Médias: pas de photos pour le retrait du crucifix

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A-t-on honte de ce retrait ?


Le crucifix a été retiré mardi matin de l’Assemblée nationale. Moment historique. Tous les médias du Québec le rapportaient mercredi, larges photos du Salon bleu à l’appui. Et partout, les mêmes images, pareilles, circulaient. C’est que le décrochage s’est fait sans annonce préalable aux médias, loin des photographes comme des reporters. Seules les photos et vidéos officielles captées par l’Assemblée nationale elle-même ont été fournies, et envoyées aux médias une fois seulement le crucifix décroché et définitivement rangé.


« Les lecteurs du Devoir ont peut-être été surpris de voir que cette information visuelle n’était pas dans nos pages mercredi », indique la rédactrice en chef, Marie-Andrée Chouinard. « On s’est privés d’images d’un moment historique parce qu’il était important pour nous de ne pas donner notre aval à cette décision de l’Assemblée nationale. Que ce soit d’eux, du gouvernement canadien ou de la police, par exemple, on ne peut accepter d’aucune source officielle qu’elle nous fournisse une image officielle. Car c’est une image dont nous n’avons pas été témoins. Sa prise a été faite en dehors du travail journalistique, qui est de toujours rapporter les faits. Dans ce cas-ci, la photo a été prise en dehors même de la présence d’un journaliste, là où un photojournaliste aurait très bien pu agir comme filtre entre l’émetteur d’information et celui qui la reçoit. »


La Presse canadienne a également choisi de ne pas diffuser ces clichés, afin de demeurer « fidèle à ses principes », comme l’a précisé le directeur de l’information, Jean-Philippe Pineault. La Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ) estime de son côté le geste « préoccupant ».


Décision inhabituelle


L’Assemblée a pris là une décision « très inhabituelle », selon M. Pineault. « Normalement, les médias doivent pouvoir prendre leurs propres images, ce qui garantit au public une forme d’impartialité journalistique dans leur traitement. C’est encore plus vrai lorsque le sujet est aussi délicat que celui-ci et l’intérêt public, aussi évident. Le choix d’une photo de presse plutôt qu’une autre est un traitement éminemment éditorial. Dans ce cas-ci, La Presse canadienne, qui a pourtant l’habitude de photographier les activités parlementaires dans le respect des règles, et même de jouer le rôle de pool lorsque l’environnement ne permet pas d’accommoder plusieurs photographes, n’a tout simplement pas été informée que le crucifix était retiré du Salon bleu. »



On s’est privés d’images d’un moment historique [dans nos pages] parce qu’il était important pour nous de ne pas donner notre aval à cette décision de l’Assemblée nationale




Un pool ? En jargon de journalistes, c’est l’envoi d’un ou deux représentants des médias choisis en accord avec eux. Les images, prises selon les critères journalistiques, sont ensuite partagées avec tous les médias. Cette option avait été proposée pour le retrait du crucifix par Véronique Prince, journaliste à Radio-Canada, et l’Assemblée nationale l’a refusée.


Dans un premier temps, Laurie Gosselin-Bélanger, de la direction des communications, a répondu au Devoir qu’ainsi l’Assemblée nationale « voulait assurer l’uniformité au niveau du traitement ». « Un argument tout à fait inacceptable pour nous », a rétorqué Mme Chouinard, qui entend exprimer officiellement son désaccord au président de l’Assemblée dans les prochains jours. L’Assemblée désirait par ailleurs que la cérémonie demeure privée, afin de « faire ça simple » ; mais aussi pour préserver l’anonymat de l’employé chargé du décrochage, qu’on ne voit que de dos sur les huit photos et la vidéo officielles. La décision n’est pas sans précédent, et l’Assemblée nationale dispose de prérogatives sur toutes les décisions concernant la prise d’images dans le Salon bleu.


« Mémoire institutionnelle »


En fin de journée mercredi, l’Assemblée, par la voix de Mme Gosselin-Bélanger, a précisé que, puisqu’il « ne s’agissait pas d’une cérémonie, mais plutôt d’une captation pour mémoire institutionnelle, les autorités de l’Assemblée nationale ont convenu de retirer le crucifix en privé et de ne pas fonctionner avec un pool médias. Cette procédure est fréquente — pensons notamment à la captation des travaux parlementaires ».


Pour le vice-président de la FPJQ, Jean-Thomas Léveillé, le fil vidéo fourni par l’Assemblée et la prise de photos en son sein ne sont « pas du tout du même ordre ». « D’abord, [la télédiffusion des débats parlementaires] est en direct, et c’est intégral. Là, l’Assemblée nationale a choisi des images, et refusé aux médias qu’ils soient là. Quand une organisation choisit elle-même les images qu’elle veut bien diffuser, elle fait ses choix dans son propre intérêt. Et pas dans l’intérêt du public. » La Tribune de la presse du Parlement, qui regroupe des représentants des médias couvrant l’actualité parlementaire, n’a pas été consultée par l’Assemblée, comme c’est habituellement le cas, dans cette décision sur les images, a confirmé sa présidente tout juste sortante, Véronique Prince. Elle n’a pas été non plus prévenue en amont du moment où le crucifix serait décroché.


Le Journal de Montréal, la Gazette et le National Post publiaient mercredi des photos fournies par l’Assemblée nationale. TVA, Radio-Canada et La Presse ont utilisé la vidéo. Le Globe and Mail n’a pas couvert la nouvelle dans son édition du mercredi.




Avec Mylène Crête​ et Philippe Papineau


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