RIP 1940-2015

Jacques Hurtubise et moi

Un grand artisan culturel québécois nous a quittés

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Tribune libre

Au moment de la fondation du magazine Croc en 1979, j'étais étudiant au cégep Édouard-Montpetit. Un ami (aujourd'hui journaliste) et moi avons entrepris d'aller interviewer Jacques Hurtubise pour le journal étudiant Le Motdit. Mais les post-ados encore brouillons et insouciants que nous sommes pourront-ils convaincre « Monsieur Hurtubise » de nous consacrer un peu de son précieux temps? Coup de fil à la rédaction: c'est Hurtubise lui-même qui décroche d'une simple « Allo? » Bredouillage nerveux et maladroit de notre demande: il accepte tout de suite!

Le jour convenu, nous franchissons avec un trac fou la porte des bureaux de Croc. La très expressive Hélène Fleury (co-fondatrice elle aussi, conjointe d'alors d'Hurtubise et que je reverrai plus tard dans les romans-photos du magazine) est morte de rire. Nous, on a manqué le début de la farce. Mais voilà qui décontracte l'atmosphère. Elle nous reconduit au bureau désordonné de notre hôte qui rit lui aussi à gorge déployée. Dommage que nous ne soyons pas arrivés une minute plus tôt pour rire nous aussi. J'installe mon magnétophone à cassette et j'appuie sur « record ». Je ne sais même pas quoi lui demander mais Jacques Hurtubise démarre en trombe. Il nous raconte toutes ses aventures bédéistiques antérieures à partir de « L'hydrocéphale illustré » et parle pendant une bonne vingtaine de minutes. Le récit est passionnant et entrecoupé d'esclaffements irrépressibles. Un constat principal: Jacques Hurtubise est drôle. Très drôle.

« Une chance que le magnétophone tourne », me dis-je, « parce que je n'aurais jamais pu retenir tout ça. » C’est que je ne suis pas encore au courant de l’invention du calepin de notes. Puis, nous quittons les lieux avec beaucoup plus de matériel qu'anticipé, notre hôte nous invitant à lui faire parvenir une copie de notre article estudiantin une fois publié. J'ai alors vraiment le sentiment d'avoir fait une rencontre privilégiée. Une fois rentrés au cégep, nous tentons de réécouter la bande mais n'y trouvons rien. « Merde, le magnéto n'a pas marché! », concluons-nous, dépités. J'ai finalement écrit mon article de mémoire. Il a sûrement été plus court que si j'avais pu compter sur l'enregistrement. Quelques mois plus tard, en tripotant le magnéto pour autre chose, je suis tombé sur toute l'entrevue, très audible, mais dont je n'avais pas été foutu d'en repérer, quand j'en avais vraiment besoin, les 20 minutes sur les 45 minutes d'un des côtés de la cassette! Je l'ai toute réécoutée en riant des coups de gueule d'Hurtubise encore davantage que lorsque nous étions devant lui, intimidés par le gars pourtant le plus accueillant et décontracté qui se puisse.

J'ai revu Jacques Hurtubise plusieurs fois, au Salon du livre de Montréal. Il était toujours aussi facile d'accès et gamin. Longuement, nous parlions BD, lui, l'icône de la bande dessinée québécoise et moi, le parfait quidam. Je me souviens qu'il déplorait que ses fils ne s'intéressent pas davantage à son immense collection de BD. Et cette précieuse cassette, je l'ai égarée depuis de nombreuses années. Mais aujourd'hui que ce personnage unique nous a quittés, je donnerais cher pour la retrouver.

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Christian Gagnon138 articles

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CHRISTIAN GAGNON, ing.
_ L’auteur a été président régional du Parti Québécois de Montréal-Centre d’octobre 2002 à décembre 2005





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1 commentaire

  • Ouhgo (Hugues) St-Pierre Répondre

    18 décembre 2015

    Je ne vois pas pourquoi on ferait un travail de deuil. On ne se console pas de la mort de quelqu’un qu’on aime.
    (Michel Houellebecq)