L’anthropologue Marta Riskin a mené une étude sur les confabulations du silence dans les démocraties actuelles, dans laquelle elle souligne qu’un salmigondis de mensonges et de silences consolide une idéologie qui endoctrine les membres des organisations mafieuses, terrorise les autres et convainc de nombreux citoyens que les mafieux sont des personnes honorables et les plus indiquées pour les protéger et les représenter.
Giuseppe Tomasi di Lampedusa
La « loi du silence » ou « omertà » [1] est une règle qui, soit par conviction, soit par intérêt ou par crainte des représailles, interdit de dénoncer des crimes, garantissant ainsi l’impunité des coupables. Omertà se traduit généralement par « humilitas », humilité en latin ou « hombría », virilité en espagnol.
Antonino Cutrera, l’un des premiers spécialistes à étudier la mafia, confirme que l’on considère comme « viril » qui se venge personnellement d’une offense ou demande à quelqu’un de puissant d’agir en son nom. En retour, il lui devra, éternellement, loyauté et obéissance. Pour que cela soit bien clair, tout le monde sait que la rupture du pacte du silence équivaut à la mort.
Paul Veyne expose de semblables cas dans sa description de l’Empire romain, avec un droit pénal arbitraire et dominé par des clans qui préféraient la vengeance à la loi. Seule la soumission permettait aux plus pauvres et aux plus faibles de survivre. Ce n’est pas par hasard que les fascistes réduisirent au silence les opposants, fantasmèrent un nouvel Empire et crurent être les héritiers de la Rome antique.
Il existe des antécédents de comportements analogues dans presque toutes les cultures. Toutefois, les actuelles organisations mafieuses sont relativement modernes. Elles apparaissent au milieu du XIX siècle et, depuis lors, produisent des récits séduisants pour conquérir des appuis.
Les récits de la Mafia comprennent des légendes médiévales, épiques et fascinantes et des évènements médiatiques de facile consommation. Par exemple, un mythe des origines raconte l’épopée de trois honorables chevaliers espagnols, Osso, Mastrosso et Carcagnosso qui auraient fondé respectivement la Mafia sicilienne, la Camorra napolitaine et la Ndrangheta calabraise.
Les premières informations connues sur ces organisations datent de 1860, mais curieusement, en 1857, les autorités bourboniennes brûlèrent les archives de la police, contenant des renseignements compromettants sur leurs fondateurs. D’après John Dickie, les mafieux réinventent continuellement leur origine et occultent leur authentique histoire, dont ses débuts à la fin du XVIII siècle avec l’alliance entre l’aristocratie foncière sicilienne et les gabelloti (collecteurs d’impôts), qui géraient leurs propriétés.
En quelques années, en échange de « prendre soin » des terres et de dépouiller les paysans, les fonctionnaires contrôlèrent le marché et consolidèrent leur pouvoir par des mariages avec la noblesse.
Hormis dans certaines histoires comme le « Guépard » de Lampedusa, les faits se sont métamorphosés en fables sentimentales. Depuis lors, Hollywood et ses œuvres de fiction, ses magazines people et ses chroniqueurs, ont réduit au silence ou justifié leurs aspects les plus sinistres en diffusant mondialement des portraits entourés d’un certain halo romantique, ancien et noble, qui en réalité fait défaut à leurs membres.
Un autre mythe populaire, est la version selon laquelle Mussolini en aurait fini avec les mafieux et que ceux-ci retournèrent en Italie après la Seconde Guerre mondiale. L’historien John Dickie affirme que « Mussolini n’a jamais mis fin à la Mafia. Ce fut un mythe créé par la propagande fasciste ». Il ne poursuivit que certains groupes isolés, car son seul but était de donner de la crédibilité à son régime.
« C’est que la Mafia est seulement un mythe », insiste l’auteur et « La Famiglia », une métaphore des liens qui unissent les membres d’organisations criminelles, pour défendre leurs propres intérêts et leurs territoires.
À l’époque de la mondialisation, la loi du silence est toujours en vigueur, et certaines pratiques persistent, depuis les campagnes de presse pour passer outre les contradictions évidentes (telles que « La mafia n’existe pas » et « la mafia est bonne pour la paix sociale, la loi et l’ordre »), jusqu’aux dissimulations des violations de la loi à l’aide de techniques telle qu’« éluder les questions et transmettre de la joie ».
De cette façon ils réussissent à s’adapter aux démocraties, puis à instaurer des États oligarchiques.
Le salmigondis de mensonges et de silences consolide une idéologie qui endoctrine les membres de ses organisations, terrorise les autres et convainc de nombreux citoyens que les mafieux sont des personnes honorables, qui se défendent avec des stratagèmes légitimes contre la corruption et le mauvais fonctionnement de l’État et sont donc aussi, par conséquent, les plus indiquées pour les protéger et les représenter.
Le secret, qui continue d’être bien gardé, est celui des affaires.
Le pouvoir des Mafias dépend de leurs réseaux de complicité et de recel, nécessitant des accords (contactés librement ou sous la menace) avec des politiciens et des juges, ainsi que le contrôle rigoureux des ressources et des outils de communication, avec ses dispositifs et réseaux d’espions et de porte-paroles, s’employant à filtrer ou à discréditer chaque information qui mettrait en question l’orientation de l’opinion publique.
Une reconnaissance tacite de ce qui se passerait si les citoyens cessaient de croire à la « fable…, pleine de bruit et de fureur, qui ne signifie rien » (William Shakespeare) des médias et écoutaient l’assourdissant silence.
Marta Riskin* pour Pagina 12
Página 12. La ventana. Buenos Aires, 25 janvier 2017
Traduit de l’espagnol pour El Correo de la Diaspora par : María Luisa Redondo
El Correo de la Diaspora. Paris, le 27 février 2017.
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