’impression de vivre dans une pièce d’Eugène Ionesco.
Comme l’a fait remarquer un internaute avec un bon sens de l’humour, si tous les Mesdames et les Messieurs restaient chez eux, les comédiens trouveraient peut-être ça moins drôle de monter sur scène pour ne jouer que devant deux ou trois personnes non binaires.
Quand je lisais cette histoire dans les journaux britanniques, j’ai pensé à une chanson hilarante de Vincent Delerm, intitulée Le monologue shakespearien, dans laquelle il décrit une soirée infernale au théâtre expérimental : « Pourtant la mise en scène était pas mal trouvée/Pas de décor pas de costumes, c’était une putain d’idée/Aucune intonation et aucun déplacement/On s’est dit pourquoi pas... aucun public finalement ».
VÉNUS ET MARS
Oui, vraiment, Shakespeare doit se retourner dans sa tombe. Un jour, va-t-on cesser de parler de Lady Macbeth ?
Et avoir su, Molière n’aurait peut-être jamais écrit L’école des femmes ou Les femmes savantes.