Envoyé spécial à Kahnawake, Ludovic Hirtzmann - Les chefs de la réserve de Kahnawake, au Canada, ont décidé d'expulser les étrangers.
C'est un Mohawk pansu, à la tête de vieil oiseau. Il tient la première boutique de fumées en tous genres, à l'entrée de la réserve de Kahnawake. « Native Indian Cigarettes – Discount » (« cigarettes indiennes – soldées », NDLR), indique la pancarte près de sa cabane. L'homme sort comme un diable de la baraque le visage plein de haine. Il éructe : « Pas de photos. Pas de questions. Ne notez pas de noms car la route peut être dangereuse. » Le fier-à-bras, casquette rouge vissée sur une tête trop petite, fait signe à deux bouledogues. Kahnawake, dernier refuge de ces Mohawks autrefois alliés des Anglais, a déclaré ouverte la chasse aux Blancs.
Sur les 8 000 habitants, environ 300 ne seraient pas mohawks. Les chefs indiens, à la suite de lettres anonymes et d'appels téléphoniques d'une centaine de leurs compatriotes, ont décidé d'expulser un premier contingent de Blancs, dont les conjoints sont pourtant mohawks. « Nous avons identifié un premier groupe de 26 personnes. Ils ont dix jours pour déguerpir. Ces gens ne sont pas mohawks. Ils n'ont pas le droit de vivre ici. Nous ne faisons qu'appliquer la loi », confie l'ancien chef Joe Delaronde, aujourd'hui porte-parole du conseil de bande, qui gère la vie de la petite communauté.
Une loi raciale de 1981
En 1973, les Amérindiens ont expulsé 1 000 Blancs de Kahnawake. Depuis une loi raciale de 1981, seuls les Mohawks ont droit de vivre dans la réserve. Ceux qui se marient ou vivent avec un étranger transgressent la tradition. « If you marry out, get out » (« Si tu te maries en dehors de la communauté, va-t-en », NDLR), dit le dicton mohawk. « Les gens pensent que nous sommes une ville comme une autre. Nous ne sommes pas canadiens. Nous sommes mohawks. Nous avons une histoire, une terre, une culture. Nous sommes encerclés par les Américains, les Canadiens, les Québécois. Nous préservons notre culture, notre droit d'exister », explique Joe Delaronde.
La décision d'expulser des Blancs a provoqué l'ire des Québécois. Le ministre fédéral des Affaires indiennes, Chuck Strahl, a exprimé son malaise. À Kahnawake même, les avis sont partagés. William, 29 ans, cuisinier du restaurant-épicerie Dustin, lance : « Pourquoi 26 personnes et pas toutes ? Il y a là un problème de justice. » Au Dustin, les travailleurs de force engouffrent des petits déjeuners roboratifs. Des costauds, les épaules rentrées, plongent le nez dans leur tasse de café. Regards en coin. Murmures. C'est une auscultation en règle. Ici, le Blanc est un étranger. Pete, un colosse rigolard, dit mi-figue, mi-raisin : « Un canard ne va pas vivre dans la maison du poulet. » Salopette ocre, veste noire matelassée, le Mohawk est ironworker (travailleur de l'acier sur les gratte-ciel, NDLR) à New York. Depuis trente ans, il aligne les allers-retours entre son appartement de Brooklyn et sa réserve. Pete montre une photo sépia accrochée au mur. C'était lors de l'été 1990. À l'époque, les Mohawks, barricadés, avaient bloqué le pont Mercier qui relie l'île de Montréal aux banlieues. Les Québécois, terrorisés, avaient fait appel à l'armée. Le conflit a duré deux mois. Il a laissé de fortes rancœurs envers ceux que les Québécois considèrent comme des profiteurs, des « voleurs de taxes » exemptés d'impôts et bénéficiaires des subventions d'Ottawa.
Selon les médias canadiens, la réserve des trafiquants de tabac et des casinos Internet est devenue la ville du nettoyage ethnique. Kahnawake a deux visages. L'un regarde vers Montréal, de l'autre côté du fleuve. L'autre est tourné vers les États-Unis, distants d'une cinquantaine de kilomètres. D'un côté, la haine et les jalousies. La vente des cigarettes se fait à la barbe du gouvernement québécois. « Nous sommes depuis longtemps dans ce commerce qui fait vivre 2 000 personnes sur 8 000 », plaide Steve Bonspiel, le rédacteur en chef du journal autochtone The Eastern Door.
Une nation souveraine
De l'autre côté, la fierté d'un travail aux États-Unis, pour un peuple victime du paternalisme canadien. Joe Delaronde souligne : « Lorsque j'étais enfant, tous nos pères travaillaient comme ironworkers à New York. Nous n'avons rien à voir avec les Canadiens. »
Pete, lui non plus, n'aime pas les mélanges avec les Blancs : « Tu vas vivre avec les chevaux, ça ne veut pas dire que tu deviens cheval. » Les Blancs se terrent. Ils sont devenus pestiférés. À quelques maisons de là, l'un d'eux requiert l'anonymat. Il est marié à une Mohawk. Il vit depuis huit ans dans la réserve. « Je suis inquiet. Je suis très impliqué dans la vie de Kahnawake, alors j'espère qu'ils seront compatissants. En même temps, je les comprends. Ce peuple a été peu à peu dépossédé de tout. »
Le petit peuple amérindien est au garde-à-vous devant les chefs du conseil de bande. « Ils divisent la communauté. Historiquement, nous avons toujours adopté, protégé des non-Amérindiens. Des gens sont terrorisés. L'affaire peut très mal tourner, avec de la violence à la clé », déplore Steve Bonspiel. Le journaliste tempère : « Nous sommes une nation souveraine. Nous étions ici avant le Canada. »
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