Élections fédérales

Les géants du web «ne prennent pas au sérieux» la menace de l'ingérence étrangère

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« L'ingérence étrangère » n'est qu'un prétexte pour censurer les nationalistes

(Ottawa) La ministre des Institutions démocratiques, Karina Gould, estime que les géants du web comme Facebook ne « prennent pas très au sérieux » l'enjeu de l'ingérence étrangère. En même temps, elle concède qu'Ottawa ne légiférera pas d'ici au prochain scrutin, même si la menace plane bel et bien sur le processus démocratique.



« Je ne suis pas exactement heureuse des conversations [qu'on a eues] jusqu'à maintenant. Ils pensent qu'ils font le travail nécessaire, mais ils ne sont pas assez transparents avec le gouvernement », a-t-elle lâché en conférence de presse.


La ministre était venue commenter le dépôt d'un rapport du Centre de sécurité des télécommunications (CST) sur l'ingérence étrangère - un document qui conclut que l'ingérence est « fort probable ».


Et bien que Mme Gould plaide que le gouvernement « étudie attentivement » la possibilité d'imposer des lois et des règlements aux plateformes numériques, avec huit petites semaines restantes au calendrier des travaux en Chambre, il est évident que l'arsenal législatif ne sera pas en place pour les élections d'octobre.


 


En l'absence de mesures contraignantes, la ministre concède que les citoyens devront donc essentiellement s'en remettre à leur bon jugement et faire preuve d'une grande vigilance pendant la campagne électorale.


« La chose la plus importante que les Canadiens peuvent faire pour nous protéger comme démocratie, c'est d'être alertes et critiques de l'information qu'ils voient sur l'internet. »


- Karina Gould, ministre des Institutions démocratiques du Canada


Car si les acteurs malveillants ont dans leur viseur les politiciens et les institutions, ils concentrent principalement leurs efforts sur les citoyens, les cibles « les plus directes », car ce sont eux qui « ont le pouvoir » de décider qui va les gouverner, a souligné la ministre Gould.


Au Canada comme ailleurs, on cherchera ainsi sans doute à polariser l'électorat sur des enjeux délicats et à manipuler les déclarations publiques ou les positions de candidats, note-t-on dans le rapport.


Il est cependant « improbable » que les efforts de déstabilisation atteignent l'« ampleur » de ceux déployés par la Russie - le seul pays que nomme le CST dans son document - lors de l'élection présidentielle de 2016 aux États-Unis.


C'est notamment parce que le Canada « ne joue pas le même rôle sur la scène internationale », ont expliqué des représentants du CST lors d'une séance d'information technique, hier matin.


De plus, le système canadien est moins vulnérable que d'autres, puisque les élections fédérales se déroulent principalement sur papier. Les citoyens peuvent donc avoir « une grande confiance » à l'endroit du résultat du vote lui-même, a insisté Mme Gould.


Et si le CST ne détaille pas les tactiques des acteurs malintentionnés dans son rapport, c'est pour éviter que celui-ci ne serve de guide pratique pour leurs émules, a exposé en conférence de presse la patronne de l'agence d'espionnage, Shelly Bruce.


LAISSER-ALLER CRITIQUÉ


Le néo-démocrate Matthew Dubé a reproché hier au gouvernement Trudeau sa « proximité avec les entreprises des réseaux sociaux », qu'il semble associer à cette timidité libérale à agir avec fermeté.


Disant espérer que la ministre Gould cesse enfin de s'en remettre à « la bonne foi » des réseaux sociaux, il a martelé en point de presse que « comme parlementaires, [ils avaient] le pouvoir de légiférer ».


La consultante en communication numérique et en réseaux sociaux Nellie Brière abonde dans son sens : les géants du web ne décideront pas de se serrer eux-mêmes la vis, a-t-elle souligné en entrevue avec La Presse.


« On ne peut pas attendre d'une compagnie privée avec un modèle d'affaires qui n'est pas nécessairement basé sur l'objectif d'informer ou de préserver la démocratie qu'elle priorise [un resserrement des lois démocratiques]. »


- Nellie Brière, consultante en communication numérique et en réseaux sociaux, à propos de Facebook


« Ça n'arrivera pas. Je veux dire, on ne peut pas s'attendre à ce que Coca-Cola priorise la santé des Québécois, comme on ne peut pas s'attendre à ce que Facebook priorise la démocratie au Canada », a-t-elle donné en guise d'exemple.


Le directeur des politiques publiques de Facebook Canada, Kevin Chan, a assuré hier à La Presse qu'il était d'accord avec le fait que la société pouvait en faire davantage, et qu'elle avait l'intention de le faire.


Après avoir énuméré une série de mesures implantées dernièrement, dont la mise sur pied d'une « bibliothèque publicitaire » et d'un groupe consultatif en vue des élections, il a fait valoir que l'entreprise allait au-delà du cadre législatif actuel.


Le grand patron de Facebook, Mark Zuckerberg, a récemment invité les grandes démocraties à accoucher d'un cadre réglementaire commun. En conférence de presse, la ministre Gould lui a répondu que ce n'était pas aux géants du web à dicter leurs lois.


Il pourrait y « avoir des similarités » entre pays démocratiques, mais « je crois que les plateformes numériques devront accepter que les différents pays auront leurs propres lois », a-t-elle indiqué.




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