Les misères actuelles de La Presse

Les souverainistes doivent se tenir prêts à saisir toute occasion

Médias et politique

Quelle étrange coïncidence que de voir le président et éditeur de La Presse, Guy Crevier, menacer les syndiqués de fermeture pure et simple de son journal le lendemain même du jugement rendu par la Cour d’appel en faveur d’Yves Michaud. En 2005, le fondateur du Mouvement d’éducation et de défense des actionnaires (MÉDAC) a dû traîner Gesca (dont M. Crevier est aussi le président) devant les tribunaux pour avoir accès aux résultats financiers de l’entreprise. Le Robin des banques n’a jamais caché avoir entrepris cette démarche parce qu’il soupçonne Paul Desmarais de faire fonctionner les journaux de Gesca à perte en les soutenant à même les revenus de Power Corporation, tout cela dans le but précis d’inonder les Québécois de propagande fédéraliste. En apprenant ces deux nouvelles, les souverainistes pourraient être tentés de souhaiter la réalisation prochaine de deux de leurs rêves les plus fous.
Le premier serait le démasquement officiel et irréfutable des André Pratte et Alain Dubuc de ce monde en tant que mercenaires fédéralistes à la solde de Paul Desmarais, et la perte de toute crédibilité journaliste qui ne saurait qu’en découler. Souvenez-vous de l’affaire Robert-Guy Scully au temps du scandale des commandites. Le second serait la disparition du quotidien le plus inconditionnellement favorable au statu quo constitutionnel et au laisser-faire bilinguisant que le Québec ait jamais porté. Respirons par le nez : on est encore loin du compte.
D’abord, à supposer que Gesca ne fasse pas à nouveau appel, cette fois devant la Cour suprême, et qu’elle rende publics des chiffres fiables et transparents, elle pourrait bien qualifier les éventuelles pertes révélées par ses états financiers de difficultés ponctuelles liées à la conjoncture présente. Gesca pourrait alors prétendre que les années antérieures se sont toujours soldées par d’importants bénéfices, réfutant ainsi sa nature propagandiste financée par Power. La volonté de Crevier de donner aux syndicats l’accès aux chiffres tend à donner foi à cette thèse. Comment Yves Michaud pourrait-il alors exiger l’accès aux données des années passées en alléguant son statut d’actionnaire investisseur ayant droit à une juste information?
Ensuite, les experts jugent peu crédibles les scénarios catastrophiques de Guy Crevier. Il s’agit plus vraisemblablement de ce que les avocats appellent communément des « effets de toge » liées à des négociations patronales-syndicales en plein cul-de-sac, et possiblement aussi à la belle victoire d’Yves Michaud. Mais surtout, y a-t-il quelqu’un sur cette planète Québec qui croit vraiment que Paul Desmarais est prêt à lâcher dans la nature la clientèle des lecteurs et annonceurs de La Presse, vaisseau amiral de Gesca et important rouage de son pouvoir politique? Souvenons-nous que c’est lors d’une grève à ce journal qu'Olivar Asselin avait rebaptisé « la putain de la rue Saint-Jacques » que Pierre Péladeau a lancé son Journal de Montréal, aujourd’hui principal concurrent de La Presse en terme de tirage. On imagine sans difficulté la ruée vers ce lucratif marché que causerait la disparition de La Presse. Ce serait aussi une occasion à ne pas manquer pour les souverainistes de racheter leur immobilisme passé en cette matière. Car immobilisme, il y eut.
En effet, souvenons-nous qu’à la suite d’une série d’acquisitions ayant culminé en 1999, Gesca avait fini par regrouper La Presse de Montréal, Le Soleil de Québec, La Tribune de Sherbrooke, Le Droit de Gatineau/Ottawa, Le Nouvelliste de Trois-Rivières, La Voix de l’Est de Granby et Le Quotidien de Chicoutimi. Cette pieuvre à sept tentacules a tôt fait d’attirer l’attention sur la concentration de la presse au Québec. Et encore, si Gesca se contentait de chercher à faire de l’argent, comme Quebecor dont les journaux ne publient même pas d’éditoriaux. Peut-on imaginer dans quel enfer nous serions aujourd’hui si en 1986, le CRTC n’avait pas interdit à Power Corporation d'acquérir Télé-Métropole ? Mais à cette époque, le gouvernement péquiste de Lucien Bouchard s’est mollement contenté d’instituer en février 2000 une commission parlementaire dont il était établi dès le départ qu’elle ne pourrait remettre en cause les transactions alors récentes ayant fait du groupe Gesca ce qu’il est aujourd’hui. Comme si information ne rimait pas avec opinion. Comme si le lourd interventionnisme politique de longue date de Paul Desmarais avait été un mystère.
En novembre 2001, à force de mettre de l’eau dans leur vin pour en arriver coûte que coûte à un rapport unanime, les membres péquistes de la commission avaient fini par accoucher d’un tissu d’insignifiances. En février 2003, la ministre Diane Lemieux avait proposé un ensemble de mesures réglementaires afin d'atténuer les effets de la concentration des médias au Québec, dont l'adoption d'une loi sur l'information, la création d'un conseil de l'information et celle d'un fonds d'aide à l'information pour soutenir la presse indépendante. Tous ces vœux pieux sont restés lettre morte, avec les conséquences funestes que les souverainistes connaissent trop bien aujourd’hui. On est bien loin de l’époque où Ottawa n’avait pas hésité à légiférer pour empêcher ce même Desmarais, un indigne « French Frog » aux yeux des milieux d’affaires torontois, de prendre le contrôle du Canadien Pacifique.
À la vue des misères actuelles de La Presse, on ne doit donc pas trop se laisser prendre à rêver. Mais s’il fallait que vacille cette Pravda canadienne et compte tenu de notre réalité politique, osons espérer que les souverainistes auront pris leçon des erreurs du passé et qu’ils rassembleront les capitaux et la volonté politique nécessaires pour prendre résolument d’assaut ce marché pour ce qu’il est d’abord et avant tout : un précieux et très puissant espace d’influence.

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Christian Gagnon138 articles

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CHRISTIAN GAGNON, ing.
_ L’auteur a été président régional du Parti Québécois de Montréal-Centre d’octobre 2002 à décembre 2005





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6 commentaires

  • Gaston Boivin Répondre

    5 septembre 2009

    Avec le soutien potentiel d'un lectorat reposant sur 41% de souverainistes et d'indépendantistes, à savoir plus de 50% de la population québécoise de langue française en mesure de lire, et, au surplus, sur 75% de cette population québécoise de langue française qu'on peut considérer comme "nationaliste québécois", je suis convaincu qu'un vrai journal québécois, c'est à dire au service de la réalité québécoise et conscient de la fragilité de sa réalité française et de celle du peuple qui la maintient, serait dans une meilleure position qu'un journal comme la Presse qui escamotait et galvaudait ces réalités et cette fragilité au seul profit de la réalité canadienne et qui, de ce fait, ne pouvait compter que sur un lectorat québécois de langue française de 25% seulement, composé majoritairement de fédéralistes pour approximativement 20% et d'à peu près 5% de gens qui sont indifférents à la realité de leur patrie. Et ce d'autant plus qu'à notre époque, celle de l'internet, les données sur lesquels reposent les finances d'un journal ont été inversées: En effet, les revenus d'un journal reposaient à l'époque pour un tiers sur son lectorat et pour deux tiers sur les annonces publicitaires alors que maintenant, c'est l'inverse, soit deux tiers sur le lectorat et un tiers sur les annonces publicitaires. Si, dans de telles conditions, un journal comme "The Gazette" full "anglophone", "fédéraliste" et "Canadian" peut subsister avec seulement un lectorat potentiel de 20% composé des Québécois de langue anglaise, je ne vois pas comment un nouveau journal de langue française full "francophone", "nationaliste" et "québécois" ne pourrait pas réussir. C'est exactement cela qu'il nous faut: Un journal qui sera pour les Québécois de langue française fiers de leur langue, histoire, ancêtres et pays légitime le pendant de ce que peut être "The Gazette" pour les Québécois de langue anglaise fiers de leur langue, histoire, ancêtres et pays légitime.

  • Archives de Vigile Répondre

    4 septembre 2009

    j'ai fait ma part en 1995, je n'ai plus jamais acheté cette "putain"
    et tant mieux si elle disparait du paysage; on ne l'a que trop vue.

  • Ouhgo (Hugues) St-Pierre Répondre

    4 septembre 2009

    Il faut voir Monsieur George-Étienne Cartier, qui avait déjà de bonnes pistes pour proposer la formule coopérative de journal. Bon, le papier se démode, mais un journal Internet financé par les indépendantistes, pourquoi pas?... Si on est encore assez nombreux.
    Mais bien sûr: COMMENCER PAR ARRÊTER D'ACHETER LA PRESSE !

  • Archives de Vigile Répondre

    4 septembre 2009

    Bonjour monsieur Gagon,
    Je ne suis pas si sûr avec l'acquisition de journaux par les temps qui courent. Si nous regardons de près la situation américaine, ça ne semble pas plus drôle. Je crois plutôt que des journaux comme Vigile ont plus de chance de survivre que les journaux "papier". Il me semble que les souverainistes doivent mettre leur argent à la bonne place.
    Tant qu'à la Grosse Presse, je ne suis aucunement peiné de la voir disparaître.
    Fernand Lachaine

  • Archives de Vigile Répondre

    4 septembre 2009

    Il n'en tient qu'aux souverainistes, qui forment 50 % du lectorat de Gesca La Presse, de règler le cas de Paul Desmarais. Mais pour que cela advienne ils faudrait qu'il sortent de leurs confsuions stratégique et arrêtent de nourrir la bête !
    http://www.vigile.net/Arretons-de-nourrir-la-bete-Gesca
    JCPomerleau

  • Gilles Bousquet Répondre

    4 septembre 2009

    Le Journal de Montréal me semble assez neutre sur les options constitutionnelles du Québec. Il semble accepter la réflexion toutes les tendances, selon les évènements.
    La grosse Presse de Montréal et ses satellites régionaux incluant le Soleil de Québec qui appartiennent à Gesca des Desmarais, sont carrément full-fédéralistes à la Trudeau, Chrétien, Dion...pures et dures.
    Il va être difficile, sinon impossible à un groupe de souverainistes de se porter acquéreur de la Presse et de ses satellites, s'ils venaient à faillir. Le Jour, journal qui ressemblait à la presse par le format, n'a duré que quelques années même s’il comptait des hommes forts comme les Michaud et Parizeau. Pourquoi ? Ça prend beaucoup de publicité pour arriver avec un journal quotidien et les entreprises sont très majoritairement...fédéralistes et souvent...anglophones.