L’intime et le politique d’une renarde et d’un mal peigné

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Nouveau livre sur la correspondance de Pauline Julien et de Gérald Godin


De nouvelles lettres, 456 écrits pour être exact, allant du billet-minute façon « Bonne soirée, mon amour » laissé sur la table, en passant par la grande scansion passionnée. Mais aussi, coulé vite et presque comme un graffiti, un résumé du quotidien vécu en voyage, ou une presque liste de petite gestion de la routine. Et régulièrement, de grandes pulsations de colère contre le rythme effréné de la vie. Bref, 456 échanges entre la chanteuse, militante, féministe et comédienne Pauline Julien et son grand amour, Gérald Godin, journaliste, éditeur, politicien, poète. Des fragments quasi oubliés dans le fonds d’archives, ramenés à la lumière dans Ton métier, le mien, le Québec. Fragments de correspondance amoureuse et politique (1962-1993), publié chez Leméac, en librairie le 18 septembre.


Des bribes d’amour et de vie, donc — la petite vie tout ordinaire comme la plus spectaculaire qui se déploie sur les scènes et les unes de journaux.


« Tu dis souvent qu’on n’a pas assez de temps, qu’on est toujours à la course. Mais c’est parce que nous sommes des étoiles filantes, bébé », écrit en 1983 Godin à celle qu’il appelle « mon bronco ». « Le seul calme, on le trouve quand on est dans des endroits calmes. »


Dix ans après La renarde et le mal peigné (Leméac), qui dévoilait un peu plus d’une centaine de lettres entre ces deux grands amoureux, aussi grands amoureux du Québec, ces nouveaux billets plongent le lecteur encore davantage, presque jusqu’au malaise impudique, dans leur intimité — aussi étrange cela puisse sembler en notre époque de dévoilement.


Pistée par Pascale Galipeau, fille du couple et maître d’oeuvre de la première correspondance, Emmanuelle Germain est tombée sur ces lettres inédites. Elle en a fait le sujet de son mémoire de maîtrise, devenant dans la foulée spécialiste de la correspondance Julien-Godin. Avec la collaboration de Jonathan Livernois, spécialiste de l’histoire littéraire et intellectuelle du Québec, un choix de 106 missives se retrouve aujourd’hui publié.


« C’est une sélection très intime », estime Mme Germain. « Ce qu’on a voulu faire, c’est mettre en avant la facture plus politique ; mais oui, en même temps, on entre dans une grande intimité. Dans une intimité qui va, je trouve, au-delà du couple, et qui résonne dans l’espace public. »


Garder le lien


Car la chanteuse et le poète se révèlent ici l’un à l’autre à travers leurs propos « sur leurs emplois, leurs métiers ; et si ça fait aussi partie de l’intimité du couple, lorsque Godin parle de ses journées d’écriture, lorsque Julien parle de ses angoisses en tournée, c’est une autre facette de l’intime [qui se dévoile], celle de la personne elle-même », de ses valeurs, de son engagement. Et comme ils ont été beaucoup séparés, elle d’abord en tournée, et puis lui lorsqu’il devient politicien, la correspondance comme la pensée a eu beau jeu de se multiplier.



Ce qu’on a voulu faire, c’est mettre en avant la facture plus politique ; mais oui, en même temps, on entre dans une grande intimité




Et de se dire jusque dans le tout détail, pour arriver à garder le lien. Plusieurs lettres de Julien dépeignaient certaines de ses journées quasiment à l’heure près, confie l’archiviste, dans une espèce de récit de soi pré-Facebook et tout à fait similaire d’impulsion, mais pour un seul lecteur.


« On a évacué les lettres qui relevaient davantage du petit quotidien : qui s’est levé quand, qui a mangé quoi », indique Mme Germain.


L’aspect graphique est beaucoup plus présent. Les lettres sont ponctuées de petits dessins, de découpages. « J’ai étudié l’aspect matériel de leur correspondance, aussi, la calligraphie même, surtout celle de Julien, vraiment expressive, où l’on sentait toute l’émotion. Je trouvais important qu’on voie la matérialité. On ne pouvait malheureusement pas la reprendre dans son entièreté, bien sûr, mais je tenais à donner une idée de la lettre au-delà de son seul contenu. »


Un ordinaire extraordinaire


On y découvre un couple très progressiste, où chacun va et vient hors l’amour et dans la vie, hors la vie et dans le métier, toujours dans la passion. Gérald Godin s’occupe des enfants quand Pauline Julien travaille pendant des mois ses disques à Paris. Julien, plus tard, le prévient qu’elle ne sera jamais une petite femme de député, et qu’il n’y pense même pas. Un couple dont l’ordinaire est souvent extraordinaire — les amis sont le peintre Léon Bellefleur, le poète Roland Giguère, l’artiste Mimi Parent, et c’est oublier une pléiade de journalistes et de politiciens…


La charge sexuelle et érotique est aussi plus présente que dans le premier tome. Parfois dessinée — un coup de crayon et Julien envoie de Paris son sein, « Gégé » poste carrément son sexe, autoportrait dick pic au stylo Bic —, parfois dite, toujours de manière différente dans les lettres de l’une ou de l’autre.


« Godin va être plus porté, et plus souvent, par des élans crus », indique Mme Germain, y allant de « je te baise et te fais une languette », alors « que Julien va rester dans la sensualité du corps ; elle en parle aussi, mais davantage du plaisir de s’allonger contre lui, des nuits passées contre son corps ». Elle l’écrit aussi, Julien, mais autrement : « [et] cette entente — profonde. Politique. Travail. Tout ce sexe merveilleux. Doux et calme et heureux comme un lac de haute montagne ».


La chronologie est plus distendue que dans le premier opus, et il faut connaître la biographie des deux battants — et particulièrement leurs maladies, lui et sa tumeur au cerveau, elle et son aphasie, des maladies de mots pour ces grands parleurs — pour en apprécier la subtilité. Et ce, malgré l’abondance des nécessaires notes.


« J’avais un souci du respect de l’intimité », indique Mme Germain. « Ça peut paraître ironique alors que j’allais fouiller dans les fonds d’archives, mais jamais je n’aurais voulu soulever des trucs que les enfants n’auraient pas voulu voir. J’ai été embêtée à quelques reprises. On est vraiment dans l’intime. Elle est où, la limite à publier ? »


La limite, indique Emmanuelle Germain, c’est Pascale Galipeau, la fille, qui l’incarne.


« C’est elle qui a eu le dernier mot, et c’était important pour moi que ce soit ainsi. »



Extraits


Bel Ami. Beau Mâle. Petite âme.



Voilà comment… est-ce coeur, âme, corps. Je ? ! vous nomme ce matin. La chambre est pleine de soleil toute blanche, avec des portes orange brûlé, un couvre-lit orange brûlé et deux vieux meubles à grands miroirs. Il y a tellement de neige, blanche éclatante ; partie de la sale rue St-Marc. C’est éblouissant. Je vais aller finir de chasser ma toux dehors.



— Pauline Julien, dans les années 1960



On change l’heure à minuit

Cela changera-t-il ma vie

Je deviens de plus en plus

impatient

Les boutons de culottes

et de chemises

me font la guerre

j’ai les doigts gourds

mais un rien me met en christ

et m’énerve.

Je suis en train de lire

le Hubert Aquin — suicide

de Gordon Sheppard.

Je comprends sa mort

beaucoup mieux

maintenant que je connais mieux sa vie tourmentée

et que je suis épileptique moi aussi avec l’épée de Damoclès de la crise suspendue au-dessus de moi.

Vais-je donc passer ma vie

ainsi

à cause d’une misérable tumeur

qui m’a choisi.

comme l’aurait fait

un maringouin.



— Gérald Godin, 1985


Ton métier, le mien, le Québec – Fragments de correspondance amoureuse et politique (1962-1193)


Pauline Julien et Gérald Godin, présentation, choix des lettres et notes par Emmanuelle Germain et Jonathan Livernois, Leméac, Montréal, 2019, 151 pages





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