Les scientifiques ont une bonne et une mauvaise nouvelle pour les parents pris à la maison avec de jeunes enfants, les aînés isolés et tous les Québécois qui souffrent du confinement.
La bonne : les modèles et les premiers exemples sur le terrain montrent que ces sacrifices sont efficaces et sauvent réellement des vies. La mauvaise : les contraintes devront être en place longtemps, sans doute plusieurs mois, pour empêcher la résurgence du virus.
« On n’est clairement pas dans des stratégies qui vont durer deux semaines », commente Gaston De Serres, médecin épidémiologiste rattaché à l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ).
Un document crucial dévoilé lundi par l’Imperial College de Londres, en Angleterre, a apporté un éclairage fort attendu sur les stratégies possibles contre la COVID-19. Les scientifiques y divisent les interventions possibles en deux catégories : « l’atténuation », qui vise essentiellement à protéger seulement les gens les plus à risque de la maladie, et la « suppression », qui cherche à renverser le cours de l’épidémie par des mesures fortes comme la fermeture des écoles, l’isolement social et la minimisation des contacts avec les aînés. Le Québec est clairement dans une stratégie de suppression.
Après avoir effectué toutes sortes de simulations sur leurs ordinateurs, les scientifiques sont formels : la suppression à la québécoise est le bon choix. Ils montrent que l’atténuation, telle qu’elle a notamment été envisagée au Royaume-Uni, se solderait par des vagues de mortalité extrêmement importantes (plus de 1 million de morts aux États-Unis) et créerait une pression qui surpasserait la capacité des hôpitaux par un facteur « d’au moins 8 ».
Il y a toutefois un hic majeur à la stratégie de suppression comme celle mise en place ici. Puisqu’on garde la population à l’écart du virus, celle-ci n’est jamais immunisée contre lui. Elle demeure donc à risque d’être infectée à la moindre résurgence du virus.
Le défi majeur de la suppression est que ce bouquet d’interventions intensives […] devra être maintenu jusqu’à ce qu’un vaccin soit disponible [potentiellement 18 mois ou plus], puisque nous prévoyons que la transmission connaîtra un rebond rapide en cas de relâchement des interventions.
Extrait du document produit par l’Imperial College de Londres sur les stratégies contre la COVID-19
Est-ce à dire que les écoles seront fermées jusqu’en septembre 2021, que le Canadien ne jouera pas l’an prochain et que vous ne verrez pas vos collègues de travail avant un an et demi ? Non. Les chercheurs précisent que l’intensité des mesures devra être adaptée selon l’évolution de l’épidémie.
« Nous montrons qu’un isolement social intermittent – déclenché par les tendances dans la surveillance de la maladie – pourrait permettre de relâcher temporairement les interventions pour des périodes de temps relativement courtes, mais les mesures devront être réintroduites si ou quand il y a un rebond », écrivent-ils.
« Il y a sans doute des changements moins drastiques, mais plus soutenables à long terme, qui pourront être mis en place à partir d’un certain point », commente quant à lui Gaston De Serres, de l’INSPQ.
La Chine, par exemple, semble avoir pour l’instant jugulé son épidémie, alors que les nouveaux cas ne se comptent plus qu’en dizaines. Mais la population reste vulnérable aux infections. Il est envisageable que le pays relâche certaines mesures, quitte à réagir rapidement si le feu reprend.
Volte-face au Royaume-Uni
Le document de l’Imperial College coïncide avec un réalignement de la stratégie britannique, qui s’apparentait auparavant à l’atténuation. L’idée initiale était de laisser le virus se propager jusqu’à un certain point dans la population afin de créer une « immunité collective ». Les gens infectés ne peuvent généralement pas contracter le virus à nouveau, ce qui fait que la maladie peine à trouver de nouvelles cibles et finit par s’essouffler. L’avantage est que cela règle le problème pour de bon, mais à un coût extrêmement élevé. Selon les calculs des chercheurs de l’Imperial College, la flambée de cas résultant d’une telle stratégie conduirait à 250 000 morts en Grande-Bretagne et à 1,1 million de morts aux États-Unis.
« C’est comme être dans la forêt et dire qu’on va en brûler une petite partie pour empêcher que le feu soit trop gros, mais en période de gros vent et alors que la forêt est très sèche. Les risques de perdre le contrôle sont vraiment élevés », explique Gaston De Serres. Le gouvernement britannique, depuis, semble avoir revu son approche.
Pour le Dr De Serres, la stratégie actuelle mise en place au Québec « achète du temps ». En plus de donner la chance d’éviter une flambée dans les hôpitaux, elle donne l’occasion aux chercheurs de développer des médicaments ou des vaccins contre la COVID-19. On s’entend généralement pour dire qu’un vaccin ne verra pas le jour avant au moins 18 mois, mais il est possible que des médicaments efficaces soient offerts avant cette période. Un grand nombre d’entre eux sont actuellement testés en Chine, dont plusieurs ont démontré leur innocuité puisqu’ils sont déjà commercialisés contre d’autres maladies.
La cigale et la fourmi italiennes
Pendant que les modèles informatiques soulignent l’importance « d’aplanir la courbe » pour éviter un pic d’infections, un exemple concret venu d’Italie montre que cela marche bel et bien sur le terrain.
Dans cette histoire, la province italienne de Lodi joue le rôle de la fourmi dans la fameuse fable de La Fontaine. Frappée la première par l’épidémie, la province a restreint les contacts entre les individus dès le 23 février. Pendant ce temps, juste au nord, la province voisine de Bergame faisait la cigale, permettant à tous de jouir de leur vie normale. Les premières mesures visant à isoler les gens n’y sont apparues que le 8 mars.
Aujourd’hui, la progression de la maladie suit une courbe exponentielle dans la province de Bergame, alors qu’elle plafonne dans celle de Lodi.
« Le cas Lodi/Bergame est la meilleure illustration que j’ai vue sur le terrain de la théorie d’aplanissement de la courbe. On a une comparaison entre deux régions similaires qui ont pris deux approches différentes », commente Donald Moynihan, professeur de politiques publiques à l’Université Georgetown, à Washington.
S’il est vrai que la province de Bergame est beaucoup plus peuplée que celle de Lodi, l’expert souligne que l’épidémie s’est déclenchée dans des zones de même taille et de même densité dans chaque province, ce qui fait que la comparaison est valide à ses yeux.
« Ce que les expériences de Lodi et de Bergame montrent, c’est que plus des communautés mettent en place des mesures d’isolement social rapidement, mieux c’est, conclut le professeur Moynihan. Ralentir la propagation du virus donne une chance au système de santé de suivre le rythme. »