Non seulement la nomination de Marc Nadon contrevient à l’esprit de la loi sur la Cour suprême, mais elle met en plus en relief une des plus grandes failles du fédéralisme canadien.
Bloquée actuellement par une contestation judiciaire, la nomination de M. Nadon illustre à merveille ce vice du fédéralisme canadien actuel : l’arbitre suprême des différends entre l’État central et les provinces est nommé unilatéralement par l’État central.
Puisque M. Nadon aime tant le hockey (au point d’avoir laissé entendre qu’il avait été repêché par les Red Wings !), reprenons une image qu’a déjà utilisée la constitutionnaliste Eugénie Brouillet : si la LNH était comme notre fédération bancale, l’organisation des Canadiens de Montréal, par exemple, pourrait choisir les arbitres lors des matchs disputés par son équipe. Le « CH » aurait beau garantir que les arbitres choisis seraient impartiaux, qu’ils auraient du hockey une connaissance impeccable, rien n’y ferait, l’apparence de conflit d’intérêts serait intenable.
Ainsi, à quelques semaines d’un verdict clé de la plus haute cour au sujet d’une institution pourrie mais cruciale pour l’équilibre politique de la fédération, le Sénat, Ottawa abat une des trop nombreuses cartes dont il dispose dans ce régime : la nomination d’un juge à l’un des trois sièges garantis par la loi au Québec. Le gouvernement Harper aime bien Marc Nadon puisqu’il a souvent donné raison à l’exécutif fédéral, notamment dans l’affaire Omar Khadr.
Pour placer cet inconnu des milieux juridiques québécois au plus haut tribunal (et en passant outre à la coutume qui aurait voulu qu’une femme y soit nommée), Ottawa fit une interprétation étriquée des règles. M. Nadon n’a jamais siégé comme juge à une cour québécoise. Il a, depuis 1993, oeuvré au sein de tribunaux de l’État central, la cour fédérale et la cour fédérale d’appel.
Ottawa cite, en guise d’argumentaire, un avis qu’il a lui-même réclamé non pas à la Cour suprême actuelle, mais à certains de ses anciens juges. Selon ces « ex », il n’y aurait dans la nomination aucun accroc à la loi sur cette même cour. Même à son article 6 : « Au moins trois des juges sont choisis parmi les juges de la Cour d’appel ou de la Cour supérieure » du Québec « ou parmi les avocats » du Québec. Or, arguent les « ex », M. Nadon a été avocat inscrit au barreau du Québec pendant dix ans, comme le spécifie l’article 5. Toutefois, il ne l’est pas actuellement, comme la loi l’exige et comme l’avocat torontois Rocco Galati le souligne avec raison dans sa contestation de la nomination.
Chose certaine, l’esprit de l’article 6 ainsi que la pratique des nominations à la Cour suprême depuis des décennies indiquent qu’Ottawa erre. L’esprit, c’est celui qui reconnaît que le Québec forme une « société distincte ». Certes, le terme, central à l’Accord du lac Meech, n’a pas été inscrit dans la Constitution. Mais depuis l’Acte de Québec de 1774, l’Acte de l’Amérique du Nord britannique de 1867 et la reconnaissance comme « nation » par les Communes, nombre de textes de loi confèrent au Québec le droit de cultiver sa tradition civiliste. Or, à la cour fédérale, M. Nadon n’aura traité de droit civil que par la bande.
Le ministre de la Justice du Québec, Bertrand St-Arnaud, avait fourni à Ottawa une liste de juristes québécois pouvant aspirer à la plus haute cour. Contrairement à la théorie du fédéralisme (que respectent nombre d’autres fédérations), l’État central a choisi de ne pas tenir compte de ces propositions. Et dire qu’en 2005, Stephen Harper promettait un « fédéralisme d’ouverture » qui reconnaîtrait « l’autonomie des provinces et les responsabilités culturelles et institutionnelles spéciales du gouvernement du Québec ».
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