Les pressions pour la destitution de Trump

Le hara-kiri américain

Exclusif : des voix de l’Establishment multiplient les appels à la destitution du président Trump, même sans aucune preuve publique de collusion de sa campagne avec la Russie, rapporte Robert Parry.


L’affaire du Russia-gate a pris une étrange tournure depuis que les partisans de la destitution du président Trump disent que son renvoi devrait précéder l’achèvement de l’enquête et en fait, précéder d’avoir vu ce qu’il y a à voir – bien qu’un des objectifs de l’enquête au moins est que le gouvernement américain joue cartes sur table.



Carter Page, ancien conseiller en politique étrangère de la campagne de Trump, dont on dit qu’il serait sous le coup d’une enquête de contre-espionnage du FBI pour ses contacts avec les Russes, a appelé le procureur général adjoint Rod Rosenstein, qui supervise l’enquête, à publier immédiatement « tous les documents liés aux éventuelles écoutes téléphoniques pratiquées sur moi [par l’administration Obama] ».


De l’avis de Page, c’est bien le fait que l’administration Obama ait propagé des allégations sur les liens de la campagne de Trump avec la Russie qui représente « l’ingérence d’un gouvernement dans l’élection de 2016 », et non les prétendus piratages russes des e-mails des Démocrates et leur publication par WikiLeaks, ce qu’affirment les responsables des services de renseignement du président Obama mais que réfutent WikiLeaks et la Russie.


Pourtant, ce qui est peut-être le plus remarquable sur toute l’affaire du Russie-gate, c’est qu’elle est menée pratiquement sans partager aucune preuve avec le peuple américain. Ainsi, nous voici devant la perspective que l’Establishment politico-médiatique vise la destitution d’un président des États-Unis dûment élu, sans que les citoyens soient informés exactement des éléments de preuve existants et de leur importance.


Le point de mire de la destitution s’est déjà déplacé, depuis la question sous-jacente de savoir si la campagne de Trump a eu des collusions avec les Russes, au limogeage inepte du Directeur du FBI, James Comey par le président Trump. Celui-ci avait joué un rôle clé dans le naufrage de la campagne d’Hillary Clinton en ré-ouvrant l’enquête sur les éventuelles violations de sécurité provoquées par son utilisation d’un serveur de messagerie privé quand elle était secrétaire d’État; avant que Comey ne prenne une nouvelle fois la vedette en enquêtant sur les liens possibles de la campagne Trump avec la Russie.


Trump, dont l’aptitude à la présidence reste une préoccupation profonde pour de nombreux électeurs américains, a de nouveau montré son incompétence en virant Comey. On aurait pu penser que Trump – dont la marque de fabrique en tant qu’ancienne star de la télé-réalité – était « vous êtes viré ! » – aurait pu la mettre en veilleuse, mais apparemment pas.


Trump n’a même pas viré Comey en face à face, mais plutôt maladroitement, à longue distance. Ensuite, il a forcé ses subordonnés à justifier l’élimination abrupte de Comey par sa violation des protocoles du Département de la Justice,constituée en dévoilant l’enquête politiquement sensible sur Clinton d’une manière qui pouvait influencer une élection nationale. Mais Trump a démoli lui-même cette explication en lâchant des commentaires qui semblaient lier le limogeage de Comey à son manque de fidélité et à l’enquête russe.


Ce dernier mouvement bâclé montre à nouveau que Trump ne peut pas suivre l’une des règles les plus élémentaires en politique : respecter ses propres éléments de langage. Quand on voit ce que les Républicains ont fait avec la confusion initiale de l’administration Obama sur les causes de l’attaque du consulat américain de Benghazi, en Libye, en 2012, on pourrait penser que Trump aurait appris la leçon de peaufiner une histoire avant de la raconter, mais apparemment pas.


Quelle que soit la justification du limogeage de Comey, ce que Trump a fait a été de détourner le « scandale » du Russie-gate, des faits réels de l’affaire vers le processus de l’enquête. L’une des slogans officiels préférés de Washington est que « la dissimulation est pire que le crime » – bien qu’il s’agisse habituellement d’une bonne excuse pour les journalistes et les membres du Congrès qui n’ont pas les compétences nécessaires pour enquêter sur le crime sous-jacent ou déterminer si même il existe.


Un coup d’État en douceur


Tandis que l’indignation de l’Establishment à propos du limogeage de Comey se répandait, on aurait pu penser qu’il y aurait une préoccupation équivalente à l’encontre du FBI et des autres organismes de renseignement américains, quant à leur intervention pour influer sur les résultats électoraux, que ce soit pour torpiller Clinton et maintenant pour couler Trump.


Le directeur du FBI James Comey


La CIA, la NSA et le FBI ont joué un curieux rôle de fers de lance dans l’enquête sur le Russie-gate, notamment en sélectionnant au sein des trois organismes des « analystes confirmés », qui ont produit le 6 janvier un rapport clairement biaisé et presque sans preuves – ce qui soulève la question d’un « coup d’État en douceur » ou un « coup de l’État profond » pour annuler l’élection de 2016.


Compte tenu de la gravité d’une telle situation dans une république constitutionnelle qui se targue d’être l’étalon-or de la démocratie, on aurait pu s’attendre à ce que les services chargés de l’application de la loi et les services de renseignement fassent davantage d’efforts pour partager leurs preuves avec le peuple américain, dont le jugement électoral serait, en définitive, vidé de son sens : à la fois par l’intervention tardive de Comey contre Clinton et maintenant par la pression pour la destitution de Trump.


Pourtant, au lieu de s’engager à la transparence, la communauté du renseignement dit aux citoyens que nous devons accepter, sans preuve, le fait que « l’ingérence » russe est une « donnée », En outre, des voix influentes émergent pour déclarer que la destitution de Trump devrait se dérouler même sans que les résultats de l’enquête du Russia-gate sur une éventuelle collusion Trump-Russie soient connus du public.


Dimanche, le Washington Post a publié un article d’opinion d’un professeur de droit de l’Université de Harvard, Laurence H. Tribe, qui déclarait : « Le moment est venu pour le Congrès de lancer une enquête de destitution contre le président Trump pour obstruction à la justice… Le pays est confronté à un président dont la conduite suggère fortement qu’il constitue un danger pour notre système de gouvernement. »


Tribe poursuivait ainsi : « Il y avait de nombreuses raisons de s’inquiéter de ce président et de réfléchir au remède extraordinaire de la destitution, même avant qu’il ne limoge le directeur du FBI, James B. Comey, et qu’il n’admette incroyablement à la télévision nationale que la mesure avait été provoquée par l’approfondissement de l’enquête du FBI sur ses liens de campagne avec la Russie ».


Une grave menace


Selon Tribe, la menace de Trump sur le système est tellement grave que son retrait devrait précéder toute conclusion de l’enquête sur le Russie-gate. Tribe écrit que la destitution immédiate aurait pu être motivée par d’autres problèmes, « même sans arriver au bout de ce que Trump a écarté comme ’’cette affaire avec la Russie’’ » et bien que Tribe reconnaisse qu’une étape aussi extrême aurait pu sembler prématurée à l’époque.


Une scène hivernale à Moscou, près de la Place Rouge. (Photo de Robert Parry)


« De plus », poursuit Tribe. « Attendre les résultats des multiples enquêtes en cours est risquer de lier le destin de notre nation aux caprices d’un chef autoritaire. Le renvoi sommaire de Comey n’arrêtera pas l’enquête, mais il représente un effort évident pour interférer avec une enquête impliquant des questions de sécurité nationale autrement plus graves que le « cambriolage de troisième ordre » que Nixon a tenté de cacher lors du Watergate.


« La question de l’ingérence de la Russie dans l’élection présidentielle et la collusion possible avec la campagne de Trump touchent le cœur de notre système et notre capacité à organiser des élections libres et équitables ».


Comme beaucoup « d’experts » mainstream, Tribe ne semble pas comprendre ce que le Watergate était vraiment ; des découvertes historiques récentes ont montré qu’il s’agissait d’une conséquence de la dissimulation par Nixon de son sabotage en 1968 des négociations de paix au Vietnam du président Lyndon Johnson, une manœuvre qui avait permis à Nixon d’accéder à la présidence mais avait prolongé la guerre de quatre années de plus. C’est la crainte de Nixon que son sale truc ne soit divulgué qui a conduit à la mission des « plombiers » du Watergate.


Tribe ignore également le fait que « l’ingérence russe » reste une « question », pas un fait prouvé, et qu’aucun enquêteur n’a cité de preuve de la collusion avec la campagne de Trump. Pour contourner ce problème, Tribe se concentre sur le limogeage de Comey comme motif de mise en accusation :


« Dire que cela ne va pas intrinsèquement jusqu’au niveau de »l’obstruction à la justice », c’est vider ce concept de toute signification. L’obstruction à la justice a été le premier fait pris en compte dans les articles d’accusation contre Nixon et, des années plus tard, contre Bill Clinton. Dans le cas de Clinton, l’obstruction ostensible consistait uniquement à avoir menti sous serment à propos d’une affaire sexuelle sordide qui aurait pu souiller le bureau ovale, mais n’impliquait aucun abus de pouvoir présidentiel en tant que tel.


« Mais dans le cas de Nixon, la liste des actions qui, ensemble, étaient considérées comme constituant une obstruction relevant de l’impeachment, se lit comme la prévision de ce que Trump allait faire des décennies plus tard : faire des déclarations trompeuses à des enquêteurs fédéraux ou d’autres employés fédéraux, ou leur cacher des preuves matérielles ; essayer d’interférer avec le FBI ou les enquêtes du Congrès ; essayer de percer le bouclier du FBI qui protège les enquêtes criminelles en cours ; agiter des carottes devant les gens qui, sinon, pourraient poser des problèmes pour son maintien au pouvoir.


« Il faudra un engagement sérieux envers les principes constitutionnels et une volonté courageuse de mettre le dévouement à l’intérêt national au-dessus de l’intérêt personnel et de la fidélité à un parti, pour qu’un Congrès aux couleurs du président lance une enquête de mise en accusation. Ce serait une honte terrible si c’était seulement la perspective croissante d’être battu lors des élections de novembre 2018 qui préoccupait aujourd’hui l’esprit des représentants et des sénateurs.


« Mais que ce soit le dévouement aux principes ou l’instinct de survie politique qui mette sur la table la perspective de la mise en accusation et de la destitution, il est essentiel que cette perspective soit maintenant prise au sérieux, que le mécanisme de destitution soit réactivé et que la nécessité de l’utiliser devienne le centre du discours politique en 2018. »


Exposer la preuve


Il y a, bien sûr, une autre alternative : le FBI et les autres organismes de renseignement pourraient accélérer les enquêtes qu’ils font et fournir les preuves au peuple américain.


Le lieutenant-général de l’armée américaine à la retraite Michael Flynn lors d’un rassemblement de campagne pour Donald Trump à Phoenix, en Arizona. 29 octobre 2016. (Flickr Gage Skidmore)


La question clé, puisque le Russia-gate a été désigné au départ comme un scandale politique, est de savoir si des membres de la campagne de Trump ont eu des collusions avec des agents de renseignement russes pour transmettre les courriels des Démocrates à WikiLeaks, par des clés USB ou d’autres moyens.


Pourtant, au-delà du fait que le rapport du 6 janvier n’offrait aucune preuve gouvernementale que les Russes aient même piraté les courriels des Démocrates, il semble qu’on ne se soit pas précipité pour interroger les «suspects habituels» de la campagne de Trump – Roger Stone, Paul Manafort, Michael Flynn et Page – sur ce qu’ils pourraient savoir concernant la possible transmission des courriels à WikiLeaks.


Il n’y a pas eu non plus de témoignage public concernant une autre source sur les allégations du Russie-gate, l’ancien espion britannique Christopher Steele qui a préparé une série de rapports de recherche s’opposant à Trump et à la Russie, apparemment financés par des partisans de Clinton. On ne sait même pas à ce jour qui a payé pour le dossier Steele.


En règle générale, le FBI et le ministère de la Justice refusent de discuter des enquêtes avant d’avoir abouti à une conclusion, mais cette règle a déjà été rompue par Comey, qui a justifié l’annonce des enquêtes sur Clinton et sur Trump par leur importance politique.


Dans l’affaire Clinton, Comey a été invité à achever rapidement son travail afin que Clinton puisse être mise hors de cause avant les élections et c’est ce qu’il semble avoir fait, en terminant, deux jours avant l’élection du 8 novembre, l’enquête ré-ouverte sur son serveur de messagerie. Aujourd’hui, ficeler l’enquête russe est sans doute encore plus important pour l’intérêt général.


Dans son témoignage au Congrès, Comey a annoncé que le FBI avait commencé l’enquête russe en juillet dernier, ce n’est donc pas comme si les enquêteurs n’avaient pas eu le temps d’évaluer les preuves et de décider quoi faire.


Un processus transparent


La suggestion de Carter Page pourrait être un début. Il a dans les faits renoncé à son droit à la vie privée pour que les preuves, quelles qu’elles soient, utilisées par l’administration Obama pour justifier le mandat contre lui au titre du Foreign Intelligence Surveillance Act. (loi sur la Surveillance et les renseignements étrangers, NdT) soient exposées.


Carter Page, ancien conseiller de Trump pour la politique étrangère.


Les comités du Congrès pourraient également appeler autant de membres que possible de la campagne de Trump, qui seraient disposés à témoigner de leur connaissance de toute collusion avec la Russie. Jusqu’à présent, les seuls témoins ont été des agents chargés de l’application de la loi et du renseignement nommés par le président Obama, qui ont présenté diverses allégations tout en refusant de les étayer, au motif que les éléments de preuve sont « classifiés ».


Le professeur Tribe et les autres partisans de la destitution de Donald Trump ne se soucient peut-être pas que les preuves du Russie-gate soient jamais publiées, ils devraient toutefois reconnaître que – pour le meilleur ou pour le pire – près de 63 millions d’Américains ont voté pour Trump et que – dans le cadre du processus politique américain – il a remporté l’élection (bien que Clinton ait obtenu environ 3 millions de votes de plus à l’échelle nationale).


Au cours des derniers jours, j’ai voyagé au pays de Trump, en Virginie-Occidentale, en Pennsylvanie et en Ohio et j’ai parlé à plusieurs électeurs de Trump en cours de route. Certains m’ont indiqué qu’ils avaient voté plus contre Clinton et les « élites » que par enthousiasme pour Trump. Et certains ont critiqué Trump pour ses excès égotistes. Mais ils voulaient qu’on lui laisse une chance équitable de gouverner.


Il est difficile de savoir à quel point ces citoyens seraient en colère si leur jugement était renversé par les mêmes « élites » auxquelles ils avaient reproché de leur imposer le choix impopulaire de Clinton contre Trump.


Inverser – ou « corriger » – le résultat de l’élection présidentielle peut sembler un mouvement évident pour les rédacteurs du New York Times et pour le Professeur Tribe, mais c’est une proposition très grave qui exige une publication aussi complète que possible de la preuve, pas d’interminables enquêtes secrètes ou une mise en accusation fondée sur la prétendue « dissimulation » d’un crime qui peut exister ou non.


Dénier la volonté des électeurs exprimée par le processus constitutionnel – aussi imparfait que soit ce processus – exige un processus qui soit lui-même perçu comme ouvert et juste, pas une chambre de stars ou un tribunal de pacotille où la communauté du renseignement cache les preuves parce que « classifiées » et dit aux citoyens « faites-nous confiance ».


Aussi inadapté et inepte que soit Donald Trump, il a été élu – et personne ne devrait sous-estimer combien il pourrait être dangereux pour les initiés de Washington et les autres figures de l’establishment d’annuler le choix électoral par un processus tenu secret.


[Pour en savoir plus sur ce sujet, consultez sur Consortiumnews.com : Watergate Redux or “Deep State” Coup et The Soft Coup of Russia-gate.]

Le journaliste d’investigation Robert Parry a révélé plusieurs affaires de l’Iran-Contra pour The Associated Press et Newsweek dans les années 1980.


Source : Consortium News, Robert Parry, 15-05-2017


Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.


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