On se drape dans le fleurdelisé aux alentours de la Saint-Jean, mariant racines et modernité, disant «Je me souviens» tout en visant le futur à 100 à l'heure. Belle occasion aussi pour dériver du côté des Premières Nations, qui nous font remonter pus loin que nos mémoires élargies.
L'envie s'en fait d'ailleurs plus forte en ce vingtième anniversaire de la crise d'Oka. Peut-être à force de sentir confusément, par-delà les dérapages et surtout la mort inexcusable du caporal Lemay, que l'été rouge fut salutaire aux autochtones du Québec. Ce n'est pas pour appuyer leurs méthodes, mais enfin, constate-t-on in petto: qui les prenait au sérieux avant que les Mohawks ne s'encagoulent et ne montent aux barricades? Absents des médias, relégués au folklore et aux conflits de chasse et pêche avec leurs voisins blancs. Rien n'est rose dans les réserves, mais on entend désormais la voix de leurs habitants. Un vent de fierté a soufflé sur toutes les communautés amérindiennes du Québec, balayant le sentiment d'impuissance. Et leur culture reçoit plus d'écho qu'avant. Voyons voir!
Je suis allée cette semaine voir Xajoj Tun Rabinal Achi, mis en scène par Yves Sioui Durand à eXcentris dans le cadre du rendez-vous Présence autochtone.
Certains sortent perturbés de cette pièce, apparemment enfantée par le monde des songes. Est-ce une pièce, au fait? Plutôt un cérémonial, presque une transe, avec des costumes spectaculaires, des masques, des danses de la compagnie Ondinnok, un mélange de styles parfois heureux, ici et là dissonant. Rien à voir avec nos dramaturgies classiques, et seuls les spectateurs qui abandonnent leur esprit cartésien au vestiaire s'y plongent avec bonheur.
On regarde ce rituel déconcertant et fascinant comme on assiste parfois à l'étranger, au hasard de l'aventure, à d'étranges cérémonies qui ouvrent une porte dérobée sur des croyances, des cultures, sans offrir la clé ou la boussole pour comprendre. Qu'importe? Sonnés par la magie d'ensemble.
Depuis le temps qu'Yves Sioui Durand, né dans la réserve huronne Wyandat, près de Québec, crée au théâtre des oeuvres originales autochtones qui mêlent la mythologie, le chamanisme, des rituels, des chants, des danses à l'histoire des Premières Nations actuelle et passée, on salue sa détermination et son audace.
Le spectacle s'inscrit un peu dans la lignée de son ambitieuse Conquête de Mexico, montée à Montréal en 1991 en aztèque, en français et en espagnol, actualisant la violente colonisation du conquistador Cortéz au royaume du quetzalcoatl.
Nous voici cette fois en pays maya. D'ailleurs, deux Mayas du Guatemala, José Léon Coloch et son fils José Manuel Coloch Xolop, derniers gardiens du rituel théâtral du Rabinal Achi, au départ transmis par la tradition orale, ont fait le voyage jusqu'à nous. Comme il s'agit du seul texte précolombien toujours mis en scène en notre XXIe siècle, on assiste à son adaptation contemporaine avec des yeux intrigués, honorés d'en être.
Souvent quasi immobiles sous les costumes, les deux Mayas prennent parfois la parole dans leur langue indéchiffrable pour s'adresser à l'interprète du héros mythologique, qui sert des fragments du texte dont la trame nous égare parfois.
Plumes, masques, flûtes, os frottés, panache brandi, danses plus contemporaines en tuniques blanches chorégraphiées par Patricia Iraola, langues entremêlées: maya achi, français, anglais, espagnol, passé et présent tissés serré: place à un autre type de mondialisation avec des interprètes issus des deux Amériques, toutes épo-ques confondues.
Ici, les âmes des ancêtres sont consultées, des pratiques chamaniques stimulent des propos hallucinés, le héros Kaweq Kiché, guerrier rebelle arraché à ses montagnes, jugé et contraint à un banquet dont les plats sont figurés par des pierres. «Serais-je un véritable homme de colère si je devais incliner ma face?», demande le futur immolé. Des sons gutturaux rappellent des incantations tibétaines. Y succèdent, au milieu des rares instruments, des gémissements d'oiseaux, le bruit d'une chute et d'autres sons de la nature, dans une bande sonore, un peu trop plaquée parfois, mais réinventée d'une représentation à l'autre, comme le spectacle lui-même, chaque fois différent. Une prêtresse avec une robe rigide bordée de paille officie la mise à mort. Tout sera consommé.
Comprendre l'ensemble du rituel? Pourquoi? Chaque mythologie, quelle que soit son origine, demeure tissée de violence, de pratiques occultes et de mystères. Et de l'une à l'autre, c'est toujours le fantastique qui mène le bal. Devant Xajoj Tun Rabinal Achi — à prononcer d'un seul souffle — on se laisse guider vers cet ailleurs intérieur, l'inconscient collectif en somme, dont l'humanité doit bien se partager les codes inconscients. Songeant à ce dont l'Amérique s'est trop longtemps privée en écrasant les premières cultures du territoire: la richesse d'une autre cosmogonie.
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