Les grands dictionnaires français viennent de lancer leur tout dernier cru lexicographique. Je trouve étonnant de mettre en vente un dictionnaire « 2026 » plus de sept mois avant l’arrivée de ladite année ? Cela fait penser aux vendeurs d’autos, champions de la mercatique (un mot que j’aime bien).
À mon humble avis, ces pavés auraient dû sortir en décembre 2026 (juste à temps pour les cadeaux de Noël, pourquoi pas), considérant que les nouveaux mots sont avalisés durant l’année courante et non pas durant la précédente. Si cela devenait la règle, de malheureuses omissions seraient forcément moins fréquentes, comme celle relevée dans « Le Petit Larousse illustré 2005 », page 754, qui n’indique pas, dans son tableau des jeux Olympiques d’été, ceux d’Athènes, qui se sont pourtant déroulés en août… 2004.
Pour nous appâter, les éditeurs de dictionnaire misent sur quelque 150 mots nouveaux (ma foi, Larousse et Robert se sont-ils parlé ?), en particulier ceux d'origine anglaise, comme chill, débunker, food truck, glamping et low-tech [1].
Comme ces dictionnaires conservent leur format « petit » habituel, c'est dire que pour faire de la place aux petits nouveaux on sacrifie des mots « tombés en désuétude » qui, l'année d'avant, nous causaient encore, et qui ne le feront plus désormais que l'espace d'un scrabble ou d'un mots-croisés. S'il est instructif d'obtenir la liste des nouveau-nés, obtenir celle des trépassés le serait tout autant; on pourrait ainsi évaluer les dégâts.
Incidemment, quels mots ont été sacrifiés pour faire la place à ceux, merdiques, donnés plus haut ? Sûrement pas stand-by, stand-up, stand-up paddle, starting-block et starting-gate, car l’Europe francophone traverse une drôle d’époque, où les mots d’origine anglaise sont in plus que jamais, facilitant encore plus la pénétration de la langue chère au Donald. (Le slogan du groupe français Vivendi, copropriétaire de Larousse, est « Creation Unlimited ». [2])
Il faut réentendre la chanson du clairvoyant Léo Ferré, « La Langue française » [3], sortie en 1962, pour se rendre compte que l’attachement immodéré de nombreux locuteurs européens de langue française pour l’anglais ne date pas d’hier. (Je peux me tromper, mais je pense que la victoire des forces alliées en 1945 a été l’élément déclencheur.) Toutes les occasions sont bonnes pour émailler leurs propos de mots ou d'expressions anglais qui font le tour de la ville, bientôt repris et relancés par la télé, la radio, les journaux et les réseaux sociaux, jusqu'à ce que les grands dictionnaires les décrètent « consacrés par l'usage ». Je serais tenté de leur dire ceci : cessez d'être subjugués par ce chant de sirène! Il faut plutôt résister au bulldozer culturel anglo-saxon. Cette déplorable « mode » du « tout-à-l'anglais », qui contamine toutes les sphères de la société, ne fait qu'appauvrir la langue française.
À l'inverse, c'est enrichir la langue française que de nommer les nouvelles réalités et choses dans des mots qui lui font écho (et c'est aussi faire preuve d'inventivité). Ainsi, nous disons courriel et égoportrait au Québec, alors que nos cousins français disent surtout e-mail et selfie. Les deux premiers sont apparentés à des mots qui nous sont familiers, alors que les derniers sont orphelins (sans compter que leur prononciation à l'anglaise les marginalise encore plus).
Mais plus on attend avant de suggérer un équivalent qui sonne français, plus on risque l'adoption définitive de l'original indésirable. Et si en sus ce dernier est sanctionné par un dictionnaire, la côte n'en est que plus dure à remonter. Cela dit, si un équivalent n'est pas adopté à moyen terme par ceux censés l'utiliser, il faut avoir le courage de le jeter aux oubliettes. Comme gaminet, un mot ridicule mort-né que personne n'ose dire de peur de faire rire de lui (tee-shirt semble avoir remporté la partie).
Pour protéger l'islandais, une vieille langue, les nouveaux mots créés dans le monde (surtout ceux d'origine anglo-saxonne) sont systématiquement traduits en islandais. Une espèce d'office de la langue islandaise supervise le tout. Par exemple, le mot « téléphone », qui a pourtant été largement adapté dans le monde, n'a pas trouvé grâce aux yeux des Islandais, et a été traduit par « síminn » [4], un vieux mot sorti des oubliettes pour l'occasion. Les Vikings de la langue sont peu nombreux, environ 400 000 [5], mais ils nous montrent la voie à suivre.
Cette idée n'est pas nouvelle, mais je la réitère: il faudrait créer une entité qui veillerait à la protection du français dans le monde, à son enrichissement et, pourquoi pas, à son rajeunissement. Une espèce d'académie constituée des meilleurs professionnels sur la franco-planète et subventionnée par l’Organisation internationale de la francophonie. Elle interpellerait tous les locuteurs de langue française, gagnerait leur respect et leur confiance. Une académie qui pourrait même éditer son propre dictionnaire ou, à tout le moins, influencer les dictionnaires existants.
Pour finir, quelle est cette idée de vendre à chaque année un nouveau dictionnaire papier sur le marché ? Combien d’arbres ont été nécessaires cette année pour les produire ? Je dis aux intéressés : ne tombez pas annuellement dans le panneau du dico nouveau. Dépensez plutôt votre pécule sur deux autres bouquins d’un auteur peu connu, qui gagnerait à l’être. Un nouveau dictionnaire papier aux cinq ou dix ans serait amplement suffisant.
La grande Marguerite Yourcenar, première femme membre de l’Académie française, a écrit ses chefs-d’œuvre avec un dictionnaire datant de… 1927 [6]. Prenons-en de la graine !
Sylvio Le Blanc
1. https://www.editions-larousse.fr/actualite/le-petit-larousse-illustre-2026/
https://www.noovo.info/nouvelle/voici-les-nouveaux-mots-qui-sajoutent-au-petit-robert-2026.html
2. https://fr.wikipedia.org/wiki/Vivendi
https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89ditions_Larousse
3. https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Langue_fran%C3%A7aise
4. https://translate.google.com/?sl=is&tl=fr&text=s%C3%ADminn&op=translate
5. https://fr.wikipedia.org/wiki/Islande
6. Détail entendu dans un documentaire sur elle.
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