Qualité de la langue française au cégep

Les tribulations d'une épreuve uniforme

Approche holistique ou judéo-chrétienne, l'examen divise

La langue française


L'épreuve uniforme de français au collégial en est à sa onzième année dans sa forme actuelle. Les textes de 900 mots sont évalués sous trois angles: la compréhension des textes et la qualité de l'argumentation, la structure du texte ainsi que la maîtrise de la langue.

La ministre de l'Éducation, Michelle Courchesne, a tôt fait cette semaine de mettre le couvercle sur les pistes de révision de l'épreuve uniforme de français au collégial dont Le Devoir faisait état mercredi, flairant dès la lecture matinale des quotidiens que l'abandon de la méthode du décompte des fautes pour l'évaluation de la maîtrise du français soulèverait un tollé. Retour sur une épreuve qui a fait couler beaucoup d'encre.
Sujet sensible s'il en est, la qualité de la langue au Québec, a fortiori celle des étudiants, soulève les passions. C'était vrai cette semaine, ce l'était tout autant au cours des dernières décennies qui ont mené à la mise en place de l'épreuve uniforme de français au collégial en 1996.
Constatant le piètre niveau des étudiants, plusieurs universités québécoises commencent à administrer des tests de français vers la fin des années 1980. En 1992, le ministère impose un test uniforme aux étudiants souhaitant s'inscrire à l'université, épreuve qui consistait en un texte d'opinion sur un sujet d'actualité. Ce dernier est alors jugé trop facile pour des aspirants universitaires.
Dans la foulée de la réforme du collégial, Lucienne Robillard décide de modifier la formule pour soumettre tous les finissants du cégep à une épreuve uniforme de français. On choisit d'exiger une dissertation critique, à propos d'oeuvres littéraires, qui mesure, non seulement la qualité de la langue, mais aussi les connaissances littéraires acquises par les étudiants au cours de leur formation.
L'épreuve uniforme de français au collégial en est à sa onzième année dans sa forme actuelle. Les textes de 900 mots sont évalués sous trois angles: la compréhension des textes et la qualité de l'argumentation, la structure du texte ainsi que la maîtrise de la langue.
Alors que les deux premiers critères sont évalués de façon qualitative, on procède pour celui de la maîtrise de la langue à un décompte des fautes dans la copie de l'étudiant. La réussite au critère de la maîtrise de la langue est obligatoire pour passer l'épreuve; un étudiant qui commet plus de 30 erreurs est donc automatiquement en échec. On procède ensuite à une deuxième correction pour vérifier le verdict.
C'est principalement cet aspect de l'évaluation que propose de mettre au rancard l'enseignant Richard Berger dans son document de travail produit pour le compte du ministère de l'Éducation. Ce dernier estime que la méthode du calcul des fautes -- qui n'est guère employée ailleurs dans le monde -- ne permet pas de mesurer la capacité des étudiants à formuler des phrases complexes, à exprimer leur pensée de façon cohérente. Il proposait de remplacer la méthode jugée trop «punitive» par une évaluation globale de la syntaxe, de l'orthographe (d'usage et grammatical) et de la ponctuation. L'approche qualitative, définie comme «holistique» dans le document, a été fortement décriée.
Pour l'enseignant Richard Boivin, du Cégep de Chicoutimi, l'introduction de l'épreuve uniforme de français en 1996 a eu un effet concret sur la qualité du français des étudiants. «Il y a eu une certaine amélioration, progressivement, depuis l'introduction de l'épreuve. Cela donne une emprise importante sur la réussite. C'est l'épouvantail qui aide à stimuler les troupes», constate M. Boivin, codirecteur du Centre d'aide en français de son cégep.
Il croit que la remise en question de l'épreuve implique une remise en question de l'ensemble du programme de français au collégial, puisque l'une et l'autre sont étroitement liées.
Autrefois critique à l'égard de l'épreuve, la linguiste Marie-Éva de Villers, de l'École des hautes études commerciales (HEC), se porte elle aussi à la défense de l'examen, obligatoire pour l'obtention du diplôme collégial. «Au début, l'épreuve n'était pas suffisamment concluante. Mais nous constatons maintenant que l'évaluation correspond à ce que nous observons à l'université. [...] Elle est fiable», note Mme de Villers, qui coordonne les examens de français des HEC.
Quoi mesurer?
Lorsqu'on souligne que la grille de correction actuelle ne permet pas de bien mesurer la capacité des étudiants à rédiger des phrases complexes, dans un style intéressant, Mme De Villers réplique en disant que les étudiants ne sont pas tous destinés à devenir auteur ou journaliste.
«C'est vrai qu'en préparant les élèves à subir l'épreuve, on peut leur suggérer de faire des phrases simples... Dans la vie courante, quand on a à communiquer, si on ne s'estime pas trop compétent en la matière, on va éviter la forme complexe. On le fait nous-mêmes, si on n'est pas certains d'un accord, d'un participe passé ou d'un pronominal», fait-elle observer.
Richard Boivin abonde dans ce sens: «Quelqu'un qui fait preuve d'une grande cohérence de pensée mais qui n'est pas capable d'écrire 900 mots sans trop faire d'erreurs, il y a un problème.»
Sa collègue du Cégep du Vieux-Montréal Suzanne Beauchemin considère pour sa part que l'épreuve n'évalue qu'une infime partie de la maîtrise de la langue. «Cela ne suffit pas, de ne pas faire d'erreurs, d'accord. Il n'y a pas que cela», souligne Mme Beauchemin, qui avoue ne pas avoir eu le temps de se faire une tête calmement sur l'approche proposée par M. Berger.
Il apparaît néanmoins évident aux yeux de l'enseignante que l'épreuve devra tôt ou tard faire l'objet d'une révision. Elle se désole de voir le document de M. Berger voué si rapidement aux gémonies. «Si on ne peut pas réfléchir sans que les gens attachés aux normes poussent des hauts cris, on n'avancera pas.»
Une idée qui fait long feu
La révision de l'épreuve uniforme de français s'inscrivait dans le cadre d'une réflexion sur la formation générale amorcée il y a deux ans, dans la foulée du Forum sur l'avenir des collèges. La réflexion et la consultation devaient se poursuivre pendant encore un an, avant d'aboutir à des recommandations à la ministre.
Le document en question, daté de mai dernier, a été soumis au comité regroupant des représentants des départements de français des différents cégeps et devait l'être éventuellement au comité sur la révision de la formation générale.
Le mandat accordé par le ministère à Richard Berger soumettait différentes pistes à explorer pour réviser l'épreuve. Outre la révision des modalités d'évaluation, qui a donné lieu à la proposition de recourir à l'approche holistique, on envisageait, entre autres, d'introduire des textes non littéraires, de soumettre les élèves du secteur technique à une épreuve adaptée à leur domaine d'étude, de modifier la nature des sujets proposés, etc.
Si M. Berger a écarté l'idée d'élaborer des épreuves distinctes pour le secteur préuniversitaire, il suggère cependant d'élargir l'éventail des textes proposés à des traductions ou encore à des oeuvres non littéraires d'une complexité comparable. On propose par ailleurs de permettre aux élèves d'effectuer une dissertation explicative plutôt que critique.
Il reste cependant à voir ce qu'il adviendra du document une fois digérées les émotions de la semaine.


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